Eau embouteillée ou eau du robinet?
Vous vous souvenez de la fontaine, cette source d’eau jadis omniprésente et gratuite? C’est désormais un objet de curiosité! L’eau embouteillée est partout désormais : au bureau, à la maison, dans l’avion, les magasins, les restaurants. Chaque jour, on estime que les Québécois consommeraient plus de 250 000 bouteilles d’eau en format de 500 ml. D’accord, c’est rafraîchissant, sans calories, facile à transporter et meilleur au goût que certaines eaux du robinet. Mais aussi et surtout, c’est infiniment plus sain que les sodas sucrés.
Or, de plus en plus de gens se demandent si cette eau embouteillée et son emballage sont sans danger, ou du moins s’ils le sont moins que l’eau du robinet. D’autres se demandent si cette commodité vaut le coup en termes d’impact environnemental. Tour d’horizon.
Qu’y a-t-il dans cette bouteille?
Des noms évocateurs et des étiquettes offrant des scènes bucoliques nous ont convaincus de la pureté absolue de ce liquide. «Mais personne ne devrait croire que cette fameuse eau embouteillée est mieux réglementée et protégée, ou plus saine que l’eau du robinet», affirme Eric Goldstein, codirecteur du Natural Resources Defense Council (NRDC), une ONG américaine dédiée à la protection de la santé et de l’environnement. Oui, la plupart des eaux viennent de sources naturelles et pures. Mais un quart de cette eau vient également, selon lui, du système d’approvisionnement municipal. L’eau est ensuite traitée et purifiée avant d’atterrir sur les rayons… après avoir vu son prix parfois multiplié par 10 000. La plupart des gens sont étonnés d’apprendre qu’ils ne boivent en fait qu’une eau du robinet améliorée.
Eau embouteillée : ses étiquettes peuvent être trompeuses, voire mensongères
Lisa Ledwidge, 38 ans, de Minneapolis, a cessé de boire son eau embouteillée il y a quelques années parce que, entre autres raisons, elle s’est aperçue qu’elle venait du système d’approvisionnement municipal. «Ça vous coûte plus cher au litre que de l’essence pour un produit que vous pouvez avoir gratuitement en ouvrant le robinet, s’indigne-t-elle. Et je me demande pourquoi j’achète de l’eau alors que je me plains du prix de l’essence. Pourtant, vous n’entendez jamais personne se plaindre du prix d’une eau embouteillée !» Elle boit désormais de l’eau du robinet qu’elle filtre à la maison.
Votre eau embouteillée est-elle propre?
Sachant qu’il est important de bien s’hydrater, la majorité des gens boivent aussi bien de l’eau du robinet que de l’eau embouteillée. Ce qu’ils ne savent peut-être pas, c’est que certaines eaux ne sont peut-être pas aussi pures qu’ils le croient. En 1999, le NRDC américain a testé plus de 1000 bouteilles de 103 marques différentes (c’est le rapport le plus récent sur la salubrité de l’eau embouteillée). Tout en constatant l’innocuité de la majorité des marques analysée, l’ONG a trouvé qu’au moins un échantillon du tiers des marques contenait des contaminants bactériologiques ou chimiques, y compris des cancérigènes, à un niveau excédent les standards de l’État ou de l’industrie.
Pour sa part, la Société canadienne du cancer affirme qu’il n’y a « aucune donnée scientifique ne permet de croire que la réutilisation des bouteilles d’eau jetables en plastique puisse causer le cancer». Toutefois, l’organisme souligne que « le fait de réutiliser des bouteilles d’eau jetables en plastique peut être dangereux si les bouteilles ne sont pas nettoyées et séchées adéquatement ou si elles sont gardées dans des endroits chauds. En outre, cela peut en favoriser la croissance de germes qui, en cas d’ingestion, peuvent intoxiquer les gens et de provoquer des vomissements ou la diarrhée». Pour sa part, l’Association canadienne des eaux embouteillées (l’ACEE) assure toutefois sur son site que ses normes «sont plus sévères que celles des gouvernements fédéral et provinciaux» et ne note «aucun cas rapporté de maladie due à des bactéries non coliformes dans l’eau embouteillée».
