Vieillir autrement: quel avenir pour les aînés?
Au Québec, la pandémie de COVID-19 a fait des ravages dans les CHSLD et autres RPA, et très peu chez les 75 ans et plus vivant à domicile. Faut-il repenser complètement les soins aux personnes âgées?
Les champs à perte de vue et l’air pur de la campagne comblent de bonheur Lucilia Albernaz. Pendant que la population est confinée à cause du coronavirus, elle arpente librement sa terre de 94 acres située à Mirabel.
«Je mords dans la vie!» s’exclame la sexagénaire qui a fondé en 2008, avec des amis âgés de 56 à 88 ans, la Route des gerbes d’Angelica, un organisme à but non lucratif qui porte le nom d’une plante qu’ils produisent. Pour ce projet unique inspiré de différentes communes européennes, ils ont investi 2,3 millions de dollars. Objectif: vieillir en sécurité et laisser cet héritage à leurs enfants.
«Pas question de passer notre retraite à se bercer!» dit Lucilia, qui travaille jusqu’à 80 heures par semaine aux potagers et au jardin de 62 000 plants, accessibles au public.
Dix des membres fondateurs ont choisi de demeurer dans une grande maison, devenue une forteresse en temps de pandémie. «Aucun des résidents n’a été infecté par la COVID-19!» assure Lucilia. Dans leur bulle, ils partageaient repas et activités tout en limitant leurs sorties à l’épicerie. Si un jour une maladie frappe, ils demanderont de l’aide, conscients que les choses se compliqueront si l’un d’eux a besoin un jour de soins palliatifs ou souffre d’une maladie cognitive grave. «Mais nous ne voulons pas aller en centre d’hébergement!» ajoute-t-elle en pensant à ses parents atteints d’Alzheimer et qui y sont décédés. Et à tous les aînés que la COVID-19 a tués dans des CHSLD.
Voilà pourquoi le risque de décès dû au coronavirus est plus élevé pour les hommes et les personnes âgées.
Un système à revoir
«L’origine de ces établissements remonte au 19e siècle, alors que des communautés religieuses accueillaient des personnes âgées pauvres et sans famille dans des hospices du Québec», explique Aline Charles, historienne à l’Université Laval. Le système s’est progressivement transformé et, vers 1950, le gouvernement provincial a commencé à investir dans la construction de centres d’accueil, devenus CHSLD en 1992 et accessibles à toutes les classes de la société. «On y a vu la solution idéale pour héberger les aînés, mais ce n’est plus le cas», continue l’historienne.
Des 5791 décès dus à la COVID entre mars et septembre 2020 au Québec, 3943 ont été enregistrés dans des CHSLD et 964 dans des résidences pour aînés. Prévention déficiente, ignorance des modes de propagation du virus, pénurie et roulement de personnel… les causes de l’hécatombe sont multiples. Tout comme les histoires d’horreur.
«Je ne pardonnerai jamais au gouvernement!» s’exclame Nicole Jaouich, dont la mère, Hilda Zlataroff, âgée de 102 ans, est morte de déshydratation, le 27 avril 2020, au CHSLD Saint-Joseph-de-la-Providence de Montréal. Elle souffrait de démence et, même si elle n’a jamais été infectée par le coronavirus, sa fille ne pouvait plus se rendre à son chevet pour la faire boire et manger quotidiennement à cause de l’interdiction de visite imposée par le gouvernement. «Les préposées n’avaient pas le temps de s’en occuper!» affirme Nicole Jaouich, témoin impuissant de l’agonie de sa mère grâce à une caméra de surveillance placée dans sa chambre. «Elle m’avait suppliée de ne jamais l’abandonner, mais le gouvernement m’a obligée à le faire!»
Au Québec, plus de 40 000 personnes vivent dans des CHSLD publics ou privés. Elles y sont admises le plus souvent à un âge très avancé, plus de 80 ans, et la durée moyenne de séjour est de 27 mois, jusqu’à leur décès. Selon Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, «80% d’entre elles souffrent de troubles neurocognitifs majeurs».
