Les Canadiennes musulmanes et le sport : abolir les barrières
Au Canada, les obstacles qui nuisaient à la participation des Musulmanes aux sports organisés sont en voie de disparition.
Depuis sa participation dans l’équipe de soccer de l’Université de Toronto et dans une ligue régionale, Shireen Ahmed n’avait jamais joué au soccer. C’était il y a plus de 10 ans et aujourd’hui, elle se remet à la pratique compétitive. Elle est encore aussi rapide et acharnée qu’auparavant, mais elle a légèrement modifié son uniforme. Aujourd’hui, elle porte le foulard ou hijab. Elle a pris cette décision durant ses études, après avoir participé à une conférence où le port du hijab était obligatoire. « Ce fut une décision spontanée, explique Shireen Ahmed. On m’avait toujours dit que j’avais le choix. Après la conférence, j’ai hésité à l’enlever et je ne l’ai pas fait. » Cette décision l’a contrainte à accrocher ses crampons, du moins jusqu’à ce que les officiels d’une ligue locale s’ouvrent à l’idée de laisser les footballeuses, comme elle se définit elle-même, porter le hijab.
Sa décision de retourner sur le terrain est d’autant plus remarquable que, d’après ses propres observations, il est toujours très rare d’y voir des femmes de sa confession. Même si elle regarde son parcours avec modestie, elle croit avoir pris la défense du droit des femmes à la pratique sportive et être un bon exemple pour plusieurs mères.
Âgée de 35 ans, cette résidente de Mississauga en Ontario fait du travail social auprès des immigrants. Elle ne fait pas face aux mêmes barrières sociales et politiques que les athlètes féminines d’autres pays comme l’Arabie Saoudite par exemple. Dans ce royaume ultra-conservateur, la judoka Wojdan Shaherkani et la sprinteuse Sarah Attar sont devenues les premières femmes à participer aux Jeux olympiques. Shireen Ahmed fait tout de même une uvre de pionnière.
Les obstacles qui nuisaient à sa présence sur le terrain de soccer commencent finalement à s’estomper. En juillet 2012, la Fédération internationale de football annulait son interdiction de porter le foulard ; cette décision a ouvert la voie aux clubs nationaux et régionaux de divers pays, dont le Canada. La ligue estivale dans laquelle jouait Shireen Ahmed, située d’abord à Burlington puis ensuite à Oakville en Ontario, a amendé ses règlements afin de permettre le port du hijab et de vêtements Capri plus longs. Au Canada, plusieurs Musulmanes choisissent de porter des pantalons et des manches longues en plus du foulard. Mais tout n’évolue pas rapidement partout : l’an dernier, à Gatineau, une association régionale de soccer a défrayé les manchettes pour avoir suspendu, pour des raisons de sécurité, une jeune fille âgée de neuf ans qui portait un foulard.
À l’extérieur du terrain, les Musulmanes canadiennes font face à d’autres obstacles non pas dans le domaine compétitif, mais simplement pour rester en forme. Lorsqu’on pense aux vêtements moulants en lycra qui sont utilisés dans le monde de l’entraînement, force est de constater que les normes islamiques sur la modestie ne conviennent pas forcément à la mode du conditionnement physique.
Mais la situation évolue. Heureusement, certains centres récréatifs et de conditionnement physique commencent à offrir des périodes d’activité uniquement pour les femmes. Depuis 2011 par exemple, la ville d’Edmonton propose des périodes de natation réservées exclusivement aux femmes à l’une des piscines municipales et celles-ci sont fréquentées par les Musulmanes. Pour plusieurs d’entre elles, c’est un environnement beaucoup plus confortable.