Le NRDC a aussi établi que les échantillons de deux marques étaient contaminés aux phtalates et que cette contamination excédait, dans un cas, les taux permis par l’Agence de protection de l’environnement. L’utilisation de ce produit chimique, qui rend le plastique plus souple et que l’on trouve dans les cosmétiques et les parfums, dans les rideaux de douche et même dans les jouets pour enfants, a depuis été solidement réglementée. Il s’agit en effet d’un perturbateur endocrinien capable de bloquer ou d’imiter les hormones et d’affecter ainsi le fonctionnement de l’organisme.
S’ils sont exposés à des doses élevées de phtalates à un stade critique de leur développement, les fœtus mâles peuvent souffrir de malformations des organes génitaux, y compris des testicules non descendus. Certains experts font aussi un lien entre la faible concentration de sperme et les phtalates. Les bouteilles de plastique ne contiennent pas de phtalates, ce qui veut dire que ceux qu’a détectés le NDRC sont sans doute arrivés dans l’eau au moment de l’embouteillage, ou qu’ils étaient présents dans l’eau de source (on a déjà trouvé des phtalates dans de l’eau du robinet).
Eau embouteillée : Sans danger, ces bouteilles de plastique?
La plupart des bouteilles sont faites en polycarbonate, pour les bouteilles réutilisables, ou en PET (polytéréphtalate d’éthylène – rien à voir avec le phtalate dont nous avons parlé avant), pour les bouteilles jetables. Elles ne présentent généralement pas de danger, indique Ken Smith, de l’American Chemical Society. Certains scientifiques soupçonnent cependant que le plastique, lorsqu’il est stocké dans des endroits très chauds, libère dans l’eau certaines substances chimiques.
Brenda Decker, 45 ans, de Lake Stockholm au New Jersey, avait l’habitude de conserver ses bouteilles dans le vide sanitaire sous sa maison, où elles étaient exposées à des températures très élevées. Jusqu’à ce qu’un de ses amis qui possède un magasin d’alimentation naturelle lui apprenne que l’eau ainsi stockée pourrait être contaminée par le plastique. Brenda a cessé d’acheter de l’eau embouteillée et s’est remise à boire celle du robinet. «Je le fais pour être sûre que mes enfants sont en santé, dit-elle. C’est ma priorité numéro un.»
Il n’y a pas que la température élevée de votre remise qui présente un risque pour l’eau, mais aussi tous les produits que vous conservez là. Les experts déconseillent de stocker l’eau dans le garage, près des gaz d’échappement, des pesticides et d’autres produits chimiques qui pourraient, au minimum, altérer l’odeur et le goût de H2O.
Eau embouteillée : Il n’y a pas que la chaleur du stockage, mais aussi celle de la voiture dont il faut tenir compte
Beaucoup de gens boivent dans une bouteille restée un bon moment dans une voiture surchauffée, ce qui est potentiellement dangereux. «Laisser une bouteille dans la voiture perturbe l’équilibre chimique de sorte que les constituants du plastique se retrouvent plus vite dans l’eau», soutient Ken Smith.
C’est d’ailleurs ce qui a inquiété Amy Dowley, 22 ans, une étudiante du Vassar College de Poughkeepsie, New York. «Je n’avais jamais bu d’eau embouteillée, dit-elle, parce que je savais que l’eau du robinet était propre en sans danger, mais j’avais pris l’habitude d’emporter de l’eau dans des bouteilles en plastique de soda ou de jus.» Maintenant, elle utilise des bouteilles en inox ou remplit tout simplement un verre au robinet. «De toute façon, mieux vaut réduire notre consommation de plastique.»
«Certains risques sont-ils associés à ces agents chimiques? demande James Kapin, consultant en sécurité chimique de San Diego. Absolument!» Mais comme très souvent dans les débats sur les produits chimiques, les risques qu’ils constituent pour la santé sont inconnus. «On obtient rarement des réponses claires et nettes sur les effets de l’exposition à long terme à ces agents. J’espère que nous en arriverons un jour à un consensus scientifique.»
