Gens d’ici: Quand la terre a son voyage
Marie-Julie Gagnon nous invite à prendre le large, mais à le faire de façon intelligente et responsable. Et ce, sans jamais renier le plaisir!
«Je suis une éternelle perdue, partout, tout le temps!» Cette confession peut étonner de la part de Marie-Julie Gagnon, elle dont la carrière journalistique la mène aux quatre coins du monde. Se perdre plus souvent qu’à son tour, elle le perçoit comme une véritable bénédiction: «C’est ce qui m’amène à faire les plus belles découvertes.» Depuis plusieurs années, elle s’applique à nous les faire connaître aussi bien dans les pages du journal Le Devoir que sur Ici Radio-Canada Première, dans différents magazines, ou dans des livres au ton toujours enthousiaste (Le voyage pour les filles qui ont peur de tout, Que reste-t-il de nos voyages?). Donc, à son image.
Son plus récent essai, Voyager mieux : est-ce vraiment possible? (Québec Amérique), ne cherche pas à freiner notre désir d’élargir nos horizons et de faire le plein de beautés. Mais d’y songer sérieusement avant de prendre le reste de la planète pour son arrière-cour. Car certaines statistiques devraient nous alarmer. À l’échelle mondiale, le tourisme génère jusqu’à 8% des gaz à effet de serre, et nous avons notre part de responsabilités. Entre 2010 et 2019, le nombre de touristes québécois qui voyagent en avion est passé de 2,8 millions à 4,3 millions. Loin du ton accusateur, s’appuyant sur les recherches et les réflexions de nombreux experts, Marie-Julie Gagnon nous invite plutôt à réinventer notre manière de voir le monde, et de le ratisser.
On pourrait qualifier Voyager mieux de guide de survie plutôt que de voyage! Vous présentez des constats accablants sur l’impact environnemental du tourisme, mais sommes-nous vraiment prêts à changer nos habitudes?
J’aimerais tellement répondre oui, mais bien des sondages démontrent que non. En réalité, seulement une petite partie des voyageurs est prête à s’intéresser à ces questions. Mon livre se veut une invitation à réfléchir davantage avant de prendre des décisions, mais chacun doit y aller à son rythme. Car sans mauvais jeu de mots, c’est tellement facile de se mettre la tête dans le sable. Le voyage, c’est le bonheur, l’évasion: je peux comprendre que l’on n’a pas le goût d’y penser alors que l’on se préoccupe tout le temps du recyclage chez nous. Mais si on commençait par apporter une bouteille d’eau pour la remplir à destination? Ça me dérange de voir des gens qui se permettent plus de choses que s’ils étaient chez eux. Comme on dit: colon chez soi, colon ailleurs!
Selon vous, le tourisme durable est-il une voie d’avenir ou une contradiction dans les termes?
Je me souviens des premières affiches dans les hôtels où l’on nous suggérait de ne pas faire laver nos draps pour économiser l’eau; j’y voyais surtout du bla-bla pour économiser, point à la ligne. Est-ce un bel exemple d’écoblanchiment? J’ai rencontré des gens engagés dans cette démarche en devenant des modèles, qu’il s’agisse du Château Frontenac – qui utilise 50% moins d’eau après avoir complètement changé la tuyauterie de l’hôtel – ou d’un tout-inclus au Mexique appartenant exclusivement à des Mexicains. Ils redonnent ainsi à la communauté en élaborant différents projets sociaux et environnementaux, et surtout en refusant de détruire pour construire.
Le fameux tout-inclus n’est-il pas l’exemple à proscrire pour aspirer au tourisme durable, et ainsi mieux protéger l’environnement?
Mon livre n’est pas moralisateur, alors je comprends les gens qui fréquentent les tout-inclus: ils ne veulent pas se compliquer la vie. Mais j’aime dire aux gens, par exemple: pourquoi ne pas essayer de trouver de petits hôtels tenus par des gens de l’endroit? Il y a moyen de chercher de manière positive, sans se rendre misérable. Il faut toutefois se rappeler qu’en voyage, le prix, ce n’est pas tout. Vous trouvez ceux des croisières alléchants? Sachez que, comme pour les tout-inclus, les compagnies coupent les coûts d’exploitation, et ça se fait au détriment des travailleurs.
On a dit que la pandémie changerait radicalement notre manière de voyager. Trois ans plus tard, ces changements sont-ils perceptibles?
En ce moment, ce que je constate, ce sont les extrêmes. D’un côté, plusieurs ont piaffé d’impatience dans leur coin, réservant maintenant trois-quatre voyages à une cadence effrénée, phénomène confirmé par des agents de voyage qui se disent débordés – eux aussi sont frappés par la pénurie de main-d’œuvre. D’autres voyageurs ont beaucoup réfléchi, avaient une soif de partir, mais voient le chaos dans les aéroports, les bagages perdus, etc. En ce moment, ce qui va peut-être nous freiner, c’est notre budget, parce que les prix n’arrêtent pas de grimper.
Si vous en aviez la chance, que diriez-vous à la jeune voyageuse Marie-Julie Gagnon?
Je ne viens pas d’une famille de voyageurs, et ça m’a pris du temps avant de comprendre qu’il y a plein de façons différentes de voyager. Lors de mon tout premier voyage en solo à Lisbonne à l’âge de 23 ans, je prenais l’avion pour la toute première fois. Mon insécurité était horrible: je ne me déplaçais qu’en taxi, je logeais dans un hôtel de luxe, j’ai dépensé près de 4000$ en une semaine. Bref, je me suis acheté une sécurité pas du tout nécessaire. Alors que dirais-je à la jeune Marie-Julie Gagnon de 23 ans? En allant dans une auberge de jeunesse et en prenant le train, j’aurais rencontré plus de gens… et fait le genre de voyage dont je rêvais. J’ai appris de mes erreurs, et surtout à me faire confiance.
Inscrivez-vous à l’infolettre de Sélection du Reader’s Digest. Et suivez-nous sur Facebook et Instagram!