Une lutte contre la culture du régime
J’ai vécu dans le mensonge. C’est du moins le sentiment que j’ai acquis.
Je m’élève énergiquement contre la culture du régime. Sur mon compte Instagram, je ne jure que par l’amour de soi. Je me fais un devoir d’ignorer mon poids. Mon médecin – la seule personne qui le connaisse – assure que je suis en excellente santé. Selon les standards actuels, je suis pourtant en surpoids.
Comme toute petite fille rondelette, j’avais fini par croire que ma valeur dépendait de mon apparence physique. Pendant deux décennies, j’ai souffert de persécutions et de traumatismes affectifs et j’ai toujours voulu ressembler à une autre: Britney Spears, Christina Aguilera ou encore Kim Kardashian. Je me fixais immanquablement des objectifs irréalistes que je n’ai évidemment jamais atteints, preuve que je ne valais pas la peine d’être aimée. Dès que j’ai compris ce qu’était une calorie, j’ai tout fait pour en consommer le moins possible, sautant un repas à l’occasion discrètement. Quand je rebasculais dans l’excès de nourriture à m’en rendre malade, je le faisais suivre par un régime à 1200 calories par jour, valeur arbitraire lancée par d’innombrables blogueurs adeptes du conditionnement physique.
(Selon Santé Canada, l’apport quotidien moyen devrait être de 2000 calories chez l’adulte et de 1500 chez l’enfant.)
Faut-il vraiment compter les calories pour trouver un équilibre?
Positivité corporelle
Aujourd’hui journaliste à Toronto, je suis encore aux prises, à 28 ans, avec l’idée que, pour être belle, il faut une taille de guêpe et des jambes fermes. C’est contre pareille conviction que s’insurge le mouvement body positivity (pour une image corporelle positive, ou «positivité corporelle» dans ce texte) pour qui tous les corps sont beaux, peu importe les traits ethniques, le poids, le sexe, l’orientation sexuelle et le talent. Nadia Aboulhosn, blogueuse sur la mode pour les grandes tailles, s’est fait connaître quand le magazine Seventeen lui a proposé de poser comme mannequin après avoir vu les photos qu’elle publie d’elle sur son blogue. (Sept ans et plus de 600 000 abonnés Instagram plus tard, elle a lancé en 2019 sa collection de vêtements grande taille branchée.)
La positivité corporelle aide les personnes qui n’ont pas le corps standard occidental à s’apprécier. Au-delà du problème de l’estime de soi se pose également une question financière. Il existe en effet un rapport entre salaires modestes et taille corporelle: selon une étude menée en 2015 par l’université Vanderbilt à Nashville, dans le Tennessee, les femmes en surpoids gagnaient 4% de moins que celles, plus minces, accomplissant les mêmes tâches; les obèses et celles qui souffraient d’obésité morbide gagnaient respectivement 6 et 16% de moins. Bien que j’aie supprimé mille fois l’application qui suit l’apport calorique et donné des leçons à mes amies sur la nécessité de rejeter la culture des régimes, dès que l’angoisse de vivre se manifeste, je me remets moi aussi à vouloir surveiller et mesurer tout ce que je mange – donc mon poids.
D’abord faire face à ses propres convictions
Quand j’ai adopté les principes de la positivité corporelle, j’ai dû faire face à mes propres convictions, abandonner tous ces régimes et exercices conçus pour perdre du poids, et désavouer les critères de beauté basés sur la silhouette et la taille. Si j’ai maintenant plaisir à pratiquer l’haltérophilie et à suivre des cours de cardiovélo, j’ai du mal à ne pas retomber dans le calcul obsessionnel des calories. Je ne suis pas la seule. Sur mon compte Instagram, plusieurs femmes m’ont posé cette question apparemment simple: peut-on avoir une perception positive de son corps sans avoir pour autant envie de perdre du poids?
