Après un voyage avec des ados, les parents ont souvent l’impression d’avoir gaspillé temps et argent. Lors d’un séjour prolongé en Europe, il y a quelques années, mon mari et moi sommes partis visiter une exposition sur Toutankhamon au British Museum avec nos rejetons de 7 et 14 ans. Comme les enfants y allaient en rechignant, nous sommes arrivés plus tard que prévu. Après avoir sprinté à travers l’exposition en 10 minutes chrono, nos deux galopins ont pris d’assaut la cafétéria, se sont acheté des biscuits avec leur argent de poche et ont refusé de bouger de là.
Planifiant un voyage au Proche-Orient, nous avons cherché désespérément un moyen d’échapper à cet enfer. Et l’idée nous est venue de proposer à une autre famille de se joindre à nous. Quelle brillante décision! Je n’oublierai jamais: il est 5h30 du matin, l’aube pointe à peine, et nous nous préparons à partir en expédition dans le Wadi Rum, le désert jordanien rendu célèbre par Lawrence d’Arabie. Trois de nos enfants et leurs amis sont déjà debout. Levés avant moi, ils ont bouclé leurs sacs à dos et sont déjà prêts pour la balade. Tout ça sans que j’aie eu à aboyer un seul ordre.
Selon Anne MacIntyre, codirectrice d’une agence de voyages et mère de deux ados, l’avantage des voyages à deux familles, c’est qu’on résout un certain nombre de problèmes avant même le départ.
«D’abord, la dynamique désignant comme bête noire le parent responsable de la logistique est automatiquement désamorcée. Vu que les quatre adultes s’occupent ensemble de la planification, les ados ne savent plus contre qui rouspéter.»
A deux familles, on peut prendre un maximum de décisions avant le départ, ce qui allège le stress. Mieux encore, engagez un guide: c’est lui qui prendra les décisions… et qui deviendra le bouc émissaire!
«Et n’oubliez pas que former une «gang» fait partie de la culture des jeunes, quel que soit leur âge, ajoute Anne MacIntyre. En bande, ils se sentent plus décontractés, plus à l’aise.»
Comme voyager avec des gens qu’on ne connaît pas bien peut poser des problèmes, le choix de l’autre famille est délicat. Mais voyager avec des membres de sa propre famille n’est pas idéal non plus: il y a trop de familiarité entre les ados. Quand les relations sont un peu plus distantes, un jeune hésitera à passer pour un «chialeux» ou un «peureux».
Mon mari et moi avons choisi une famille qui nous plaisait à tous les deux. C’était aussi intimidant d’aller présenter notre proposition aux parents… que de solliciter un rendez-vous amoureux. Peut-être même plus: cette fois, c’est notre clan entier qui risquait le rejet.
Aussi avons-nous préparé la première rencontre comme on négocie un contrat: en faisant d’abord nos recherches. Comme les enfants se connaissaient bien, nous avions déjà soutiré aux nôtres des informations essentielles. Ainsi, nous savions que cette famille préférerait une pizza à un repas dans un grand restaurant, et un hébergement dans une auberge ayant un cachet plutôt que dans un hôtel quatre étoiles. Et qu’à l’occasion elle accepterait de flâner une journée à la plage sans programme précis.
Le jour de la rencontre, les deux mères se sont chargées d’exposer ce que chaque famille voulait et ce qui paraissait possible avec chaque groupe d’enfants. Ces premiers échanges ont été de bon augure.
Un point mérite d’être signalé: après le voyage, nos deux familles étaient d’accord pour dire que nos différences d’objectifs avaient contribué à rendre l’aventure plus intéressante. Un de leurs fils nous a par exemple convaincus d’escalader le mont Sinaï, une excursion que notre clan n’aurait peut-être jamais tentée, mais qui a finalement été le point culminant du voyage. Et comme nos enfants tenaient mordicus à faire de la plongée dans la mer Rouge, nous avons passé trois jours inoubliables dans une superbe station balnéaire.
Les jeunes se régalaient de ces différences entre familles… et ils savaient les manipuler! Quand la chaleur et la fatigue devenaient accablantes, notre clan se précipitait sur les boissons gazeuses, alors que les autres faisaient une razzia dans les barres chocolatées. Mais les enfants se débrouillaient pour avoir les deux! Notre famille aimait souvent se retirer dès 15 heures au bord de la piscine avec un magazine. Peu après 14h30, les enfants de l’autre clan pointaient leur montre du doigt en disant: «Bientôt l’heure des introvertis!»
Un soir, en Jordanie, nous avons suivi un cours pour apprendre à cuisiner les plats locaux: taboulé, sharbat adas (soupe aux lentilles) et galaya bandura (sorte de trempette aux tomates et aux oignons). Les enfants sont venus à contrecœur, en grommelant. Dès notre arrivée, le chef a tendu à l’aîné un gigantesque couteau à émincer. Conquis par ce type d’arsenal, les autres ont suivi le cours avec un enthousiasme surprenant.
Il peut cependant y avoir des tensions dans un voyage à deux familles: quelqu’un est déçu parce qu’on n’aura pas le temps de voir un site, ou conteste le choix de son compagnon de chambre. Une fois ou deux, nous avons dû laisser les jeunes donner libre cours à leurs frustrations. Mais une fois passée la crise, ils ont assez vite réintégré le groupe. Comme dans le quotidien de toute famille, mieux vaut admettre d’avance qu’il y aura des moments de friction.
Aujourd’hui, il serait impensable pour nos enfants de voyager sans la compagnie d’une autre famille. Pour eux, l’aspect le plus intéressant du voyage, c’est qu’il leur permet de frayer avec d’autres jeunes plutôt que d’être confinés à notre groupe de six qu’ils connaissent par coeur.
A la fin de notre périple au Proche-Orient, au fond du désert égyptien, pères et fils ont assisté à un match de soccer improvisé sur un héliport qui semblait à l’abandon, à côté d’un hôpital. Des employés de l’établissement s’étaient joints aux spectateurs. Dans un anglais très approximatif, l’un d’eux a demandé à notre garçon de 10 ans si nos deux familles formaient une sorte d’équipe.
«Oui, monsieur! a répondu fièrement notre fils. On est une équipe!»