Le phénomène de l’hypnose médicale
Un voyage imaginaire contre la douleur et l’anxiété de jeunes patients: découvrez cette expérience d’hypnose médicale chez une famille.
Dans un corridor de l’Hôpital de Montréal pour enfants, un adolescent de 16 ans, cheveux en broussailles, l’air détendu et vêtu de la traditionnelle jaquette bleue des centres hospitaliers, rencontre la radiologue qui va procéder dans quelques minutes à sa biopsie. D’une voix douce et rassurante, la Dre Tatiana Cabrera lui explique le déroulement de la procédure. Alexandre Beaulieu sait très bien ce qui l’attend, car depuis sa greffe rénale il y a plus de 14 ans, à la suite d’une maladie génétique, il a subi au moins 20 biopsies pour vérifier si l’organe légué par un donneur décédé continue à bien fonctionner.
«Quand j’étais petit, je détestais subir une anesthésie générale, car au réveil je me sentais étourdi et j’avais mal au cœur», explique le jeune homme, originaire de Saguenay. Mais heureusement, tout a changé. Pour la quatrième fois, il a choisi l’hypnose médicale. «Maintenant je n’ai plus besoin de prendre de remède calmant avant l’intervention. Je ne souffre pas et je suis beaucoup moins anxieux après», explique Alexandre.
Après le départ de la radiologue, une jeune femme au regard brillant s’approche de lui. Il la reconnaît et lui sourit. Vicky Fortin est technologue en imagerie médicale. Son travail consiste à assister le médecin en salle d’opération, mais depuis 4 ans elle est aussi hypnothérapeute médicale.
En marchant avec son jeune patient vers la salle de procédure, elle le fixe dans les yeux en lui posant quelques questions qui peuvent sembler banales. «Ton prénom est bien Alexandre? Tu es ici pour la biopsie? Tes parents t’accompagnent? » L’adolescent se prête au jeu et répond oui systématiquement.
«C’est une technique qui prépare le cerveau à répondre par l’affirmative pendant l’hypnose. J’utilise aussi sa manière de s’exprimer, ses mots, pour créer une relation de confiance. Il doit ressentir que c’est lui le plus important», dit Vicky, qui ajoute sur un ton qui se veut magique: «Aujourd’hui, Alexandre, je t’offre la possibilité de faire un beau et long voyage à l’intérieur de toi!» Il répond sans hésiter par l’affirmative.
Pendant qu’il s’allonge sur la table d’examen, une autre technologue en imagerie médicale prépare les instruments. La lumière est tamisée, transformant la pièce froide et austère en un endroit qui incite à la détente. Concentrée, Vicky reste complètement au service d’Alexandre à qui elle parle continuellement. «Où veux-tu aller?» Il répond qu’il veut jouer dans la neige. Elle lui demande alors de fixer un de ses doigts. Ses paupières deviennent lourdes. Il est en transe. Le délai pour s’y rendre varie selon les patients et peut prendre de quelques secondes à quelques minutes.
Pour Alexandre, 5 minutes suffisent pour le transporter hors de lui-même. «C’est comme regarder un film sans se rendre compte que les gens parlent et marchent autour de toi», précise Vicky Fortin. La seule chose qu’elle ne peut faire, selon la loi, c’est de l’hypnose de régression. C’est-à-dire amener le patient dans le passé pour comprendre ses blessures et, éventuellement, guérir. «C’est réservé aux psychologues», ajoute-t-elle.
De toute façon, ce n’est pas ce qu’elle recherche. En pleine conversation, Alexandre passe par moments d’une hypnose légère à profonde. Assise près de lui, et surveillant ses moindres réactions, elle le guide sur une montagne enneigée. «Tu as les deux pieds dans la neige qui tombe du ciel. Tu peux imaginer les flocons, les toucher…»
Vicky l’entraîne ensuite dans une longue glissade en traîneau pendant que la radiologue s’approche pour procéder à une anesthésie locale sur son ventre. Il ressent légèrement le froid de l’analgésie, mais s’imagine que c’est la neige qui touche sa peau. «On doit procéder à une anesthésie partielle, car, dans ce cas, l’hypnose ne peut pas faire disparaître complètement la douleur», explique la radiologue Tatiana Cabrera, qui insère son bistouri sous la paroi abdominale pour prélever de petits fragments de tissus qui seront analysés en laboratoire. «L’hypnose nous aide dans notre travail. Les enfants sont beaucoup plus détendus!» constate-t-elle.
