Le bon côté de l’anxiété
S’inquiéter, oui, mais de la bonne façon.
En voyage, je suis anxieuse. Je me présente à l’aéroport et à la gare bien en avance, je vérifie plusieurs fois tous mes documents. J’ai la mâchoire contractée et un nœud dans l’estomac jusqu’à ce que j’arrive à ma destination. Les personnes qui ne souffrent pas d’anxiété se moquent de ma nervosité excessive. Avant, cela me contrariait, je pensais être irrationnelle, faible. Plus maintenant. J’ai appris à respecter mon hypervigilance. J’ai appris qu’il pouvait y avoir un bon côté à l’anxiété.
Récemment, en traversant une route de campagne au début d’un long voyage qui aurait principalement lieu sur une grande autoroute, j’ai eu l’intuition que quelque chose pourrait mal se passer. Et si je manquais d’essence? me suis-je inquiétée, alors que la réserve était encore importante. Lorsque j’ai aperçu une station-service juste avant la bretelle que j’allais emprunter pour rejoindre l’autoroute, j’ai cédé à mon anxiété. J’ai refait le plein. Juste au cas. C’est là que je me suis rendu compte que l’un de mes pneus avant était très dégonflé. Si j’avais ignoré mon sentiment de malaise, rationalisé mon anxiété, le pneu aurait pu éclater à grande vitesse sur l’autoroute. Mon besoin tenace de prévoir les choses même lorsque ce n’est pas absolument nécessaire m’a soustraite à une éventuelle catastrophe.
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Une anxiété «diabolisée»
Un nombre croissant de psychologues et neuroscientifiques rappellent désormais que l’anxiété et autres émotions négatives ont leur raison d’être. Selon Tracy Dennis-Tiwary, notre culture les diabolise trop. Elle connaît bien le sentiment d’être parfois submergé par l’anxiété. Lors d’un moment d’intense travail, raconte ce professeur de psychologie et neurosciences à la cité universitaire du Hunter College de New York, ses préoccupations ne cessaient de la réveiller à 4h du matin.
Au lieu d’essayer de faire disparaître ces émotions déconcertantes, elle leur a prêté une oreille attentive. «Écouter son anxiété est une chance d’apprentissage. Dans mon cas, une erreur importante commise au travail est finalement remontée à la surface de mon esprit. Je m’en suis avisée, je lui ai fait face, j’en ai tiré une leçon. J’ai pris en note deux ou trois solutions pour régler le problème.» Le lendemain, elle s’est sentie beaucoup mieux.
Directeur du Well-Being Lab à l’université George Mason, en Virginie, le psychologue Todd Kashdan critique ce qu’il appelle l’«idéologie naïve du bonheur». Nous n’avons pas à choisir entre être systématiquement souriants et sereins, et vivre à l’ombre de l’image négative que nous nous faisons de nous-mêmes et du monde. Parfois, dit-il, l’anxiété est un bon guide. Vous avez le vertige? Très bien, vous ne serez pas de ceux qui tombent dans un ravin en prenant un selfie.
Ces spécialistes se demandent si le rôle naturel que l’anxiété joue dans notre vie n’aurait pas tendance à être oublié. L’Organisation mondiale de la santé a ainsi annoncé en mars 2022 que la prévalence de l’anxiété et de la dépression avait augmenté de 25% au cours de l’année 2021 dans le monde. Voilà, selon elle, un signal «pour inciter tous les pays à améliorer leurs services de soutien en santé mentale». Mais a-t-on vraiment affaire à un problème de santé publique? Ne pourrait-on pas plutôt dire que des millions de gens ont raison d’éprouver des sentiments d’incertitude, de stress et de peur?
La différence est importante. Aux États-Unis, par exemple, le ministère de la santé et des services sociaux recommande désormais le dépistage systématique de l’anxiété par les médecins de famille. Bien. On reconnaît ainsi l’effet des troubles anxieux sur les personnes à risque. On peut tout de même se demander si ce genre de mesure ne fait qu’en pousser certains aux traitements et aux médicaments. Aurions-nous perdu de vue les avantages de nos doutes et de nos inquiétudes?
On peut traverser des phases de désarroi sans être pour autant atteint d’un trouble mental, expliquent les psychologues comportementalistes. L’anxiété est une stratégie d’adaptation développée au cours de l’évolution humaine. Elle nous aide à nous préparer à un avenir incertain, à «rester vigilants», note Tracy Dennis-Tiwary. Elle contribue à la projection de solutions à des problèmes éventuels. «D’un point de vue évolutionniste, l’anxiété est la meilleure émotion pour nous aider à gérer l’incertitude, affirme-t-elle, car elle nous force à exécuter ces simulations de type et si?»
La neuroscientifique Wendy Suzuki de l’université de New York dit de même. «Si on réduit l’anxiété à une émotion à éviter, à atténuer, ou dont il faut se défaire, non seulement on ne résout pas le problème au sujet duquel on est alerté, mais on manque également une chance d’utiliser le pouvoir générateur de l’anxiété.»
«Générateur», en ce que cette émotion peut nous encourager à nous arracher à une situation qui ne fonctionne plus pour nous, à trouver l’énergie pour débloquer les choses. En état anxieux, en effet, la quantité de dopamine dans le cerveau augmente, ce qui nous force à agir. Il y a des millions d’années, cela voulait dire, par exemple, chercher un abri pour échapper à des prédateurs. Aujourd’hui, c’est peut-être plutôt quitter un travail en raison d’un patron au comportement difficile.
