Sentiment d’autonomie et confort d’un logement à soi
Edna et Wimsy Sinnatamby ont respectivement 83 et 87 ans. Ils vivent depuis plus de trois décennies dans une modeste maison de Toronto qu’ils ont achetée après leur arrivée au Canada en 1983. Elle est pleine de précieuses photos.
Il y a celles du couple au 80e anniversaire de Wimsy, avec leurs trois fils et leurs quatre petites-filles. Celles de récentes réunions familiales à Singapour, où le couple srilankais a de la parenté; les femmes portent des saris éblouissants. Et un agrandissement pâli d’un Wimsy nettement plus jeune, en costume noir sur mesure et cravate fine, à côté de la reine Elizabeth II et du prince Philip. La photo a été prise deux ans avant que Wimsy et Edna n’émigrent au Canada, fuyant la guerre civile opposant les Tamouls, l’ethnie minoritaire dont ils font partie, et la majorité cinghalaise.
Petit à petit, ils ont retrouvé la stabilité financière qu’ils avaient perdue en partant: Wimsy est entré au service de détection des fraudes par carte de crédit d’une grande banque, Edna a ouvert une garderie en milieu familial.
Ces derniers temps, des courtiers frappent à leur porte régulièrement et tentent de les persuader de vendre leur maison. Ils ne veulent pas en entendre parler. «Je leur demande s’ils sont prêts à nous héberger parce que je ne saurais pas où aller», plaisante Wimsy. C’est qu’Edna et lui sont bien entourés. Quand il s’est blessé gravement au front en tombant, il y a quelques années, un voisin est arrivé avant l’ambulance. Quand il a eu une arthroplastie de la hanche, des amis et des membres de l’église se sont relayés pour conduire Edna à l’hôpital et la ramener chez elle. Au fil des décennies, ils se sont créé une si belle vie qu’ils veulent rester dans leur maison.
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Santé et sécurité
Plus de 90% des personnes âgées vivent toujours chez elles et veulent y rester le plus longtemps possible, selon une enquête du Conseil canadien de la santé, réalisée en 2012. Mais selon Statistique Canada, une sur trois de celles qui atteignent 85 ans devra emménager dans une résidence pour personnes âgées ou un centre de soins de longue durée pour des raisons de santé ou de sécurité.
Les défenseurs de leurs droits soutiennent que beaucoup de personnes âgées renoncent trop vite à leur indépendance et à leur milieu de vie parce qu’elles ne sont pas préparées à s’adapter et à exploiter les ressources à leur disposition pour rester plus longtemps chez elles. Et vous pourrez y rester encore plus longtemps en suivant ces règles toutes simples pour vivre jusqu’à 100 ans. L’espérance de vie au Canada est actuellement d’environ 82 ans, mais en nombre croissant, on vit nettement plus longtemps – les centenaires sont le groupe d’âge qui grandit le plus rapidement après celui des 60-64 ans issus du baby-boom. Ils seront de plus en plus nombreux à devoir faire bientôt un choix crucial: où et comment passer leurs vieux jours?
Vieillir chez soi n’est certes pas sans obstacle, mais c’est quand même ce que la plupart préféreraient, et avec raison: les spécialistes s’accordent à dire que le maintien des relations sociales, le sentiment d’autonomie et le confort d’un logement à soi sont ce qu’il y a de mieux pour une personne âgée.
Voici quelques conseils qui pourraient vous être utiles si vous comptez vivre chez vous encore longtemps.
Pensez-y d’avance
En général, on ne prépare pas vraiment sa retraite. On n’évalue pas bien ce dont on aura besoin pour rester longtemps chez soi, comme l’accès au complexe réseau de soins à domicile et aux programmes publics.
«On ne connaît pas ses droits et on ne sait pas à quelle porte frapper», déplore Danielle Pollack, travailleuse sociale et fondatrice d’Équinoxe, une entreprise montréalaise de gestion des soins, surtout gériatriques. Selon un rapport de 2013 de la Fondation des maladies du cœur, c’est dans la dernière décennie de nos vies – alors que nous sommes le plus atteints par les infirmités et la maladie – que notre santé est la plus mauvaise et le coût des soins, le plus élevé. N’empêche, d’après une enquête de la Banque Royale du Canada, 83% des personnes âgées préféreraient payer à la pièce les soins à domicile dont ils ont besoin plutôt que d’emménager dans une résidence pour personnes âgées, dans un centre de soins de longue durée ou chez un proche si leur santé se dégradait.