Une autre possibilité consiste à fréquenter des clubs de santé ouverts exclusivement aux femmes comme ceux de la chaîne GoodLife. Ceux-ci ne sont pas nouveaux puisque les premiers centres GoodLife sont apparus en 1983 et on en compte aujourd’hui plus d’une soixantaine à travers le pays. De plus, 35 autres clubs offrent des sections réservées uniquement aux femmes. Une autre chaîne qui s’adresse exclusivement aux femmes, Curves, lancée en 1992 aux États-Unis, compte maintenant plus de 300 adresses au Canada.
Âgée de 24 ans, Samar Assaff est entraîneures personnelle au centre GoodLife de London en Ontario. Elle a commencé à porter le foulard il y a un an environ. Elle estimait qu’environ la moitié de la clientèle du club était musulmane dont plusieurs de ses propres clientes, ce qui démontre qu’un environnement féminin répond aux besoins de cette communauté.
Mais Samar Assaff pense également que l’emplacement et les horaires des clubs féminins ne sont pas aussi pratiques que ceux des clubs mixtes. « Certains clubs mixtes sont ouverts 24 heures, et il est plus facile pour moi d’y aller en raison de mon horaire. » Mais dans ces clubs, elle doit se vêtir différemment, ce qui complique sa tâche. « C’est beaucoup plus chaud lorsqu’on est habillée en long, précise-t-elle. » Elle fait ainsi référence aux préceptes de sa foi qui demandent de s’habiller avec modestie en présence des hommes. Pour plusieurs Musulmanes canadiennes, cela signifie se couvrir la tête et le corps.
Jessica Keats est âgée de 34 ans et elle enseigne le yoga dans l’Ouest d’Ottawa. En 2007, pendant qu’elle travaillait à l’obtention de son accréditation Canfitpro, elle était la seule à porter un foulard durant les séances d’entraînement. Elle est toujours une espèce rare. Cependant, elle n’a jamais eu d’expérience négative à s’entraîner ou à diriger une classe. Parfois, des Musulmanes recherchent spécifiquement ses services parce qu’elles savent qu’elle sera sensible à leurs besoins.
En fait, ses cours attirent également d’autres femmes qui désirent s’habiller sobrement pour s’entraîner, dont des membres de la communauté juive orthodoxe. « Elles désirent être complètement vêtues et veulent aussi que les fenêtres soient recouvertes pour que personne ne puisse les voir. Je tiens compte de ces aspects lorsque je leur enseigne. »
L’expérience de Shireen Ahmed sur les terrains de football, qu’elle a relatée sur son blogue Tales from a Hijabi Footballer s’est aussi avérée positive. Il est évident que ses vêtements attiraient la curiosité sur le terrain, mais à titre de Canadienne née de parents immigrés du Pakistan, elle affirme être habituée à la curiosité des autres. « J’ai grandi à Halifax au cours des années 80. Je me suis habituée très tôt au fait que j’étais différente. »
Une des raisons pour lesquelles Shireen Ahmed se remet à la pratique du soccer compétitif est l’avantage qu’elle en retire pour la santé : une partie lui permet de faire travailler le système cardiovasculaire pendant 90 minutes. Son mari appuie d’ailleurs pleinement cette décision qu’elle a prise aussi pour ses quatre enfants : une fille âgée de 11 ans et trois garçons de 13, 8 et 7 ans. Je veux qu’ils puissent me voir jouer et constater que mon foulard n’est pas une nuisance, affirme-t-elle. Il est parfois bon d’éviter de faire des suppositions et c’est ce que j’essaie de faire. »
Ces trois femmes font partie d’un groupe démographique qui croît rapidement; d’ici 2030, l’année où Shireen Ahmed célébrera ses 52 ans, la population musulmane au Canada devrait avoir triplé pour atteindre 2,7 millions. Cela signifie qu’il y aura un très grand nombre de femmes qui voudront rester actives en cherchant des moyens de respecter leurs coutumes. Shireen Ahmed voit déjà des changements sur les terrains de soccer. « Bien sûr, je suis la seule femme plus âgée et de couleur à porter le hijab. Mais chez les plus jeunes, la diversité est tout simplement fantastique. »