Le premier achat de CBD
«Je voudrais un Relaxed Fit», ai-je demandé par Instagram à ma revendeuse éventuelle. C’est le nom qu’elle donne à ses biscuits à forte concentration de CBD. (Ceux qui contiennent du THC sont des High Rise.) Ils coûtent 55$ la douzaine, mais elle n’en a qu’au gingembre (beurk!) en stock. Non merci. Sur cbd2go.ca, je commande deux teintures et un baume analgésique, et je me mets à attendre la livraison du paquet qui va me soulager enfin.
Je ne suis pas la seule à guetter le facteur: sur la page de CBD2GO s’ouvrent sans arrêt des fenêtres annonçant qu’à Stouffville, Brampton ou ailleurs au Canada, quelqu’un a acheté 1000 mg de teinture Calyx’s Heal ou Noix de coco au cours des dernières heures. Comme si on me criait: toi, mère d’âge mûr si respectueuse de la loi, tu n’es pas une exception! D’autres êtres humains très ordinaires ont entendu parler des promesses de cet élixir magique appelé CBD et, comme le proclame Fox Mulder dans X-Files: Aux frontières du réel, ils veulent y croire.
Et moi donc! Je suis l’un des nombreux humains ordinaires qui, avec quelques savants, médecins et investisseurs, sont fascinés par les possibilités du CBD – abréviation de cannabidiol, l’une des 480 et quelque molécules du cannabis. Il n’a pas d’effet psychotrope, contrairement au THC (ou tétrahydrocannabinol), le dérivé mieux connu que les amateurs achètent «dans la rue» depuis des années.
Consultez un médecin ou un spécialiste, car le cannabis peut altérer l’efficacité de certains médicaments.
Qu’est-ce que le CBD?
C’est un anti-inflammatoire puissant, et les défenseurs de cette miraculeuse substance jurent qu’elle peut soulager presque n’importe quoi: douleur, anxiété, troubles du sommeil, arthrite et même schizophrénie. Les Instituts nationaux de la santé des États-Unis ont fait breveter certains cannabinoïdes en 2003 et, en 2018, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a autorisé l’emploi d’un dérivé du CBD contre certains types d’épilepsie (un médicament similaire a donné des résultats prometteurs lors d’un essai clinique au Canada l’an dernier).
Le Canada a légalisé en 2018 la consommation et la vente de certaines formes de cannabis récréatif: fleurs, huiles, graines, plants. Une deuxième légalisation touchant les produits comestibles, les extraits et les applications topiques a eu lieu à l’automne 2019 – avec certaines restrictions au Québec. Depuis que l’herbe a droit de cité, c’est surtout le CBD qui fait parler de lui. Normal vu la dimension potentielle du marché: votre voisine ne fumerait peut-être pas un joint avec vous, mais elle a mal aux genoux et aimerait bien essayer ce baume «spécial» dont vous lui avez parlé.
Attention toutefois avec le cannabis et méfiez-vous de ces mythes sur le cancer qui ont la vie dure!
Mais le CBD peut-il vraiment nous soigner?
Deena Gandin en est persuadée. Depuis des années, son travail de femme de ménage lui causait des douleurs que deux accidents de voiture en 10 mois avaient aggravées en 2018. À 48 ans passés, cette Ontarienne était prête à tout.
«Je suis la personne la plus sceptique de la planète, dit-elle, mais je ne voulais pas devenir accro aux narcotiques. J’ai fini par me résigner à essayer le CBD.» Elle a opté pour une huile. «Cela a changé ma vie. Au sens de: c’est donc ça, une vie sans douleur? Avant, quand je rentrais chez moi à 16h, c’est à peine si je me rendais jusqu’au canapé.
Maintenant, ça roule jusqu’à 21h. Je suis prête à le crier sur les toits.»
Deena a constaté un autre changement intéressant après avoir commencé à prendre du CBD – sa dépression et son anxiété chroniques ont disparu. «Je n’ai plus cet horrible nœud dans l’estomac», dit-elle.
Voici les cas les plus courants pour lesquels le cannabis peut être prescrit.
Comment une molécule peut-elle induire autant de changements?
Et si le CBD a toutes les vertus que des chercheurs lui prêtent, comment sait-il où intervenir? «Des spécialistes du monde entier se penchent là-dessus, lance en riant Danielle Blair, fondatrice de Calyx Wellness, entreprise canadienne qui fait des produits à base de CBD. Notre corps le guide.»
Notre système endocannabinoïde (SEC) possède sans doute une partie de la réponse. Découvert sur le tard, dans les années 1990, c’est un réseau de transmetteurs et de récepteurs cannabinoïdes qui assurent l’homéostasie ou l’équilibre de l’organisme. Le corps produit ses propres cannabinoïdes, et ses organes – cerveau, cœur, pancréas, neurones, peau, organes reproducteurs, appareil digestif et foie, entre autres – ont des récepteurs pour les capter. Ils agissent autant sur les réactions immunitaires et inflammatoires que sur l’appétit et la douleur.
