Entre amour et fantasme: la science des âmes sœurs
L’âme sœur. Voilà l’idéal amoureux de la Grèce antique qui survit encore de nos jours dans les romans sentimentaux de la collection Harlequin et les films à l’eau de rose. Votre moitié prédestinée existe quelque part (de préférence avec un sourire charmant et des yeux pétillants comme une coupe de Moët & Chandon). Lorsque vous l’aurez trouvée, elle vous apportera le bonheur éternel. Que peut nous dire la science à ce sujet?
L’amour et l’âme soeur selon la science
Les bénéfices potentiels d’une telle idée de l’amour sont naturellement séduisants. Croire que votre partenaire est fait pour vous renforce les aspects positifs de votre relation et rejette commodément sur le destin la responsabilité des difficultés que vous pouvez éprouver.
Et qui oserait nier l’attrait de la formule « ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours » ?
Mais ce concept tient-il la route lorsque confronté à la science? De récentes recherches, dont Spike W.S. Lee, professeur adjoint de marketing à l’école de gestion Rotman de l’université de Toronto, est un des auteurs, suggèrent que l’idée de l’âme sœur ne serait pas une assise solide d’une vie commune. En réalité, cela nuirait à une relation durable.
Lors de cette étude, les participants devaient choisir des phrases et des images qui indiquaient s’ils considéraient que l’amour était une quête de l’âme sœur ou un voyage parsemé de compromis. M. Lee a découvert que le groupe qui cherchait l’âme sœur avait une vision considérablement plus négative des conflits dans les relations que le groupe qui voyait l’amour comme un voyage. « Les individus qui se considèrent comme des âmes sœurs ont tendance à être moins satisfaits lorsqu’ils pensent aux conflits au sein de leur couple, explique-t-il. C’est inévitable. Dans cette structure, comme les conflits sont perçus comme mauvais, les gens pensent qu’ils ne sont peut-être pas faits l’un pour l’autre. »
Sue Johnson, psychologue à Ottawa, ne croit pas à l’idée du couple parfait. « Celui qui a inventé ce mythe devrait être plongé dans une marmite d’huile bouillante », plaisante-t-elle. Dans son livre Love Sense, publié en 2013, elle utilise une approche scientifique pour expliquer les avantages des relations longues et des liens étroits. Par exemple, elle mentionne une étude dans laquelle des femmes en couple passaient une IRM fonctionnelle du cerveau. Celles qui étaient heureuses dans leur couple ne montraient presque aucune réaction de stress lorsqu’elles tenaient la main de leur partenaire, même face à une menace imminente. Celles qui n’étaient pas heureuses ont vu leur niveau de stress augmenter, qu’elles tiennent la main de leur conjoint ou non.
Mais parvenir à se sentir bien et à avoir réellement confiance en l’autre demande beaucoup d’efforts, pas seulement de trouver son âme sœur « par magie ». C’est par la communication, la collaboration et une résolution constructive des conflits que l’on peut bâtir et faire durer des relations heureuses et épanouissantes, même sans être fait l’un pour l’autre dès le départ – ce qui est toujours le cas.
L’une des composantes essentielles est de répondre à la vulnérabilité. Il est fondamental d’avoir le courage de discuter de vos peurs, de vous exprimer lorsque vous êtes blessé et de parler de vos désirs profonds avec votre partenaire. « Freud a dit que nous ne sommes jamais aussi vulnérables que lorsque nous sommes amoureux », affirme Mme Johnson. Mais s’ouvrir à l’autre peut donner le sentiment d’être menacé, effrayé ou faible, et il existe toujours un risque que le partenaire n’y réponde pas de la bonne manière, c’est pourquoi cela reste souvent un vœu pieux. C’est tout simplement plus facile (ou plus paresseux).
Gary Direnfeld confirme que des liens solides et durables ne se nouent pas par miracle. Travailleur social et ancien présentateur de l’émission de conseils conjugaux Newlywed Nearly Dead, sur la chaîne Slice, il a observé de près un grand nombre de relations torturées. Lui aussi rejette l’idée d’une âme sœur, qu’il qualifie de « notion très hollywoodienne et peu réaliste ».
Vous pouvez plutôt construire la relation qu’il vous faut en essayant, en vous trompant et en persévérant. La partie la plus difficile ne devrait pas être la quête épuisante de
M. ou Mme Parfait (en dépit du nombre de candidats) ; traverser et éprouver tout ce qui vient après est beaucoup plus difficile. C’est un travail pénible, mais plus enrichissant. « Je conseille aux couples de sortir beaucoup ensemble pour apprendre à bien se connaître avant de vivre ensemble », dit M. Direnfeld. Car lorsque deux personnes viennent de se rencontrer, « il y a une phase de passion où chacun donne la meilleure image de lui-même ».
Mais il est important de dépasser ce stade et d’atteindre celui où le stress entre en ligne de compte et où divers conflits éclatent, afin de découvrir comment chacun de vous y réagit et voir si une véritable relation peut se développer.
Car finalement, ce ne sont pas les couples qui ont connu des débuts dignes d’une comédie romantique qui évoluent en unions longues et heureuses. Ce sont les couples qui tentent sans cesse de prendre en considération le point de vue de l’autre, qui s’écoutent et cultivent un respect mutuel qui dureront. Et pour ceux qui en sont capables, comme le dit Mme Johnson, « c’est là qu’a lieu la véritable magie ».