Le manque d’information à l’égard des OGM
En cherchant une collation dans le rayon des produits santé d’une épicerie du centre-ville de Toronto, je remarque ces innombrables promesses pour vivre plus sainement : « sans sucre », « sans gras trans », « sans gluten », « sans ingrédients artificiels ».
Ces mentions ont quelque chose d’inutile, il suffit de lire la liste des ingrédients sur l’emballage. Mais la mention « sans OGM » est une affaire plus complexe. Les organismes génétiquement modifiés sont des plantes, des animaux ou des bactéries dont l’ADN a été altéré, le plus souvent en y insérant les gènes d’un autre organisme.
Les entreprises et les scientifiques qui les créent en vantent les vertus. Pourtant, difficile de trouver ne serait-ce qu’un paquet de biscuits qui mette l’accent sur leur présence. Non qu’ils soient rares : d’après le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies, une coalition d’associations d’agriculteurs et de groupes communautaires visant à sensibiliser la population aux questions soulevées par les aliments génétiquement modifiés, de 70% à 80% des produits transformés en contiennent. Pourtant, aucun n’est déclaré comme tel.
Faut-il s’inquiéter de cette dissimulation flagrante ?
L’étiquette « sans OGM » répond à une inquiétude bien réelle : même si rien n’indique que ces manipulations génétiques s’accompagnent d’un quelconque risque sanitaire, un sondage effectué par Ipsos Reid en 2013 a révélé que 71 % des Canadiens s’abstiendraient d’acheter des aliments génétiquement modifiés s’ils pouvaient choisir. Les Américains ne sont pas en reste : selon une récente enquête de Pew Research, à peine 37 % d’entre eux pensent que ces produits peuvent être consommés sans risque (contre 88 % de ceux qui exercent un métier scientifique).
Cette méfiance tient au moins partiellement au manque d’information : selon 76 % des personnes interrogées lors d’une enquête de Léger Marketing menée en 2012, le gouvernement canadien ne diffuse pas suffisamment d’information sur l’innocuité des aliments génétiquement modifiés. Les producteurs n’ont guère de raison de se montrer plus transparents : à ce jour, tout ce qui s’est fait dans le domaine agricole l’a été dans leur seul intérêt – pour diminuer le coût de revient ou les dégâts causés par les mauvaises herbes, les animaux nuisibles et les maladies. Mais une nouvelle variété de fruits pourrait changer du tout au tout notre opinion de la nourriture transgénique.
Une pomme étiquetée OGM bientôt dans nos épiceries
CONÇUE EN Colombie-Britannique, la pomme Arctic est doublement révolutionnaire : elle ne s’oxyde pas une fois coupée et cible directement le consommateur. Pour une fois, le producteur, qui a obtenu cette année le droit de la vendre au Canada, peut être fier de déclarer que sa création est née en laboratoire.
Neal Carter, le président d’Okanagan Specialty Fruits, considère que sa pomme fait partie de la « deuxième génération » de cultures génétiquement modifiées. Il entend par là des aliments courants légèrement retouchés pour les rendre plus attrayants avec plus de bienfaits pour la santé, d’avantages et de goût. Ainsi, la pomme de terre Innate mise au point par Simplot, une entreprise de l’Idaho, est censée rester blanche plus longtemps une fois épluchée, et produire moins d’acrylamide cancérigène quand elle est cuite à haute température. Elle peut être vendue aux États-Unis depuis 2014, mais pas encore au Canada.
La pomme Arctic, dont le nom évoque « la pureté d’un paysage enneigé », finira par pourrir comme n’importe quelle autre pomme, mais sans brunir une fois coupée ou meurtrie. Neal Carter, conseiller agricole et pomiculteur, affirme qu’elle retient les antioxydants détruits par le brunissement, mais ce qui l’intéresse davantage, c’est d’éliminer la réaction de dégoût qu’éprouvent beaucoup d’enfants, par exemple, lorsqu’ils veulent continuer de manger une pomme qu’ils ont un peu mise de côté. Il prédit que ses variétés Granny Smith et Golden arriveront en épicerie à l’automne 2017, sous la marque Arctic. L’entreprise reconnaît ouvertement qu’il s’agit d’un fruit génétiquement modifié.
M. Carter ne demande qu’à expliquer le « procédé scientifique derrière [ses] pommes », mais tous ceux qui le connaissent n’y sont pas favorables. Certains voient dans la pomme Arctic un cadeau des dieux, d’autres, le fruit gâté qui gâchera tout le panier. L’association qui représente les exploitations fruitières familiales de Colombie-Britannique craint que sa commercialisation ne pousse les adversaires des OGM à boycotter toutes les pommes de la province ; Neal Carter prétend que la modification atténuera l’oxydation et réduira le gaspillage. Il en veut pour preuve une étude britannique de 2013, selon laquelle 40 % des pommes cultivées au Royaume-Uni finissent à la poubelle (27 % sont jetées par des consommateurs). Il croit fermement qu’une chair blanche des jours durant propulsera la pomme dans le 21e siècle.