La réponse est loin d’être simple. J’ai fini par oublier ce que le simple mouvement physique me permettait d’éprouver et par perdre de vue qu’on pouvait bouger sans viser la perte de poids. Je ne me suis jamais considérée comme une athlète, mais j’ai joué huit ans au soccer quand j’étais plus jeune, participé à des compétitions de danse trois années et pratiqué l’équitation une bonne décennie. Bouger était ma façon de m’exprimer, de m’affranchir du stress et de stimuler mon esprit. C’était une évasion saine, et j’ai appris à faire confiance à mon corps et à ignorer les mises en garde qu’on me servait sur ses incapacités.
Rester positif est l’une des choses que les gens en bonne santé font avant 10h.
La peur et la honte
À la fin de l’école élémentaire, ma corpulence et mon apparence me valaient tant de tyrannie que j’ai eu peur de m’inscrire à l’équipe de soccer par crainte d’être la cible encore plus visible du ridicule. Et même si j’ai repris le jeu après avoir changé d’école, cette blessure affective et la crainte qu’on se moque de moi n’ont jamais vraiment disparu. L’exercice comme forme d’autopunition – pour avoir trop mangé, pour être trop grosse, parce qu’on se déteste – prenait la place de l’amour du mouvement lui-même.
Comme d’autres adeptes de la positivité corporelle, je fréquente désormais le gym justement pour ça: bouger. J’ai redécouvert ce plaisir grâce au cardiovélo. Ce qui n’était au début qu’une solution de rechange aux sorties du week-end est devenu la dépendance la plus saine de mon existence. Il est vrai que j’espérais aussi que ce nouveau passe-temps s’accompagne d’une perte de poids. (Ça n’a pas été le cas.) J’avais du mal à accepter que ma nouvelle façon d’appréhender ma santé me laisse tout de même avec un corps plus gros.
Pour surmonter la frustration, j’ai dû me livrer à un peu d’introspection qui m’a finalement fait apprécier tout ce que le mouvement régulier améliorait – mon tonus musculaire, mon endurance et, surtout, la confiance en moi.
Le plus dur: ne pas retomber dans l’autodestruction
En dépit de ce changement de perspective si chèrement acquis, ne pas retomber dans l’autodestruction reste un défi permanent. Jenna Doak, 32 ans, entraîneuse de positivité corporelle, le sait très bien. Celle qui dirige aujourd’hui le Body Positive Fitness à Toronto et Newmarket, en Ontario, a fait ses armes comme entraîneuse de gymnastique dès ses 18 ans.
Tout en aidant sa clientèle à perdre du poids, elle menait son propre combat contre son corps en s’imposant des restrictions alimentaires et des excès d’exercice. «C’était une lutte constante pour montrer à quoi devait ressembler l’entraîneuse idéale. C’était malsain et tordu», reconnaît-elle. Tout a changé quand elle a adopté les principes de la positivité corporelle – centrés sur la santé, le bonheur et la capacité de s’apprécier comme on est.
En cessant d’être obsédée par la perte de poids et les régimes, Jenna a commencé tout naturellement à prendre du poids. Et elle s’est rendu compte que les personnes plus corpulentes n’avaient pas d’endroit où s’entraîner. «Le gym intimidait ceux et celles qui ne voulaient pas perdre de poids», se souvient-elle. Il y a un an, elle a donc ouvert sa propre salle. «Je voulais apprendre aux gens à bouger pour d’autres raisons que celle de transformer leur corps», ajoute-t-elle. Jenna Doak tâche donc de convaincre ses clients qu’il y a des avantages à faire de l’exercice qui n’ont pas grand-chose à voir avec la perte de poids.
«À ceux qui viennent me voir munis d’objectifs précis pour le corps, je fais prendre conscience que perdre des centimètres ou réduire radicalement la graisse corporelle n’est pas aussi facile qu’on veut le faire croire», explique-t-elle.
Soyez indulgent avec vous-même, arrêtez de vous sentir coupable tout le temps.
Le synonyme du bien-être
Réduire le poids, la part de graisse et le tour de taille n’est pas nécessairement synonyme de bien-être. Pour la Dre Valerie H. Taylor, directrice du service de psychiatrie à l’Université de Calgary, une bonne santé durable commence à l’intérieur de soi. «Ce sont les changements progressifs de comportement qui améliorent la qualité de vie. Parfois cela s’accompagne de perte de poids, mais pas toujours. Si l’état d’esprit est bon, on se sent mieux plus facilement, quels que soient son poids et son indice de masse corporelle.»