La fin d’un rêve
Trente minutes après l’arrivée d’Alexandre dans la salle, tout est terminé. Vicky Fortin lui annonce que le voyage s’achève. Elle fait un décompte. «À 7 tu vas sentir le matelas, la couverture, 5..4..3..2..1…tu ouvres les yeux.» Alexandre semble s’extirper d’un léger sommeil. «Je n’ai rien ressenti, à part une petite pression sur mon ventre au moment de la biopsie», raconte l’adolescent. «L’hypnose médicale, c’est beaucoup mieux que l’anesthésie générale!», répète-t-il, satisfait de ne plus avoir d’étourdissements et de nausées.
«Quand une technologue en imagerie médicale nous a parlé pour la première fois d’hypnose, j’ai trouvé ça étrange, se rappelle Caroline Vincelette, la mère d’Alexandre. On a laissé le choix à notre fils et ça s’est avéré très positif, car il est beaucoup plus calme.»
Avant la première séance avec Vicky Fortin, l’adolescent était nerveux. «On m’a donné un calmant, mais quand on m’a fait l’injection j’ai ressenti la douleur et je me suis mis à pleurer», confie-t-il. Vicky lui a proposé d’arrêter et de réessayer une autre fois, mais il s’est détendu et tout s’est bien déroulé. En transe, il est alors devenu l’acteur d’un jeu vidéo. «Le patient a toujours le choix», explique Vicky, qui a subi seulement un ou deux refus sur les quelque 200 séances réalisées depuis le début en 2019, avec sa collègue, Maryanne Fortin, également technologue en imagerie médicale et hypnothérapeute.
Une première au Québec
Cette année-là, l’Hôpital de Montréal pour enfants devient le premier centre hospitalier pédiatrique au Québec à utiliser l’hypnose médicale pour réduire la douleur et l’anxiété chez des patients qui subissent certaines procédures d’imagerie médicale.
Tout s’amorce deux ans plus tôt, en 2017, lorsque l’ex-directeur général de l’Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale du Québec, Alain Cromp, assiste à un congrès à Bordeaux, en France. Une technologue en imagerie médicale, qui est aussi hypnothérapeute dans un hôpital de Lyon, Claire Benoît-Ruby, présente une conférence sur les avantages de l’hypnose lors de certaines interventions avec des enfants. «J’ai soumis à mon ordre professionnel l’idée d’importer cette façon de faire», raconte Alain Cromp, qui suggère à Johanne L’Écuyer – la chef technologue de l’hôpital de Montréal pour enfants, qu’il connaît bien – de se rendre en France avec une collègue, pour en constater à leur tour les bienfaits.
Pendant une semaine, en avril 2018, elles visitent le Centre hospitalier universitaire de Rouen et l’hôpital Femme Mère Enfant de Lyon. C’est là qu’elles assistent à quelques séances d’hypnose médicale, dont le retrait sans douleur d’un pansement sur une adolescente qui a subi une chirurgie pour une scoliose.
Elles observent aussi un enfant de 8 ans à qui on extrait une tumeur bénigne de la peau en raison d’une prolifération anormale des vaisseaux sanguins.
«Nous avons été emballées de constater comment c’était efficace, alors qu’au Québec on devait faire appel à des anesthésistes dans des situations semblables», se réjouit Johanne l’Écuyer.
Avec l’accord de la direction de l’Hôpital de Montréal pour enfants et de radiologues, l’hypnothérapeute française Claire Benoît-Ruby est invitée au Québec en janvier 2019 et donne une formation de deux semaines à quatre technologues. «Au Québec, vous êtes à la fine pointe de la technologie et de la recherche, mais je me suis rendue compte que l’hypnose médicale est quelque chose de nouveau pour vous», avoue Claire Benoît-Ruby, qui la pratique dans son pays depuis 2008.
L’origine mondiale de l’hypnose médicale et son arrivée au Québec
Dès l’an 2000, la Haute Autorité de santé en France recommandait l’hypnose comme traitement non pharmacologique de la douleur. La première formation universitaire démarre un an plus tard, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Le CHU de Rennes commence à l’utiliser en 2007, dans les unités d’hémato-oncologie et les urgences pédiatriques où l’on constate que 82% des enfants ont ainsi moins de troubles anxieux. «À l’Hôpital de Montréal pour enfants, la formation débute par les injections d’intraveineuses, suivie par la pose de cathéters veineux centraux, les biopsies rénales et thyroïdiennes, les ponctions lombaires et les gastrostomies», énumère Johanne l’Écuyer. Elle dirigera durant les neuf premiers mois de 2019 un projet-pilote démontrant une réduction considérable de l’anxiété et de la douleur chez 101 enfants.
D’autres études prouvent que les jeunes – particulièrement ceux âgés de 7 à 14 ans – sont de vrais surdoués de l’hypnose grâce à leur imaginaire.