Pour bien vous préparer, discutez tout de suite avec votre médecin des problèmes que vous avez déjà et des services dont vous aurez besoin plus tard pour bien maîtriser, par exemple, le diabète, l’arthrite ou la dépression. Vous devriez aussi avoir une conversation sérieuse avec votre famille et un planificateur financier, surtout si vous voulez laisser la maison aux enfants ou comptez sur leur aide financière. Le gouvernement fédéral a préparé une liste très utile pour déterminer à quel point on est prêt à vieillir chez soi en adoptant différents angles tels que la santé, les finances personnelles et le transport.
Prémunissez-vous contre les accidents
Quelques changements simples peuvent garantir le confort, affirme le Dr Roger Wong, professeur clinicien de médecine gériatrique à l’Université de Colombie-Britannique. «L’essentiel, c’est de préserver la sécurité et la qualité de vie», dit-il. Il rappelle que les chutes sont la première cause d’hospitalisation chez les Canadiens plus âgés et que de 20 à 30% des personnes de 65 ans et plus en font une chaque année. Même une petite glissade peut provoquer une fracture de la hanche qui risque de rendre la victime handicapée et dépendante.
Parmi les adaptations les plus faciles à faire, le Dr Wong mentionne l’installation d’une barre d’appui dans la douche et d’un siège de toilette surélevé; il faut aussi envisager de se débarrasser des meubles et autres objets qui entravent la circulation. Même si une moquette peut amortir les chutes, les parquets de bois franc sont plus adaptés à la marche avec un déambulateur ou une canne. Edna et Wimsy ont rangé leurs tapis pour éviter de s’y prendre les pieds et ont remplacé leurs canapés par des fauteuils plus hauts et plus fermes où il est plus facile de s’asseoir et surtout de se relever. Après l’arthroplastie de la hanche de Wimsy, il y a 10 ans, ils ont aussi troqué la baignoire contre une douche à l’italienne qui leur a coûté environ 3000$. L’escalier de leur maison demeure pour l’instant un bon exercice, mais ils installeraient un monte-escalier plutôt que de déménager. Aménager une maison pour compenser la perte de mobilité coûte assez cher – de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers de dollars –, mais il existe des crédits d’impôt pour aider à financer les travaux.
La technologie peut aussi contribuer à la sécurité. Toute personne âgée devrait avoir un téléphone portable (avec un index à jour des numéros d’urgence) et apprendre à s’en servir pendant que sa mémoire est bonne, dit le Dr Wong. Les montres connectées, la vidéosurveillance et les systèmes d’alerte individuels comme MedicAlert ou Lifeline peuvent donner l’alarme en cas d’urgence.
Il existe un programme d’entraînement qui prévient les chutes. C’est l’une des 52 nouvelles études sur la santé qui vont changer votre façon de vivre!
N’hésitez pas à vous faire aider
Même si vous êtes en bonne santé, vous allez sans doute devoir confier à d’autres certaines corvées. Mariés depuis 62 ans, les Sinnatamby sont aux petits soins l’un pour l’autre. Edna cuisine, Wimsy conduit, et ils aiment tous les deux danser (piétiner, disent-ils à présent). Reste qu’un voisin insiste pour porter leurs poubelles au bas de l’allée pentue de leur garage, vite glacée l’hiver. Et pour ménager son épaule blessée, Edna se décharge des travaux domestiques les plus lourds sur une entreprise qui vient une fois par mois.
Diverses agences privées ou publiques répondent à des besoins plus personnels: vous aider à prendre un bain, vous habiller, vous coiffer – et vous tenir compagnie. Les services provinciaux sont gratuits; accordés en fonction des besoins, ils peuvent atteindre 50 heures par semaine en fin de vie. Ceux des agences privées coûtent en moyenne une trentaine de dollars l’heure, de nuit comme de jour.
Durant la journée, on peut aussi avoir recours à des programmes subventionnés ou privés. Ils proposent des soins de santé, des contacts sociaux et des distractions aux aînés, et une journée de repos à leurs aidants naturels. Si beaucoup de ces programmes s’adressent aux personnes actives, d’autres sont adaptés aux plus fragiles, victimes d’un AVC ou atteintes de démence. Leur personnel se compose d’infirmières, de travailleurs sociaux, de bénévoles et d’étudiants en sciences de la santé.
Cultivez vos relations
L’isolement atteint des proportions épidémiques dans le monde, avertissent les chercheurs, et l’âge est un facteur de risque bien connu en raison de changements critiques comme la retraite, le décès du conjoint ou le retrait du permis de conduire. Au Canada, les symptômes de dépression touchent jusqu’à 44% des résidents en centre de soins, et le taux de suicide des hommes de plus de 80 ans est l’un des plus élevés de tous les groupes d’âge. Le risque de décès prématuré des personnes seules est supérieur de 50% à celui des personnes qui ont de bonnes relations sociales.
