Le laboratoire du sommeil pourrait-il vous aider?
Si vous souffrez d’insomnie, la solution pourrait bien consister à dormir une nuit dans un laboratoire du sommeil, sous la loupe des chercheurs!
Imaginez la scène: vous êtes dans un laboratoire clinique, entouré de parfaits inconnus. L’un d’eux vous conduit dans une petite pièce et vous fait étendre; il pose des électrodes sur votre tête et votre corps. «Pourrez-vous lire dans mes rêves?» lui demandez-vous à la blague. Votre naïveté le fait sourire et il quitte la pièce. «Essayez simplement de dormir,» répond-il en éteignant la lumière.
Cette scène ne fait pas partie d’un cauchemar. Il s’agit d’une histoire vécue, deux en fait,
C’est à cela que ressemble une nuit dans l’un des 100 laboratoires du sommeil au Canada. Je vais vous raconter comment cela s’est passé pour moi et pour mon amie Nikki.
Coordonnatrice d’un département de production télévisuelle, Nikki a 29 ans et est insomniaque. Elle craint de se mettre au lit: «je m’étends et j’attends, j’attends et j’attends, regardant sans fin mon cadran,» raconte-t-elle. Pour ma part, je suis un écrivain à la pige, j’ai 28 ans et j’ai vraiment l’horaire de sommeil d’un travailleur autonome. J’ai besoin de beaucoup de sommeil et parfois, je fais une sieste en après-midi, mais je ressens toujours des maux de tête et je souffre de fatigue.
Sur les cinq millions de Canadiens qui éprouvent des problèmes de sommeil, il y a seulement deux types de personnes qui font appel à un laboratoire du sommeil, explique le docteur Charles Samuels, directeur médical au Centre de Calgary sur le sommeil et la performance humaine. «Il y a les désespérés qui nous supplient de les recevoir au laboratoire et d’autre part, des gens qui ne connaissent rien d’un laboratoire du sommeil et qui sont complètement décontenancés à la seule idée d’y être». Nikki ne s’est jamais sentie reposée depuis l’école secondaire; elle fait partie du premier groupe. De mon côté, je me situe dans l’autre, ayant dû par nervosité changer deux fois la date de mon rendez-vous.
À quoi s’attendre?
Les laboratoires peuvent recevoir peu de personnes et ont de longues listes d’attente; leur nombre est limité dans les différentes villes du pays. «Dans certaines provinces, les services sont partagés entre l’hôpital et les centres communautaires sur le sommeil», explique le docteur Samuels. Les frais de l’évaluation à l’hôpital sont pris en charge par le gouvernement. La nuit dans un centre communautaire sur le sommeil peut être payée par le gouvernement ou votre assureur privé; vous aurez donc une partie des coûts à défrayer pour ce service, mais vous bénéficierez d’un excellent soutien et d’une chambre confortable, un peu comme dans un hôtel.
Mais dans les deux cas, la procédure est assez similaire. Après une recommandation de notre médecin respectif, Nikki s’est présentée au centre et moi à l’hôpital, vers 19 heures. Chacun apporte un peu de tout: collation, oreiller, lecture’ On assigne à chaque personne une petite chambre dotée d’un lit simple et on nous remet un long questionnaire: vous endormez-vous en lisant? Ronflez-vous? Avez-vous subi un traumatisme dernièrement? Quels adjectifs pourraient le mieux vous décrire? Qu’avez-vous fait aujourd’hui?
Nous avons tous les deux suivi les directives du laboratoire: le soir précédent, manger et dormir normalement et ne faire aucune activité comme un marathon de course à pied qui pourrait élever notre niveau de fatigue au-delà de la normale. «Notre objectif est d’observer une nuit de sommeil typique», explique Thom Russell, technicien en polysomnographie, une technique permettant d’enregistrer les ondes cérébrales durant le sommeil. Il faut habituellement six heures de sommeil pour obtenir une lecture valable; même ceux qui dorment peu ou ont le sommeil léger y arrivent habituellement au cours d’une seule nuit.