La plante appelée cannabis ou chanvre indien en fabrique également. Quand ses phytocannabinoïdes se lient aux récepteurs cannabinoïdes du corps humain, il se produit quelque chose comme un coup de foudre.
La méfiance du début
La Dre Richa Love est l’une des plus ardentes avocates du CBD. «On peut comparer les récepteurs à des serrures, explique-t-elle, et les cannabinoïdes à des clés.» (C’est le principe de fonctionnement du SEC, mais le CBD n’entre pas à proprement parler dans ces serrures; il les active, induisant l’organisme à produire encore plus de cannabinoïdes.)
La Dre Love est médecin de famille depuis près de 20 ans. Il y a environ cinq ans, elle a refusé de prescrire du cannabis médical à une patiente âgée qui lui en demandait pour soulager son arthrite. «Ma formation et mon intuition me soufflaient qu’elle voulait de la drogue, raconte-t-elle. Elle est allée voir ailleurs, et j’ai alors compris qu’elle allait beaucoup mieux. Toute une leçon d’humilité pour un médecin!»
Richa Love souffre elle-même de polyarthrite rhumatoïde. Il y a environ quatre ans, elle a fait une crise si grave qu’elle n’arrivait pas à calmer la douleur malgré une kyrielle de médicaments et devait marcher avec une canne. Son rhumatologue a même évoqué l’hypothèse d’un arrêt de travail, temporaire, mais qui aurait pu tout aussi bien être définitif. «J’ai essayé l’huile de CBD, et ça m’a sauvée, dit la Dre Love. Alors, j’ai commencé à étudier la question plus sérieusement.»
Mon propre intérêt pour le CBD découle d’une longue lutte contre l’insomnie à laquelle s’est ajoutée récemment de la douleur chronique. Depuis le début de la quarantaine, je collectionne claquages et déchirures, ce qui m’a rendue accro à un mélange d’Advil et de Tylenol, au risque d’abîmer mon foie et mes reins. Je prends des benzodiazépines à l’occasion – plus souvent ces derniers temps – depuis près de 15 ans pour combattre l’insomnie, ce qui peut également créer une dépendance et aggrave le risque de souffrir un jour de démence. Massages, ostéopathie, chirurgie, acupuncture, thérapie cognitivo-comportementale, méditation, et j’en passe, rien n’a réglé pour de bon l’un ou l’autre problème.
«Maman ne peut pas jouer avec toi, dis-je à mon fils de huit ans. Maman a mal au bras, maman est fatiguée.
— Tu es toujours fatiguée», soupire-t-il.
Je dois trouver une solution. Elle atterrit dans ma boîte aux lettres. J’essaie une petite gamme de produits infusés de CBD – choisis selon une méthode tout sauf scientifique: la convivialité du site web – pour tenter d’échapper à ce cercle vicieux (l’insomnie exacerbe la douleur et la douleur, l’insomnie). Un baume de la société Organa ne fait rien pour le bras qui se remet de la réparation chirurgicale d’un tendon et d’un ligament ni pour la jambe dont la douleur, selon mes médecins, provient en fait d’un tendon déchiré dans la cheville. J’en demande peut-être trop à une crème à 35$. Je prends ensuite des capsules de 30 mg d’huile de CBD de la marque CoCos Pure quelques semaines, sans résultat probant.
Renseignez-vous sur le terpène, ce composé naturel qui se trouve dans le cannabis.
La solution miracle
Je commence à désespérer. Me reste l’arme la plus chère de mon arsenal: la teinture Calyx’s Heal, à 140$ la bouteille de 30 ml d’huile de CBD d’une concentration de 1000 mg. «Heal est destinée aux cas plus graves, affirme CBD2GO sans préciser lesquels. Elle procure une dose plus forte à l’esprit et au corps pour amorcer le processus de guérison.»
«Ce sont probablement tous des remèdes de charlatan», me dis-je en ouvrant la bouteille. Je me lance, plaçant l’huile sous la langue et l’y laissant 30 secondes avant de l’avaler. Ayant mal lu le mode d’emploi, je dépasse le maximum recommandé de 45 gouttes par jour – j’en prends une soixantaine, deux pleins compte-gouttes, durant la soirée. Ce qui revient à peut-être 68 mg de CBD par jour, plus du double de ma dose antérieure. (Heureusement, c’est très difficile de faire une surdose de CBD; contrairement aux récepteurs opioïdes, les récepteurs cannabinoïdes ne sont pas situés dans la partie du tronc cérébral qui régule la respiration et le cœur. Et puis, comme la recherche là-dessus en est encore à ses balbutiements, il n’y a pas de norme de dosage reconnue.)