Si elle n’accompagne aucune maladie en particulier, la solitude est un facteur de risque d’un grand nombre de pathologies et de décès parce que le stress, le réflexe d’autodéfense – fuir ou combattre – déclenché par le sentiment d’isolement, peut provoquer une cascade de sécrétions hormonales qui induisent des changements physiologiques. L’isolement serait plus dangereux que l’obésité et aussi nocif qu’une quinzaine de cigarettes par jour selon des études de l’université Brigham Young.
Des organismes publics comme le réseau des services sociaux de l’agglomération torontoise tentent d’arracher les personnes âgées vulnérables à leur isolement en leur proposant, gratuitement ou moyennant une faible contribution, des occasions de rencontres, des activités culturelles ou encore des conférences comme un exposé sur la prévention des fraudes par un policier ou un atelier sur la maladie d’Alzheimer.
«Ce ne sont pas les programmes publics qui manquent, note Alykhan Suleman, directeur général de ce réseau, mais il faut les faire connaître, car beaucoup ne maîtrisent pas assez la technologie pour faire la recherche eux-mêmes.» Son organisation a donc lancé un projet-pilote pour leur apprendre à utiliser des outils technologiques comme les médias sociaux afin de rester au courant. Avec un soutien suffisant, même les personnes atteintes de démence peuvent rester chez elles – vivre dans un environnement familier réduit les risques de désorientation, souligne le Dr Wong, même si la perte de mémoire ne peut être ralentie.
Pensez au bénévolat ou à aller dans un club de lecture. Cela fait partie des 12 façons pour un adulte de se faire des amis.
Gérez sagement votre argent
Vieillir chez soi est souvent la solution la moins onéreuse, surtout si on n’a ni dettes ni besoin de soins quotidiens. Quant au coût des aménagements requis pour améliorer l’accessibilité et de l’embauche de personnel aidant pour certaines tâches, une kyrielle de programmes publics de soutien financier et d’avantages fiscaux permettent de le réduire. Consultez un planificateur financier de même qu’un comptable ou un fiscaliste bien informé des derniers avantages accordés aux personnes âgées. En principe, vous devriez faire cette démarche longtemps avant votre retraite, à 50 ans.
Si vous remboursez encore une dette hypothécaire ou autre, par contre, il serait sans doute sage de vous trouver un logement plus petit et plus économique ou de déménager dans une résidence pour personnes âgées, dit Rick Lowes, vice-président, retraite, à la Banque Royale du Canada.
Selon le lieu où vous vivez, le loyer dans une résidence standard coûte de 1500 à 3500$, mais peut dépasser 10 000$ dans un immeuble de luxe. «On ne comprend pas toujours les conséquences financières d’un déménagement. Souvent, il faut se décider très vite, et tout se précipite», ajoute Rick Lowes. Il recommande de consulter un planificateur financier afin de bien anticiper les coûts des problèmes de santé graves et l’effet que ces dépenses auraient sur le revenu de retraite.
Autres possibilités
Parfois, rester à la maison devient soit dangereux parce qu’on a trop de mal à se déplacer ou qu’on souffre de troubles cognitifs, soit déraisonnable parce qu’on n’a pas les moyens de se payer de l’aide et que les proches aidants n’en peuvent plus.
On peut alors déménager dans une résidence pour personnes âgées, puis dans un centre de soins de longue durée. À chaque étape, des gens ne demandent qu’à vous aider, affirme Audrey Miller, fondatrice et directrice de Elder Caring à Toronto. «Nous voulons faire comprendre aux personnes âgées qu’elles ne sont pas seules. Qu’il y a beaucoup de façons d’envisager le lieu où on passera ses derniers jours et la vie qu’on y mènera. La génération du baby-boom s’attend à ça.»
Edna ET Wimsy ont appris à gérer les blessures et les alertes qui surviennent inévitablement quand on vieillit. Plus tôt dans l’année, Wimsy a encore glissé dans l’allée, ce qui lui a valu quelques points de suture à l’arrière du crâne, mais il s’est vite remis de cet accident.
Malgré ces mauvaises surprises, ils se réjouissent d’être toujours en pleine possession de leurs moyens physiques et intellectuels, et veillent à les préserver. Leurs enfants aimeraient qu’ils déménagent dans une copropriété pour être libérés de la responsabilité de l’entretien d’une maison, sans parler des escaliers et de cette allée problématique, mais, eux, ils ne se voient pas vieillir ensemble ailleurs. La maison et la communauté qu’ils ont acquises au prix de tant d’efforts leur sont trop précieuses pour qu’ils les abandonnent. «On récolte dans son vieil âge ce qu’on a semé dans sa vie et son mariage», conclut Edna.
C’est beau de vieillir ensemble. Voici comment dire «je t’aime» à votre moitié sans pour autant prononcer ces mots.