Eau embouteillée : Certains experts lancent un cri d’alarme concernant certaines substances chimiques
L’antimoine est une matière potentiellement toxique utilisée dans la fabrication du PET. En 2006, des scientifiques allemands ont découvert que plus une bouteille d’eau restait sur les étagères (chez vous ou au supermarché), plus on y trouvait d’antimoine. De hautes concentrations de cette substance peuvent causer de la nausée, des vomissements et de la diarrhée. L’étude allemande établissait que les concentrations d’antimoine étaient inférieures aux normes, mais de plus amples recherches devraient être faites sur ce produit.
Quelques mois plus tard, un comité de l’Institut national de la santé américain (NIH) a admis que le bisphénol A (BPA), un composé chimique présent dans le polycarbonate (plastique utilisé pour la fabrication de fontaines et de certains plastiques durs, mais pas dans le PET), pouvait causer des troubles neurologiques et comportementaux chez les fœtus, les bébés et les enfants. Un autre comité subventionné par le NIH a trouvé que les risques étaient même encore plus grands, allant jusqu’à soutenir que l’exposition des adultes au BPA pourrait endommager le cerveau, l’appareil reproducteur féminin et le système immunitaire.
Eau embouteillée : ses impacts environnementaux
Les risques potentiels de l’eau embouteillée pour la santé humaine sont à prendre au sérieux, mais il faut savoir qu’elle constitue également une menace pour la santé de la planète.
«L’eau embouteillée est un secteur en pleine croissance, et cela a un impact environnemental qu’on ne peut éviter simplement en fermant le robinet», constate Jenny Powers, du NRDC. Pendant que nous luttons pour réduire notre consommation d’hydrocarbures, l’eau embouteillée la fait augmenter. Il faut du pétrole pour fabriquer le PET, et plus nous boirons de cette eau, plus il faudra de pétrole pour fabriquer de nouvelles bouteilles. On utilise aussi des carburants fossiles pour le remplissage des bouteilles en usine et pour les distribuer. À cela s’ajoutent bien sûr tous les contenants plastiques de jus, de sodas et autres boissons.
Certaines eaux sont importées d’îles et de pays éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, et le transport de ces bouteilles peut causer bien d’autres types de pollution – émissions de carbone, déversements, rejets dans l’atmosphère, etc.
Vient enfin le gaspillage d’eau, ajoute Todd Jarvis, directeur associé du Institute for Water and Watersheds de l’université d’État de l’Oregon. D’après ses calculs, il faudrait chaque année dans le monde 272 milliards de litres d’eau simplement pour fabriquer ces bouteilles vides.
Selon certaines estimations, il faut deux litres d’eau pour faire chaque litre d’eau que vous trouvez sur les rayons de l’épicerie. «L’eau embouteillée constitue un fardeau significatif sur le plan environnemental», dit Eric Goldstein.
Si nous aimons ces eaux embouteillées, c’est entre autres pour le côté pratique de ces bouteilles à usage unique. Mais seulement 20 % d’entre elles connaîtront une seconde vie, calcule l’institut américain du recyclage. Les autres sont jetées sur des plages, le long des routes ou dans des champs, où elles resteront vraisemblablement des milliers d’années. L’eau de Nestlé, Dasani, et d’autres embouteilleurs tentent une percée verte avec des bouteilles plus légères qui utilisent 30 % moins de plastique.
Un bon début ! Mais il y a encore beaucoup à faire, pour eux comme pour nous.
Tribut environnemental de l’eau embouteillée
- On consomme chaque année, aux États-Unis, 17 millions de barils de pétrole pour satisfaire la demande en eau embouteillée. C’est assez pour faire rouler un million de voitures pendant une année.
- Si les embouteilleurs d’eau et de sodas américains avaient utilisé 10 % de plastique recyclé en 2004, on aurait économisé 272 millions de litres d’essence. S’ils en avaient utilisé 25 %, on aurait économisé assez d’énergie pour électrifier 680 000 maisons pendant un an.
- En 2003, le Département de la Conservation de Californie estimait à environ trois millions le nombre de bouteilles d’eau qui étaient jetées chaque jour dans cet état. À ce rythme, on estimait qu’en dix ans à peine, on aurait assez de bouteilles non recyclées pour construire une route qui longerait tout le littoral de cet état – environ 1300 km.