«Quelques fois, je fais un lien entre ce que l’enfant a choisi et la salle de procédure qui devient un vaisseau spatial très sophistiqué avec des boutons pour le diriger et une table d’examen qui se transforme en tapis volant!», raconte Vicky Fortin. Le cerveau imagine ce qui est agréable et ignore ce qui se passe réellement autour, car le patient est dans une bulle. Les neurosciences ont prouvé que, durant l’hypnose, différentes zones cérébrales ont une activité modifiée. Le phénomène captive le domaine médical depuis longtemps.
Dès le XVIIIe siècle, le médecin allemand Franz Anton Mesmer tentait de percer le mystère du phénomène hypnotique. En Inde, au début du XIXe siècle, un chirurgien anglais aurait réalisé 345 interventions, dont des amputations et des excisions de tumeurs, en utilisant cette technique. En 1841, en Angleterre, l’ophtalmologue James Braid développe une théorie selon laquelle la concentration sur une pensée peut entraîner un état de sommeil conditionné.
L’apparition des anesthésies à l’éther et au chloroforme, en 1846, fait reculer la pratique de l’hypnose. Mais en 1891, un groupe de médecins de la British Medical Association conclut que son utilisation est efficace dans les traitements de la douleur et des troubles du sommeil. Au XXe siècle, une approche moderne de l’hypnose est développée par le psychiatre américain Milton Erickson qui portera une attention particulière sur la capacité naturelle des enfants à entrer en transe. La Dre Karen Olness, pédiatre aux États-Unis, commencera à enseigner l’hypnose chez les enfants en 1968 et publiera des ouvrages sur le sujet. Elle est aujourd’hui considérée comme la mère de l’hypnose pédiatrique.
Cette pratique non conventionnelle est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé. Au Québec, le ministère de la Santé ne détient pas de détails sur l’étendue de son recours, mais la technique est permise pour la gestion de la douleur.
Une pratique fréquente
À l’unité d’imagerie médicale de l’Hôpital de Montréal pour enfants, jusqu’à six patients profitent chaque semaine d’une séance d’hypnose offerte à tour de rôle par deux technologues. «On aimerait embaucher et former davantage de personnel pour que cela profite à l’avenir en imagerie par résonnance magnétique où il y a une liste d’attente, car les enfants doivent avoir une anesthésie générale pour rester immobiles», précise Carole Proulx, chef technologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Claire Benoît-Ruby réussit à le faire en France même si les jeunes, dissimulés dans l’appareil d’IRM, ne peuvent pas la voir durant l’examen. «J’intègre les bruits violents de la machine dans l’hypnose. Ils peuvent devenir des chevaux au galop!», dit celle qui rêve d’une collaboration France-Québec qui permettrait de développer davantage l’hypnose médicale.
Personne n’a encore comptabilisé les économies que cela représente. «L’hypnose médicale évite des anesthésies générales, la prise de médicaments, et quelques fois des intubations. C’est avantageux, car il y a une pénurie d’anesthésistes et d’inhalothérapeutes», rappelle la Dre Cabrera, qui espère un jour voir des équipes d’hypnose aux urgences où elles pourraient aider à surmonter les crises d’anxiété lors de la pose d’intraveineuses. «Cela devrait aussi s’étendre aux patients adultes. L’hypnose médicale, c’est une manière d’être, de sourire, de parler avec calme et bienveillance aux malades», ajoute Johanne L’Écuyer, convaincue que le réseau de la santé en profiterait énormément.
L’idée fait lentement son chemin et a commencé à s’étendre à l’unité de rhumatologie de l’Hôpital de Montréal pour enfants. L’infirmière Charlene Hopper a aussi été formée par Claire Benoît-Ruby, en 2020, lors d’une seconde visite interrompue par la pandémie de COVID-19. Environ le tiers des patients – une trentaine au total – ont depuis choisi l’hypnose lors d’infiltrations dans les articulations pour traiter l’arthrite juvénile.
«Pendant que le médecin introduit l’aiguille dans un genou ou un coude, le patient ne ressent rien, trop occupé pendant une dizaine de minutes à croire qu’il joue au hockey ou participe à un jeu vidéo», explique Charlene Hopper. Sans la sédation, souvent nécessaire auparavant, les jeunes n’ont plus besoin de rester ensuite sous surveillance le temps de se rétablir.»
Une de ses patientes, Maya Bajaj, 17 ans, ne regrette pas d’avoir choisi l’hypnose à deux reprises. «Chaque fois, j’ai l’impression de méditer. Je me retrouve à notre chalet des Laurentides, survolant les montagnes. Je me sens bien!» Maya entrevoit sa prochaine injection annuelle avec confiance. «Je n’ai plus peur. Je me demande seulement si je retournerai encore une fois au chalet ou si j’irai jouer dans la neige!», dit-elle avec enthousiasme.
Qui aurait cru qu’un jour, certaines interventions douloureuses deviendraient presque de véritables jeux pour les enfants et les adolescents, grâce à l’hypnose médicale?
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