L’art thérapeutique pour aider la santé mentale
Depuis 30 ans, et plus que jamais, la mission des Impatients s’avère précieuse: l’art thérapeutique pour ceux et celles qui en ont le plus besoin.
Des officines du Tribunal pénal international des Nations Unies pour le Rwanda aux allées des quincailleries Rona, rien ne semblait destiner Frédéric Palardy, ancien avocat criminaliste, à diriger Les Impatients, un organisme soutenant les personnes atteintes de problèmes de santé mentale par l’entremise de l’expression artistique. Rien, sauf peut-être le fait que sa mère, Lorraine B. Palardy, en est la fondatrice. À l’époque, les premiers ateliers se tenaient à Pointe-aux-Trembles, alors qu’aujourd’hui on en compte dans 13 villes du Québec, fréquentés par 850 participants par semaine.
Depuis 2013, Frédéric Palardy poursuit cette noble mission, animé par la profonde conviction que malgré leurs souffrances liées à la schizophrénie ou à la bipolarité, des hommes et des femmes peuvent créer, cultiver des passions (pour la peinture, la sculpture, la musique), donner un sens à leur vie et s’intégrer dans une communauté. Et s’ils se définissent comme «Impatients», c’est loin d’être un défaut: pendant les ateliers, ce ne sont pas des patients qui manipulent des pinceaux ou des ciseaux, mais des impatients qui veulent trouver le chemin de la guérison.
À sa manière, Frédéric Palardy plaide admirablement leur cause, leur donnant bien sûr les moyens de matérialiser leurs visions artistiques, mais aussi le bonheur indescriptible d’être vus et entendus le plus souvent possible. Une ambition freinée par la pandémie, mais toujours soutenue par le directeur général à l’heure des festivités du 30e anniversaire de la fondation.
Certains disent que l’on pratique l’art-thérapie aux Impatients, mais vous insistez sur le fait qu’il s’agit d’art thérapeutique. Est-ce une nuance importante?
Nous avons des art-thérapeutes, mais les animateurs de nos ateliers sont majoritairement des artistes. Un art-thérapeute peut demander à 10 participants de dessiner la colère, et chacun compare son dessin. Chez nous, ce n’est pas dirigé, on invite les participants à créer. Comme disait une Impatiente: «Aujourd’hui, si j’ai le goût de mettre juste du noir sur ma feuille, je peux, c’est la liberté totale.» Au fond, ce qui devient thérapeutique, c’est de créer quelque chose dont on se sent fier. Comme lorsqu’on organise un encan au Musée d’art contemporain de Montréal et qu’une de leurs œuvres est placée entre un Riopelle et un Marc Séguin.
Depuis que vous êtes à la barre des Impatients, vous accordez une plus grande importance à la prévention en santé mentale auprès de différentes clientèles (jeunes de la DPJ, étudiants, militaires, travailleurs en burnout, etc.). Est-ce un objectif facile à atteindre?
Disons plutôt de moins en moins difficile à concrétiser. Ma mère aurait bien voulu le faire, mais ses chances de réussite étaient à peu près nulles: il y a 10 ans, la société n’était pas prête. C’est vrai que la prévention est un concept flou, mais aujourd’hui, des étudiants nous disent: je ne dors pas de la nuit parce que je souffre d’anxiété et que je prends des médicaments. Ils ne sont ni schizophrènes ni bipolaires, n’iront pas à l’hôpital, mais éprouvent des problèmes de santé mentale. On ne veut pas enlever de la place pour les cas lourds, nous continuons de développer des ateliers pour eux, mais on tient à ajouter ce volet de prévention.
De la même façon que l’on parle de plus en plus de santé mentale, avez-vous l’impression que la mission des Impatients est mieux comprise?
Je vous donne un exemple qui illustre l’évolution de la perception de la santé mentale et de notre organisme. Il y a 30 ans, les participants ne mettaient pas leur nom sur leurs œuvres parce qu’ils étaient gênés d’être associés à un problème de santé mentale. Il y a 20 ans, ma mère avait eu un rendez-vous avec les plus grandes instances de la santé mentale au Québec, et on lui a fait comprendre qu’on aimait bien Les Impatients, mais l’organisme était tout au bout de la comète, pas du tout une priorité. En fait, à cette époque, personne ne croyait à l’alliance entre l’art et la santé mentale, aux principes de base des Impatients qui sont de mettre la beauté de l’avant. Si vous avez visité des hôpitaux psychiatriques, vous savez de quoi je parle. Or, qu’est-ce qui illustre la politique de santé mentale du ministre Lionel Carmant lancée en janvier dernier? Une œuvre d’un Impatient, et en page trois, un encadré sur la mission de l’organisme de même que le nom de l’artiste.
Vous vous définissez comme un avocat… défroqué! En quoi votre ancien métier est-il utile dans vos fonctions de directeur?
À la base, je souhaitais défendre la veuve et l’orphelin, pas la mafia. Mon métier d’avocat criminaliste ne me manque pas, mais c’est utile pour tout, dont la gestion des problèmes. Si je reçois une mise en demeure, ça ne me fait pas peur, et les employés sont rassurés. Mais là où c’est le plus utile, c’est dans l’expression de l’empathie; cette formation m’a fait voir l’être humain derrière le client. Ma perception de la vie a d’ailleurs beaucoup changé quand j’ai travaillé au Tribunal pénal international pour le Rwanda. J’ai interrogé une victime du génocide qui vivait dans un camp de réfugiés au Malawi. Elle m’a montré une énorme cicatrice juste en haut du buste: une lance avait traversé tout son corps et elle tenait son bébé dans le dos… Qu’est-ce qui peut être pire dans la vie? Depuis ce temps-là, je relativise mes problèmes et je suis animé par l’envie d’aider.
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