Les inquiétudes face aux OGM
LE PREMIER ALIMENT TRANSGÉNIQUE dont la vente a été autorisée au Canada est une souche de maïs capable de supporter l’imidazolinone, un herbicide mis au point dans les années 1970. Sa commercialisation a commencé en 1994, mais les inquiétudes à propos des OGM sont bien antérieures.
C’est une bactérie appelée Frostban, destinée à protéger les cultures du gel, qui a été le premier OGM volontairement disséminé en milieu naturel. Son épandage sur des fraisiers californiens, en 1987, a été retardé par des militants qui en ont arraché les plants. Depuis, batailles juridiques et protestations n’ont jamais cessé. La contestation cible souvent des multinationales comme Monsanto, grand producteur d’herbicides et de semences transgéniques, mais les initiatives humanitaires ne sont pas épargnées. En 2013, aux Philippines, des manifestants ont dévasté un champ expérimental de riz doré, souche dont la modification génétique vise à produire une provitamine A qui renforce le système immunitaire des enfants mal nourris.
Neal Carter a lui-même travaillé dans des pays en développement : après avoir obtenu un diplôme de génie de la bioressource à l’Université de Colombie-Britannique en 1982, il a sillonné le monde comme expert-conseil en technologie agricole dans des pays comme le Bangladesh et le Soudan. En 1992, il s’est fixé à Summerland, un village de la Colombie-Britannique qui surplombe la vallée de l’Okanagan. Trois ans plus tard, sa femme Louisa et lui se lançaient dans la pomiculture. À l’époque, des aliments prêts-à-manger d’un genre nouveau comme les carottes naines et les feuilles de laitue prélavées commençaient à devenir très populaires. « La pomme n’était pas concurrentielle », explique M. Carter. Comment redresser la situation ? Inspirés par les recherches du gouvernement australien sur une pomme de terre qui ne brunit pas, les Carter ont misé sur la modification génétique. En 1999, ils avaient une solution : en transférant d’une variété de pommes à l’autre des copies de gènes qui produisent l’enzyme oxydante, ils stoppaient sa production. La chair restait ainsi blanche.
Cette année-là, à la suite des manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce à Seattle, des militants – pour Neal Carter, des « écoterroristes » – ont profité d’une absence de la famille pour pénétrer dans son verger et abattre 650 jeunes arbres. Les malfaiteurs n’ont jamais été arrêtés, et la police a conseillé au cultivateur d’« adopter un bon chien de garde ». Il affirme recevoir encore des courriels haineux d’opposants aux OGM. Trois vergers américains produisent des pommes Arctic, mais aucun ne veut être nommé. « Pour l’instant, tout le monde essaie de passer inaperçu, explique Neal Carter. L’agriculture comporte déjà assez de risques comme ça. »
Le transfert d’ADN d’un organisme à un autre
Quand la pomme Arctic fera son apparition dans les rayons des supermarchés, elle poussera dans au moins trois nouveaux vergers américains, et quelques autres en Ontario et en Colombie-Britannique. M. Carter espère que le poids du nombre les protégera – et que les consommateurs seront attirés par ce nouveau produit.
C’est le ministère de la Santé du Canada qui décide si un aliment génétiquement modifié peut être commercialisé au pays. Selon sa définition, il existe trois sortes d’OGM : les croisements traditionnels comme le greffage (insertion d’une pousse dans une autre plante) et l’hybridation (transfert de pollen d’un végétal à un autre) ; la mutagenèse (mutation provoquée par un agent chimique ou une irradiation, qui a donné le Ruby Red, un pomélo à chair rouge, dans un laboratoire texan dans les années 1970) ; et le génie génétique, soit le transfert d’ADN d’un organisme à un autre, par exemple d’une espèce à l’autre.
Mise au point en Californie au début des années 1970, cette dernière technologie a fait craindre l’apparition d’une « nourriture Frankenstein » par insertion de gènes animaux dans les plantes. Cela s’est fait en laboratoire, mais à l’heure actuelle, rien de tel n’est commercialisé. Bien qu’elle ait fait couler beaucoup d’encre durant les années 1990, la tomate à gène de poisson n’existe pas.
On peut transférer des gènes entre plantes d’une même espèce pour en modifier certains traits. Pour créer la pomme Arctic, on a utilisé ce procédé, une bactérie et des éléments du génome d’un virus du chou-fleur. Les sceptiques dénoncent l’imprécision de la méthode, mais les chercheurs qui y travaillent demeurent optimistes.