Et c’est là que le cauchemar commence: un clinicien ou un technologue vous fixe des électrodes partout sur le corps, au moyen de ruban adhésif, pour les maintenir en place si vous tournez au cours de la nuit. Le docteur Russel précise «qu’il y a généralement 10 électrodes sur la tête, deux sur chaque jambe, deux sur la poitrine pour enregistrer le rythme cardiaque; on installe aussi deux capteurs dans le nez pour mesurer le débit d’air, un bandeau autour de la poitrine et de l’abdomen, un oxymètre sur le doigt pour mesurer le degré d’oxygénation du sang et un microphone au cou pour capter les sons.» Nikki qui a le sommeil léger a trouvé son petit lit et tous ces appareils plutôt inconfortables. De mon côté, j’ai été un légèrement gêné mais j’ai beaucoup apprécié la fraîcheur de mes draps.
Une fois que vous êtes branché comme un robot aux appareils de contrôle, on met les caméras en marche et à 22 heures, on éteint les lumières. Comme l’objectif est de mesurer l’arrivée naturelle du sommeil, vous devez oublier toute votre routine habituelle: il n’est pas permis de lire, de prendre même un demi-verre de vin ou d’écouter le téléjournal. Nikki a eu droit à une grosse voix métallique lui ordonnant par les haut-parleurs de s’endormir. Au moins, mon technologue m’a souhaité une bonne nuit. Un bon point!
«Dans les faits, il n’est pas nécessaire de bien dormir au laboratoire», explique le docteur Samuels. J’ai toujours trouvé étrange de dormir ailleurs qu’à la maison, en particulier lorsque mes gestes sont surveillés et enregistrés. Abandonnez l’idée de dormir comme un bébé ou celle de ne pas pouvoir fermer l’œil. Seul dans une chambre minuscule, votre moral peut dégringoler rapidement. «Je me suis sentie écrasée et déprimée, raconte Nikki. Je me sentais comme dans un asile au cours des années 20.» Personnellement, je ne me sentais pas aussi minable, mais je m’ennuyais. Il m’a fallu environ une heure et demie, comme la majorité des patients, pour trouver le sommeil.
Diagnostic et traitement
À compter de ce moment, les experts se mettent au travail. Selon le docteur Russell, la raison la plus commune pour laquelle les gens viennent au laboratoire est l’insomnie. Mais le diagnostic le plus courant est un trouble de la respiration. Les médecins observent également le syndrome des jambes sans repos, le bruxisme ou grincement de dents, la narcolepsie et d’autres troubles plus graves. Hier, j’ai rencontré une dame qui était tombée dans un puits d’ascenseur par somnambulisme, poursuit le docteur Samuels. Et souvent, il ne constate rien de négatif. «Nous écartons donc les troubles du sommeil, et il y a également du positif à cela.»
Nikki et moi avons la chance de ne pas être somnambules. Mais lorsque nos médecins respectifs ont reçu les résultats, le bilan n’était pas totalement net. On a détecté chez moi huit interruptions de sommeil observables au cours de la nuit, c’est-à-dire un éveil de plus de trois secondes mais dont vous n’avez aucun souvenir le lendemain. On a diagnostiqué une légère apnée du sommeil, soit un arrêt anormal de la respiration causé par un relâchement excessif des voies respiratoires. Je vais essayer de gérer ce trouble en apportant des changements à mon style de vie mais aussi en utilisant un appareil de ventilation à pression positive continue qui prévient l’affaissement des voies respiratoires durant le sommeil. J’aurai aussi besoin d’un appareil dentaire pour m’aider à respirer correctement au cours de la nuit.
Nikki a largement battu mon record, démontrant 14 interruptions du sommeil et sept périodes d’éveil à l’heure au cours de sa nuit au laboratoire. On lui a prescrit un agent d’endormissement. Mais le plus important est qu’elle a été rassurée sur le fait de ne pas s’être plaint pour rien au cours des dix dernières années.
Comme à la suite d’une visite chez le dentiste, Nikki et moi sommes satisfaits après coup, malgré certains aspects déplaisants de l’expérience. Le docteur Russel a vu de nombreux patients au réveil qui affirmaient qu’après tout, ce n’était pas aussi pénible qu’ils avaient envisagé. Le réveil à 6 heures du matin n’avait rien d’agréable, mais 10 minutes après, j’étais débranché, habillé et dans un taxi en route vers mon propre lit que je me suis mis à apprécier différemment.