Les 315 CHSLD publics appartiennent à l’État et les 59 CHSLD privés conventionnés à des gens d’affaires offrant des services subventionnés par le gouvernement. Dans ces deux types d’hébergement, les résidents paient au maximum près de 2000$ par mois, selon leur revenu. Dans les 41 CHSLD privés non conventionnés, toutefois, les résidents déboursent entre 3000 et 10 000$ par mois. À cela s’ajoutent 476 ressources intermédiaires, c’est-à-dire des habitations privées où demeurent 11 000 personnes, des aînés et des personnes plus jeunes qui sont en perte d’autonomie mais ne requièrent pas la présence régulière d’un médecin.
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Le Québec compte 692 000 personnes de 75 ans et plus et 940 000 de 65 ans et plus. C’est donc dire que peu d’entre elles demeurent dans des institutions de ce type. Malgré cela, le système ne réussit pas à répondre à la demande.
«Trouver une place en CHSLD, c’est comme jouer à la loterie! Si vous êtes chanceux, vous serez choisi», s’offusque Patrick Déry, analyste en politiques publiques. «Pendant les 40 prochaines années, le Québec aura besoin de 3000 places additionnelles par année, ajoute Philippe Voyer, professeur à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. Comme chaque place coûte jusqu’à 8500$ par mois à l’État en CHSLD public et 5000$ en CHSLD privé conventionné, il sera économiquement impossible de combler les besoins!»
Le gouvernement a donc établi une liste prioritaire. «Les personnes âgées hospitalisées qui ne peuvent pas retourner à la maison et celles qui sont dans des milieux qui mettent en danger leur sécurité sont admises en premier», explique Lita Béliar, ex-coordonnatrice de l’accès à l’hébergement à l’Agence de santé de Montréal. Certaines, moins malades, et recevant l’appui d’aidants naturels et des soins à domicile, devront parfois patienter des mois, voire des années avant d’obtenir une place dans un CHSLD.
Restent les soins à domicile. Si près de 267 000 aînés en ont obtenu durant la dernière année, il est difficile de dire combien sont en attente. Le ministère de la Santé possède seulement l’information où toutes les catégories d’âges sont confondues. On sait ainsi que, en mars 2020, 40 585 personnes poireautaient sur les listes d’attente. Tous s’entendent pour dire que ce secteur est sous-financé, malgré les 100 millions de dollars que le gouvernement a ajoutés cette année aux 280 millions annuels – soit 380 millions par année.
«Beaucoup de gens optent pour les résidences pour aînés (RPA) parce qu’on est incapables de leur offrir des soins à domicile», déplore le Dr Réjean Hébert, ex-ministre de la Santé du Québec. La popularité des RPA, qui appartiennent à des entreprises privées, ne cesse de croître. Ce ne sont pas des CHSLD mais des édifices pouvant regrouper des centaines de logements et offrant soins et services. Le Québec est la province qui en compte le plus, 133 000 unités, alors que le pays en entier en a 262 000.
Vingt pour cent des Québécois de 75 ans et plus choisissent ce mode de vie dont les prix oscillent de 1200 à 7000$ par mois.
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Les soins à domicile: une voie négligée
«Cessons de ghettoïser nos aînés, de les placer dans ces grands immeubles!» clame la gérontologue Guilhème Pérodeau. Elle souhaite que cesse le système à deux vitesses dans lequel seuls les plus riches peuvent se payer des services et cite Monique Boutrand, une gérontologue française, qui soutient que les aînés seront mieux protégés des futures pandémies s’ils vieillissent à l’écart des regroupements, dans leur maison.
Pour répondre au besoin criant des soins à domicile, le Dr Réjean Hébert a tenté lorsqu’il était ministre de la Santé d’instaurer une assurance autonomie qui aurait été gérée par la Régie de l’assurance maladie. Ce projet a été abandonné par le gouvernement suivant.
Depuis, «rien n’a changé et les soins à domicile sont toujours les parents pauvres du système», déplore Réjean Hébert. Les choses se seraient même détériorées. Selon une étude réalisée à Sherbrooke, le nombre de visites à domicile dans cette ville est passé de 200 000 à 60 000 entre 2011 et 2015, même si le gouvernement a ajouté un budget supplémentaire de 4 millions de dollars pour l’Estrie en 2013-2014.
«Ce montant a probablement été détourné vers les hôpitaux», ajoute l’ancien ministre.
Au Québec, seulement 14% du budget des soins de longue durée va aux services à domicile contre 86% aux CHSLD. «Il faudrait faire l’inverse, en suivant l’exemple du Danemark, où 73% du financement public est consacré aux soins à domicile et 27% aux centres d’hébergement, observe le Dr Hébert. Les soins à la maison coûtent jusqu’à 10 fois moins cher qu’en CHSLD!»
