Efficace, le reiki?
Dans les pays asiatiques, on a recours depuis des milliers d’années à la médecine énergétique pour soigner diverses affections. Mais est-ce vraiment efficace? Pour le découvrir, notre journaliste Patricia s’est fait donner un traitement de reiki.
Le temps était infect le jour où je me suis rendue, en bougonnant et en boitant, à ma première séance de reiki. Je m’étais tordu le genou et j’avais mal. De plus, la peau me démangeait en raison d’une crise d’urticaire. Le matin, j’avais été à deux doigts de donner un coup de pied à mon chat. J’étais dans l’humeur caractéristique des journées de janvier, que seuls les nordiques que nous sommes connaissent. En revanche, la jeune praticienne en reiki qui m’a ouvert la porte de son bureau à domicile était chaleureuse et gentille.
J’avais entendu parler d’Angela Toccalino, maître reiki, par une amie commune qui m’avait dit qu’elle était particulièrement douée dans ce qu’il est convenu d’appeler la médecine énergétique, champ qui comprend le reiki japonais, le qi gong chinois et, en Occident, l’imposition des mains et le toucher thérapeutique. Peut-être avez-vous vu ces services annoncés dans les stations santé, où l’on en offre de plus en plus. La pratique fait également son chemin dans les institutions de soins de santé classique, notamment les bureaux des médecins, les hôpitaux et les cliniques. Elle consiste, pour le praticien, à poser ses mains sur le corps, ou juste au dessus, de la personne dans le but de rediriger le flot d’une énergie invisible, que la science n’a d’ailleurs pas validée.
À la base, la pratique se fonderait sur la prémisse (que vous devez plus ou moins prendre pour argent comptant) qu’il y aurait une force vitale circulant en nous et que cette énergie ‘ appelée ki ou chi, ou, en Inde, prana ‘ est parfois bloquée, perturbée ou mal canalisée. Les praticiens disent pouvoir équilibrer le flot énergétique de la personne de manière à favoriser la guérison, généralement au bout de cinq ou six séances. Il va de soi qu’on ne se tournerait pas vers cette discipline pour soigner, disons, un cancer; par contre, certains y ont recours comme traitement complémentaire pour soulager l’anxiété et les effets secondaires qui résultent de la chimiothérapie. Cependant, la plupart du temps, les gens consultent un praticien de reiki pour des troubles mineurs, de la douleur, des céphalées de tension, des problèmes cutanés ou digestifs, bref pour toute affection où le lien corps-esprit agit fortement.
Bien qu’on la pratique depuis des millénaires, personne ne connaît le mécanisme d’action de la médecine énergétique. Peut-être s’agit-il d’un simple effet placébo: si on croit aux bienfaits du traitement qu’on reçoit, on se sent déjà mieux. Du point de vue de la recherche médicale, ce concept de force vitale est qualifiée de «champ énergétique putatif», c’est-à-dire qu’il demande encore à être prouvé. Comme on ne dispose d’aucune méthode pour le mesurer, cette approche est habituellement dédaignée par les experts de la santé. Joe Schwarcz, directeur de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill affirme que le fait même que l’énergie puisse être bloquée (ou débloquée) au niveau cellulaire est théoriquement impossible. Selon lui, et il est catégorique, tout cela est «pure folie».
Néanmoins, selon le National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM) des États-Unis, un département des Instituts nationaux de santé, des chercheurs ont tenté de savoir de quoi il en retournait. Une des manières de déterminer si l’énergie est, en quelque sorte, redirigée consiste à mesurer la radioactivité du corps. En partant de cette idée, des chercheurs ont, toujours selon le NCCAM, «observé une baisse statistiquement significative du rayonnement gamma émis par les patients durant les séances». Ce qui pourrait signifier que l’énergie a effectivement été «pompée» par le praticien. (On peut supposer que c’est une bonne chose d’éliminer ses rayons gamma, non?)
Pour ma part, tout ce que je puis dire c’est que, quand je me suis allongée sur la table de massage d’Angela, même avec tous mes vêtements sur le dos et ses mains placées à environ 10 centimètres de mon front, je pouvais sentir la chaleur émise par ses paumes de manière aussi tangible que si j’étais sous une lampe pour reptile. Essayez à la maison. Voyez si votre partenaire ou un ami sentira la chaleur de vos mains à cette distance. J’ai tenté la chose avec mon mari, qui m’a dit: «Qu’est-ce que tu fais là? J’aimerais bien regarder mon match de hockey en paix.» Peut-être aurait-il senti quelque chose si j’avais eu une grosse fièvre. Le fait est que c’est un mystérieux talent.