- En 2004, le taux de recyclage américain pour tous les contenants de boissons était de 33,5 pour 100. S’il atteignait 80 %, la réduction des gaz à effets de serre serait équivalente à la mise hors circuit de 2,4 millions d’automobiles par an.
- Cette bouteille que vous venez de boire en trois minutes prendra plus d’un millier d’années avant d’être biodégradée.
Sources: Earth Policy Institute, As You Sow, Container Recycling Institute.
Eau embouteillée : Comment limiter les dommages environnementaux liés à sa consommation?
Les dommages environnementaux que cause votre consommation d’eau embouteillée vous inquiètent? Voici ce que vous pouvez faire :
- Mettez de côté votre eau embouteillée et essayez de nouveau l’eau du robinet. D’abord, renseignez-vous. Si votre eau vient d’un réseau public (plutôt que d’un puits), vous devriez avoir accès à des rapports sur la qualité de l’eau une fois par an. Lisez-les attentivement pour vous assurer non seulement que votre eau a reçu la note de passage, mais aussi que les contaminants n’excèdent pas les niveaux maximaux acceptables, même pour une courte période. Si vous tirez votre eau d’un puits, faites-la analyser tous les ans. Vous trouverez plus d’informations sur le site du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) au www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/potable
- Achetez une gourde. Transportez votre eau, filtrée ou pas, dans une bouteille en acier inoxydable réutilisable, et nettoyez-la entre chaque usage. Certaines viennent avec une bandoulière qui en facilite le port.
- Pensez-y à deux fois avant d’utiliser la fontaine du bureau. Si elle est faite de polycarbonate, elle peut avoir été contaminée au BPA, un composé chimique qui peut causer des dommages neurologiques, entre autres. Et avez-vous déjà vu quelqu’un nettoyer ce distributeur ? Probablement jamais!
- Mettez-la au frais. Ne buvez pas une eau qui a été soumise à des températures élevées (les sièges de votre voiture par exemple), et n’en stockez pas dans des endroits très chauds ou abritant des produits chimiques. Et ne réutilisez pas vos bouteilles en plastique.
- Privilégiez le verre. Choisissez des bouteilles de verre aussi souvent que possible. Aussitôt terminées, hop, au recyclage!
Avez-vous besoin d’un filtre pour l’eau du robinet?
L’eau de votre robinet est sans doute tout à fait sûre. En général, les éléments toxiques présents dans l’eau potable n’excèdent pas les taux établis par les autorités. Toutefois, quelques inquiétudes légitimes subsistent. Du goût bizarre à la contamination au plomb causée par un système d’approvisionnement vieillissant, votre eau de robinet peut avoir ramassé en chemin quelques suppléments discutables.Qu’y a-t-il dans votre eau ? Certaines zones sont plus susceptibles d’être contaminées par des ruissellements agricoles. D’autres zones peuvent être contaminées par des sous-produits de l’industrie, comme l’arsenic, qui peut aussi être présent à l’état naturel dans l’environnement.
En cas de doute, faites tester votre eau par un laboratoire agréé par le gouvernement.
Si vous voulez vous équiper d’un filtre, vous avez le choix entre la carafe munie d’un filtre de carbone (de type Brita), ou le dispositif qui purifie toute l’eau qui entre dans votre maison. Entre les deux, vous trouverez le purificateur d’eau monté sur le robinet et les unités d’osmose inverse. Le ministère de l’Environnement recommande de recourir à l’Association des entreprises spécialisées en eau du Québec (AESEQ), qui offre un programme volontaire de certification destiné aux entrepreneurs. Ce programme s’inspire de ceux de la Water Quality Association et de la Canadian Water Quality Association. Quel que soit le système pour lequel vous optez, veillez à le nettoyer selon les directives du fabricant.
Ou encore, faites-le vous même. L’eau est parfois traitée à la chlorine pour tuer les bactéries, mais cela donne à l’eau un goût qui déplait à beaucoup. La solution? Remplissez un contenant de verre et laissez-le à découvert dans le frigo pendant 24 heures, le temps que la chlorine se dissipe dans l’air.
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