Le professeur Kevin Folta, directeur du département des sciences horticoles de l’Université de Floride, mène une équipe qui tente avec l’aide de producteurs d’enrayer la maladie du dragon jaune, une infection bactérienne propagée par un insecte. Cette maladie menace 95% des vergers d’agrumes et toute la production de jus d’orange de la Floride. Selon lui, les techniques classiques comme le chauffage à haute température pour détruire les bactéries sont coûteuses ou inefficaces à long terme, alors que le transfert de gènes de l’épinard et d’autres plantes naturellement résistantes à cette bactérie s’est avéré efficace.
La méfiance à l’égard des OGM
DÉRÉGLEMENTER UN NOUVEL OGM coûte cher en raison de tous les tests requis. Chercheurs et petits producteurs peinent à financer leurs projets, d’autant plus que de grandes sociétés comme Coca-Cola (propriétaire de Minute Maid) et Pepsi (qui possède Tropicana) se détournent de la modification génétique en raison de sa mauvaise réputation auprès du public.
Beaucoup de gens se méfient des OGM parce qu’ils sont persuadés que des entreprises comme Monsanto (qui a produit des substances toxiques telle la dioxine dans le passé) ont un intérêt à imposer des procédés potentiellement nocifs. Des chercheurs réclament plus d’analyses indépendantes, mais les grandes entreprises sont souvent les seules à avoir les moyens de répondre aux exigences réglementaires. Les sept employés d’Okanagan Specialty Fruits ont mis presque quatre ans à faire homologuer la pomme Arctic par le ministère de la Santé du Canada – et près de cinq aux États-Unis.
Concernant les OGM, « consommateurs et producteurs sont dans une position délicate », avoue Jennifer Kuzma, codirectrice du centre d’études sur le génie génétique et la société à l’Université d’État de la Caroline du Nord. Difficile de prendre des décisions éclairées, poursuit-elle, car le débat tourne vite à la foire d’empoigne et plusieurs intervenants ont des œillères idéologiques. Mme Kuzma reconnaît que les cultures transgéniques peuvent contribuer à résoudre le problème de la faim dans le monde, mais met un bémol : « Depuis 20 ans, on ne voit pas de déploiement massif là où le besoin est le plus criant, dans les pays pauvres qui dépendent des cultures vivrières. »
En théorie, dit Hannah Wittman, directrice des études au centre de recherche sur les systèmes d’alimentation durables de l’Université de la Colombie-Britannique, le génie génétique pourrait nous fournir des plantes qui supportent la sécheresse et les changements climatiques, mais les obstacles sont nombreux: absence d’infrastructures de distribution des pousses et semences, inaccessibilité des ressources, communication difficile avec les agriculteurs et complexité de l’adaptation aux différents climats.
Ces réserves sont certes importantes, mais les aliments transgéniques peuvent toutefois devenir «un outil parmi d’autres », selon Kevin Folta. Moyennant plus d’information, de transparence et d’études indépendantes, l’opinion basculera peut-être, ce qui ouvrirait des portes ailleurs. «Nous sommes capables d’aider les habitants des pays pauvres, affirme M. Folta. Peut-être pas les nourrir tous, mais certainement changer des vies. »
Chez nous, le succès commercial de la pomme Arctic pourrait élargir le choix au supermarché. Plus nous en saurons sur les OGM, plus il nous sera facile de comparer les pommes aux pommes.
Des questions courantes à l’égard des aliments OGM
FOIRE AUX QUESTIONS SUR LES OGM
Où trouve-t-on les aliments transgéniques au supermarché?
Tant que la pomme Arctic n’est pas commercialisée, les seuls fruits et légumes transgéniques vendus au Canada sont les papayes hawaïennes, le maïs et certaines courges d’origine américaine. Nombre d’aliments transformés contiennent du maïs, du soja, du canola ou de la betterave à sucre, cultures qui utilisent essentiellement des semences génétiquement modifiées.
Quels sont les risques des OGM pour la santé?
Il n’existe pas de preuves concluantes sur ce sujet. Les consommateurs désireux d’en apprendre davantage peuvent consulter les sites Enquête OGM (enqueteogm.ca), qui fournit des données sur les aliments transgéniques au Canada, et Genetic Literacy Project (geneticliteracyproject.org), qui analyse l’actualité du point de vue de l’industrie.
La présence d’OGM est-elle indiquée sur les étiquettes?
Soixante-quatre pays l’exigent, mais le Canada n’en fait pas partie. On trouve plus facilement la mention «sans OGM». Les produits biologiques et ceux qui portent l’étiquette «Projet sans OGM» n’en contiennent pas.
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