Si l’on n’affronte pas son anxiété, on en perd les avantages et l’on peut même aggraver la situation. J’en suis l’exemple parfait: j’ai longtemps caché, sans les ouvrir, toutes les enveloppes reçues du fisc dans un tiroir, même si, vraisemblablement, il ne s’agissait que de mises à jour de routine ou de banals rappels. C’était devenu une véritable phobie. Selon Alice Boyes, titulaire d’un doctorat en psychologie clinique, gérer des sentiments déplaisants en les évitant ne fait que renforcer l’insécurité, car on se conforte ainsi dans la conviction d’être incapable de résoudre les problèmes: «Avec le temps, vous vous sentirez de moins en moins compétent.»
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Comment maîtriser son anxiété?
La clé est de maîtriser son malaise avant qu’il ne vous submerge, comme on s’occupe d’un jardin pour éviter que les mauvaises herbes l’envahissent. Mais comment faire? Parmi les solutions possibles, Wendy Suzuki, de l’université de New York, évoque la méditation, l’exercice, les connexions empathiques comme le bénévolat, l’accès à la nature et le recadrage mental de l’expérience vécue. Mais quelle est la meilleure façon de gérer son anxiété?
La neuroscientifique raconte le cas d’un entrepreneur de start-up qui commençait à se sentir intimidé par tout ce qui pourrait mal se passer dans son projet à haut risque. Cela générait toutes sortes de «et si?» qui l’empêchaient de dormir. Il dramatisait. Puis, après avoir discuté avec un vieil ami et mentor, il a fait appel à un nouvel outil: le «recadrage». Il a transformé ses «et si?» en liste de choses à faire en vue d’un objectif. «Si cela se produisait, que pourrais-je faire? Eh bien, je pourrais faire X.»
Tracy Dennis-Tiwary confirme que ce recadrage est essentiel. Elle mentionne une étude de l’université Harvard de 2013 dans laquelle des personnes souffrant d’anxiété sociale devaient parler en public. Les chercheurs ont indiqué à certains sujets que le fait d’avoir les paumes moites et la bouche sèche ou les genoux qui flageolent était bon signe, un «outil de gestion positif» qui optimisait le corps pour bien se tirer d’affaire. Les orateurs nerveux qui avaient entendu ce message présentaient une tension artérielle plus basse et un rythme cardiaque plus lent. En d’autres termes, ils avaient trouvé le juste milieu leur permettant d’être prêts à relever le défi sans être distraits et alarmés par leur propre nervosité.
Il s’agit d’une découverte remarquable. Ce qu’elle révèle, c’est que nous pouvons reformuler nos peurs pour qu’elles nous aident. Il y a plusieurs années, j’étais la dernière d’une longue liste d’intervenants à un événement TEDx. Le théâtre était trop climatisé. J’attendais, assise et frissonnante, de plus en plus nerveuse, craignant d’oublier mon discours au sujet d’un livre que j’avais récemment écrit sur la mort. Plus ce dialogue entre le corps et l’esprit se poursuivait en un cercle vicieux de tension physique et d’anxiété mentale, plus il devenait lourd, au point que mes jambes s’engourdissaient et que j’avais peur de tomber de la scène. C’est un miracle que je sois parvenue à terminer ma conférence.
Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, j’aurais fait les cent pas et me serais étirée dans le couloir pour que mon corps reste échauffé et ma respiration calme, un peu à la manière d’un athlète avant une compétition. J’aurais tout de même été nerveuse, mais j’aurais géré ce sentiment de manière active.
«La difficulté réside dans ce que notre perception de l’anxiété nous empêche de croire que nous pouvons la surmonter, affirme Tracy Dennis-Tiwary, qui soutient que l’anxiété n’est pas le problème. C’est le messager qui nous prévient que nous sommes face à l’incertitude et devons relever le défi. Ou bien elle nous montre les aspects de notre vie qui doivent changer, ou bien elle nous rappelle que nous avons besoin de soutien.»
Pour plus de conseils, voici 50 bonnes habitudes pour une meilleure gestion du stress et de l’anxiété.
Des manières de «bien s’inquiéter»
Nous sommes capables de gérer notre anxiété. Les conseils de Wendy Suzuki pour «bien s’inquiéter» incluent la méditation, dont il a été démontré qu’elle affecte l’amygdale. De la taille et la forme d’une grosse amande, c’est la glande du cerveau responsable d’envoyer des signaux d’alarme liés à la peur et l’anxiété. La méditation peut calmer cette partie du cerveau.
L’exercice aide aussi. Wendy Suzuki a mené des expériences avec certains de ses étudiants et découvert que même un entraînement de 10 minutes permettait à ses élèves de se sentir moins nerveux avant un examen. Alors rendez-vous à la salle de sport, défoulez-vous sur une piste de danse ou partez en randonnée. Passer simplement du temps à la lumière du jour et dans des espaces verts, ce que les Japonais appellent «bain de forêt», peut restaurer votre sentiment d’équilibre psychologique. Après tout, nous avons évolué en harmonie avec la nature.
Depuis que je sais que l’humour augmente la production d’oxytocine, une hormone qui améliore les liens sociaux et le sentiment d’appartenance, j’écoute parfois des spectacles d’humoristes pour me calmer. Le lien social, le toucher, et le fait d’adopter une perspective réaliste concernant les souffrances des autres ont un effet apaisant, c’est pourquoi le bénévolat et l’implication dans la collectivité aident. (Durant la pandémie, l’isolement a très bien pu être un facteur déterminant dans le pic d’anxiété noté par l’OMS.)
Ces techniques peuvent nous éviter le cercle vicieux de la peur qui se renforce. Le truc, comme le dit Tracy Dennis-Tiwary, est d’écouter l’anxiété, puis de s’en servir pour mettre en place des changements nécessaires ou une planification supplémentaire – comme je l’ai fait lorsque j’ai entamé mon voyage en voiture. «Puis, conseille-t-elle, lâchez prise. C’est une vague sur laquelle vous devez apprendre à surfer.»
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