Angela m’a racontée avoir découvert à 16 ans qu’elle avait quelque chose de particulier. Un ami qui était chez elle s’était foulé la cheville. Elle a mis sa main autour de son pied pour le réconforter et sa douleur a disparu instantanément. «Cela m’a fait très peur», m’a-t-elle confiée. Des années plus tard, elle a entendu parler du reiki et a suivi la formation en vue de devenir maître praticienne. (Remarque: vous pouvez trouver un praticien par l’intermédiaire de l’Association canadienne de Reiki, dont le siège social est à Burnaby, en Colombie-Britannique.) «Je sers de canal, explique-t-elle; l’énergie circule par mon corps et est transmise par mes mains.»
Elle pratique dans une pièce éclairée aux bougies et au son de la musique d’ambiance caractéristique des stations de santé; vous savez, ces bruits métalliques alternant avec ceux d’un gong tibétain. Une fois que j’ai été allongée et ai fermé les yeux, elle a marché autour de moi très lentement mais de manière décidée, en commençant à ma tête et en terminant à mes pieds, s’arrêtant à diverses stations entre les deux pour imposer les mains au-dessus de moi ou les poser doucement sur mon corps à des endroits précis. Cette jeune femme est aussi fine et gracieuse qu’un chevreuil et se déplace tout aussi silencieusement.
Plus tard, elle m’a expliqué le processus: «Quand je découvre qu’il y a un endroit du corps qui nécessite l’attention, diverses choses se produisent en moi. Habituellement, je sens un changement d’énergie au niveau des mains. Par exemple, elles peuvent devenir très chaudes ou je peux avoir l’impression de percevoir une énergie très dense. Quand les sensations chaudes, denses, ou électriques, ou encore, les fourmillements se sont atténués et que tout semble revenu à la normale, je sais que je peux poursuivre», dit-elle, ajoutant qu‘il n’est pas facile de décrire des «sensations aussi éthérées».
La séance a duré une heure, période durant laquelle j’ai brassé six projets de souper, auxquels j’ai renoncé l’un après l’autre, me suis inquiétée à propos de la crise économique, me suis demandée si mon fils n’aurait pas besoin d’un appareil orthodontique et ai remanié en pensée l’intrigue du plus récent épisode de Dr House.
Enfin, Angela m’a dit que je pouvais me lever quand j’en aurais envie, mais j’ai découvert que je n’avais pas la moindre propension à bouger. Je n’avais pas remarqué à quel point je m’étais détendue durant la séance. Finalement, en descendant chercher mon manteau et lui régler ses honoraires de 75$, je lui ai demandé ce qu’elle pensait avoir soigné en moi. (Je ne pouvais dire encore si mon genou allait mieux, la douleur étant intermittente.).
Elle a relevé, délicatement et poliment, la grande activité de mon cerveau. Elle a aussi dit avoir pris conscience de certains enjeux en rapport avec la colère et avec mon foie. Ce qui m’a décontenancée car je venais de passer une analyse sanguine afin de vérifier mon taux d’enzymes hépatiques, qui était légèrement élevé du fait des médicaments que je prenais. Coïncidence ou réelle capacité à discerner un blocage vibrationnel ou une densité énergétique dans mon foie?
Durant les quelques jours qui ont suivi, je n’ai plus guère pensé au reiki mais j’ai pris conscience de trois améliorations: mon humeur était meilleure, mon genou ne faisait plus mal et ma peau sujette à l’urticaire était parfaitement lisse, bien que j’aie fait une nouvelle éruption quelques mois plus tard.
Dans un courriel, Angela me confiais: «Je me rends compte que ce travail tout en subtilité entraîne une guérison tout aussi subtile. À chaque séance, le niveau énergétique de la personne passe à une vibration supérieure, ce qui peut avoir un effet sur tout son être.»
C’est possible. Mais ce pourrait être l’effet placébo qui est à l’uvre ou la détente qu’on éprouve à rester allongé une heure dans une pièce calme. Est-ce que cela en vaut le prix? Tant que la science ne pourra établir l’efficacité de la médecine énergétique, on peut la considérer comme une approche complémentaire, mais non un substitut, à la médecine classique.
Quant à Angela, que la force soit avec elle!