Devinez quoi? J’ai le sentiment que ça marche. Pas comme quand on prend un analgésique ou un somnifère – là, le résultat est immédiat et évident –, mais j’ai moins besoin d’en prendre, je dors mieux, je me sens plus calme, moins grincheuse, même quand je suis brûlée.
C’est peut-être un effet placebo, mais ça me soulage assez pour que j’essaie d’obtenir une ordonnance pour que mon assurance absorbe une part de la dépense. À ma grande surprise, et mon médecin de famille et un spécialiste de la douleur refusent, arguant que les effets somnifères et analgésiques du cannabis ne sont pas assez attestés.
Comment est-ce possible? Je rappelle Richa Love. Il s’avère qu’ils ont raison – en gros. Les multiples preuves de l’effet analgésique du CBD proviennent d’études observationnelles ou d’expériences sur des animaux. Il ne s’est fait presque aucun essai clinique en double aveugle avec administration d’un placebo à un groupe témoin, méthode qui constitue la règle d’or pour les produits pharmaceutiques.
Ce n’est que le début
«L’engouement populaire dépasse de loin ce que nous savons de ces produits», constate le Dr Michael Allan, du Collège des médecins de famille du Canada. Il a dirigé la rédaction d’un petit manuel sur l’usage des cannabinoïdes à l’époque où il était professeur à la faculté de médecine et de dentisterie de l’Université de l’Alberta.
Ce guide recommande l’emploi d’un cannabinoïde en dernier recours dans un petit nombre de cas, dont les douleurs neuropathiques et terminales, ainsi que la nausée due à la chimiothérapie. Il ne fait pas de distinction entre le CBD et le THC. La recherche disponible est axée sur le THC, explique le Dr Allan, et provient de gens qui consomment déjà, d’où un biais énorme. «C’est presque impossible de démontrer l’existence d’un effet bénéfique sans essais cliniques aléatoires, ajoute-t-il. Pour l’instant, nous sommes réduits aux conjectures. De petites études semblent indiquer qu’une absorption par inhalation de THC et de CBD soit nécessaire pour calmer la douleur. Le CBD n’aurait pas d’effet tout seul.»
Richa Love ne veut pas renoncer aux promesses du CBD. «Ce n’est pas un modèle chimique qu’on puisse reproduire à l’infini en laboratoire, dit-elle. Le CBD est d’origine végétale – c’est un bloc carré qui n’entrera jamais dans les trous ronds destinés à l’industrie pharmaceutique. Et il y a des centaines de types de produits au CBD sur le marché canadien. Lesquels allons-nous étudier?» La Dre Love attribue la réticence à prescrire des médecins, d’une part, à un manque d’information sur ce domaine en évolution rapide – le système endocannabinoïde n’ayant été découvert que dans les années 1990, beaucoup de médecins n’en ont jamais entendu parler à l’université et encore aujourd’hui le sujet n’est pas toujours au programme – et, ce qui est plus grave, à un malaise persistant à l’égard de la consommation de cannabis pour n’importe quelle raison.
Le CBD n’est peut-être que le premier des composés du cannabis dont on a découvert l’utilité – on commence tout juste à comprendre les propriétés et usages des douzaines d’autres molécules qu’il contient. (Si vous n’avez jamais entendu parler du cannabigérol (CBG) ou du cannabinol (CBN), patience, ça viendra, mais nous en reparlerons une autre fois.)
Malgré ces inconnues, tous les spécialistes du CBD à qui j’ai parlé m’ont fait la même prédiction: dans un avenir pas si lointain, nous prendrons du CBD comme aujourd’hui des multivitamines.
«Ce sera absolument normal, affirme Danielle Blair. En vous réveillant, vous prendrez du CBD et de l’huile de poisson. C’est le meilleur anti-inflammatoire végétal, et l’inflammation chronique cause tellement de maladies que ça ira de soi. Tout le monde dira: “J’en prends, évidemment.”»
Faites attention au risque d’empoisonnement au cannabis pour vos animaux de compagnie.
Petit glossaire du CBD
Cannabis:
Vigoureuse plante cultivée pour sa fibre résistante (chanvre) et ses effets psychotropes (cannabis).
THC:
Tétrahydrocannabinol, composé chimique du cannabis. Plus sa concentration est forte, plus est puissant l’effet psychotrope des feuilles et des huiles de la plante.
CBD:
Cannabidiol, composé sans effet psychotrope du cannabis, qui pourrait soulager le stress, l’anxiété, l’arthrite et d’autres affections.
Chanvre:
Partie non psychotrope de la plante qui sert souvent à faire des tissus et des cordages. Ses graines et huiles comestibles sont riches en vitamines et minéraux.
Voici ce que vous devez savoir sur le CBD.
©2019, par Leah Rumack. Tiré de «CBD Is Touted As A Miracle Compound, But Does It Actually Work? We Tried it», Chatelaine (décembre 2019)