Lorsqu’ils atteignent l’âge de 65 ans, les Danois rencontrent un médecin qui mesure leur niveau d’autonomie et, au gré de leurs besoins, leur municipalité adapte gratuitement leur logement et leur offre des services pour s’habiller, se laver, manger, etc. Depuis 1987, la loi interdit la construction de nouvelles maisons de retraite. Par contre, si une personne âgée a des troubles trop sévères pour rester à la maison, un logement lui est rapidement offert en institution au coût de 2000$ par mois. Les résultats d’une telle approche sont probants puisque dans ce pays de 5,8 millions d’habitants, dont 18% ont 65 ans et plus, il n’y a eu entre le début du mois de mars et la fin août 2020 que 626 décès.
Les centres d’hébergement et les CHSLD font partie des endroits où vous êtes le plus à risque de contracter le coronavirus!
Faisons-nous fausse route?
Au Québec, pour éviter d’autres drames, le gouvernement a choisi d’embaucher 10 000 nouveaux préposés en CHSLD. Marguerite Blais mise également sur un concept inspiré des «green houses» américaines créées en 2001. On prévoit que 2,4 milliards de dollars seront consacrés à la construction de 42 Maisons des aînés, pour un total de 3000 nouvelles places d’hébergement dès 2022. «Il s’agit d’unités recevant chacune 12 résidents et autant de préposés, dans des chambres individuelles et climatisées avec salle de bains pour éviter les infections. Il y aura des espaces communs, des jardins extérieurs et des postes d’infirmières dissimulés pour cacher l’image d’un établissement de soins», explique la ministre.
«C’est de la poudre aux yeux, se désole la gériatre Annik Dupras. De meilleurs services seront offerts à une minorité alors que des CHSLD, dont on aura toujours besoin pour les cas les plus lourds, resteront désuets.» Selon le ministère de la Santé, 101 CHSLD, dont l’âge moyen est de 49 ans, sont en mauvais état et nécessitent des remplacements ou des travaux urgents, mais pour l’instant, on ne prévoit rénover ou reconstruire que 25 d’entre eux.
«Les personnes âgées doivent s’adapter au système défaillant alors que ça devrait être le contraire», observe l’analyste Patrick Déry. Adelina Chiarella ne lui donne pas tort. À 95 ans, elle demeure toujours seule dans sa maison de Saint-Jean-sur-Richelieu, qui n’a pas changé depuis 70 ans, et dont les murs sont tapissés de photos de famille. «Jamais je n’irai dans un CHSLD. Je me laisserai mourir avant!» proclame la vieille dame, qui a toute sa tête mais de la difficulté à marcher, est diabétique et a des problèmes pulmonaires et cardiaques.
Ses 10 enfants s’assurent que 5 préposés se relaient pour lui donner 30 heures de soins à domicile par semaine au taux horaire de 15,66$, soit 469$ payés hebdomadairement par le chèque emploi-service du gouvernement. À cela s’ajoutent sept heures offertes directement par le CLSC pour des soins d’hygiène pour un montant additionnel de 140$ par semaine. Total annuel : moins de 32 000$. Cela représente environ le tiers de ce que le ministère de la Santé paierait en centre d’hébergement public, soit 247$ par jour et 90 200$ par année.
«Si ma mère avait été placée dans un CHSLD, elle serait peut-être morte pendant la pandémie, confie avec émotion sa fille Anne-Marie Bertrand. Les gens âgés devraient rester chez eux le plus longtemps possible!»
Quarante pour cent des victimes, très fragiles, avaient entre 80 et 89 ans et 33,5% 90 ans et plus.
«Si on devait m’envoyer un jour en CHSLD, j’aurais des frissons dans le dos!» lâche Jean-Pierre Daubois, dont la mère, Anna José Marquet, âgée de 94 ans, est morte en avril 2020 au CHSLD Sainte-Dorothée de Laval. Tout comme une centaine de pensionnaires de cette résidence, ce qui l’a incité à intenter un recours collectif d’un million de dollars pour manque de soins. «Je ne sais même pas si ma mère est décédée de la COVID-19 car ils ont égaré les résultats de son test de dépistage», dit-il la rage au cœur.