Valerie Taylor consacre une partie de ses recherches au point de rencontre de la santé mentale et de l’obésité, selon des approches plus personnelles du rapport au poids, de manière à réduire la pression sociale qui impose ses canons et de se concentrer sur son propre bonheur. «Il n’y a pas une seule bonne façon de perdre du poids, rappelle-t-elle. Il importe plutôt que chacun développe une image positive de soi et adopte un profil de santé générale sans chercher à atteindre un résultat particulier sur le pèse-personne.»
Suivez ces conseils de mannequins «taille plus» pour reprendre confiance en vous et en votre corps .
Vouloir simplement un corps plus tonique et fort
Cleo Ellis, directrice d’un bureau de conseils en communication à Toronto, a compris l’enjeu. Après avoir vécu à Edmonton et à Vancouver, Toronto lui a semblé mieux convenir à la marche – elle a découvert du même coup qu’elle n’était pas en forme. «Je ne détestais pas mon corps plus gros, mais je voulais le rendre plus fort et lui donner tout ce que je pouvais», explique-t-elle. Bien qu’elle ait perdu près de 20 kg, pour elle, la positivité corporelle, c’est accepter le corps de toutes les tailles. «Mon but n’a jamais été d’atteindre un certain poids», insiste-t-elle.
L’exemple de Cleo Ellis relance la question de savoir si l’adepte de la positivité corporelle peut quand même vouloir perdre du poids. Pour ma part, je répondrais par un oui hésitant – hésitant, en effet, parce que, dans mon cas, tout repose sur ma capacité de me débarrasser de la honte que j’éprouve pour mon corps et de transformer mon rapport à la beauté.
Comme le dit Jenna Doak, il faut se demander pourquoi on veut perdre du poids. «Si c’est pour être plus jolie et plus sexy, on s’éloigne de la positivité corporelle, dit-elle. Mais si vous le faites pour d’autres raisons que l’apparence, alors oui, c’est penser à soi de manière positive.»
L’influence et la pression qu’exerce la société
La réponse est dans l’intention. Elle exige un examen constant de la culture dans laquelle nous baignons qui, à coups de diktats sur la minceur et la beauté, impose une alimentation stricte et prône l’exercice comme punition et non comme plaisir. Dans mon cas, ignorer ces consignes exige un effort quotidien. Tous les jours, je dois trancher entre être ma coéquipière ou être mon ennemie.
Quand j’étais plus jeune, mes ennemis étaient d’ailleurs nombreux: mes petits camarades, mes persécuteurs, le gym, la nourriture, le pèse-personne, mon médecin… Il y avait aussi pourtant des lieux où je pouvais oublier que mon poids me rendait indigne. Replonger dans ces mondes jadis effrayants, comme lors de ma première séance de cardiovélo, est plus facile à dire qu’à faire. Et persévérer dans des mouvements qui me permettent de retrouver mon corps, de me détendre et de soulager mon stress – sans vouloir pour autant perdre du poids – est difficile pour celle qui a toujours pensé que l’exercice n’avait d’autre objectif que d’affiner sa taille.
La honte que la militante de la positivité corporelle que je suis devenue éprouve encore parfois quand elle sent la pression de la perte de poids n’a pas lieu d’être. Pourquoi faire semblant de ne pas avoir grandi dans une société qui voulait me faire mincir? Condamner les femmes qui ne sont pas à la même étape du long voyage vers l’estime de soi ne changera rien à la culture de la perfection dans laquelle nous sommes encore embourbés.
Il m’arrive de m’imaginer mince, belle comme le veut la norme et menant une vie soi-disant parfaite. Mais je ne m’éternise pas dans cet univers hypothétique. Ce monde n’est pas le nôtre.
Adoptez ces gestes pour augmenter la confiance en vous.
©2019, MEAGHAN WRAY/ST. JOSEPH COMMUNICATIONS. EXTRAIT DE «I IDENTIFY AS BODY POSITIVE, BUT I STILL THINK ABOUT LOSING WEIGHT *A LOT*», FLARE (25 FÉVRIER 2019), FLARE.COM