Les étudiants face au Covid-19
Peur, anxiété, inquiétude, manque de motivation et difficultés de concentration… Les étudiants évoquent toutes sortes de raisons pour s’opposer à l’enseignement à distance. Excuses ou réel désarroi? Voici ce qu’en dit la science.
Au début de la pandémie, alors que les universités et les cégeps mettaient en place des scénarios pour continuer à enseigner à distance, les étudiants ont exprimé leur opposition en constatant que le contexte était «peu propice à l’apprentissage».
Les enseignants aussi estimaient que les étudiants «n’étaient tout simplement pas disposés à poursuivre leur apprentissage dans de telles conditions». Des lettres d’opinion et des enquêtes ont fait état d’une panoplie d’émotions négatives vécues. Une pétition a même circulé pour demander une suspension de la session d’hiver, ce que le ministre de l’Éducation, Jean‑François Roberge, a refusé.
Cela ne concerne pas que les étudiants
Les étudiants ne sont pas les seuls à avoir du mal à se concentrer sur des tâches intellectuelles. Dans une chronique publiée dans La Presse, Chantal Guy affirme qu’à l’instar de plusieurs de ses collègues, elle n’arrive pas à se consacrer à une lecture en profondeur: «après quelques pages, mon esprit papillote et veut juste aller vérifier la satanée courbe du docteur Arruda». Bref, «ce n’est pas le temps qui manque à la lecture, c’est surtout la concentration», disait-elle. «Les gens n’ont pas la tête à ça.»
Pourquoi les étudiants ont le sentiment de ne pas avoir la tête aux études? Les récentes avancées des sciences cognitives fournissent des éléments de réponse permettant de mieux comprendre les liens entre les émotions négatives et la cognition dans les tâches exigeant un investissement intellectuel soutenu.
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Une question d’amygdale…
«Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point». Cette phrase de Pascal résume bien la façon dont la science occidentale a longtemps séparé l’univers «chaud» des émotions de l’univers «froid» de la rationalité humaine.
Les recherches en physiologie de Walter Cannon ont fourni une première explication de la façon dont les émotions, et, tout particulièrement, les émotions négatives, s’emparent de nos esprits. Elles ont démontré que l’émotion est un système de mise en alerte physiologique de l’organisme, activant plusieurs structures situées sous le cortex cérébral.
L’une de ces structures, l’amygdale, se révèle aujourd’hui particulièrement importante. Elle s’active rapidement devant des stimuli menaçants et permet d’apprendre à s’en méfier. Face à ce qui pourrait être un serpent caché parmi les branches, l’animal mettra ses sens en éveil, ses muscles en alerte et réagira rapidement, sans prendre le luxe d’analyser si la forme longiligne est un serpent ou un bâton.
Chez les humains, l’amygdale s’active rapidement et automatiquement en réponse aux stimuli sociaux chargés en émotions négatives. Les recherches en neurosciences montrent que les gens sont non seulement très sensibles à la charge émotionnelle de leurs perceptions, mais aussi qu’ils sont incapables de l’ignorer.
Ainsi, les émotions suscitées par la vue d’un serpent dans l’herbe ou d’un personnage politique indigne de confiance peuvent capter notre attention bien malgré nous.
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L’attention: une ressource limitée
On pourrait objecter que pour de nombreuses personnes, heureusement, le Covid-19 ne représente pas le même genre de menace qu’un serpent rencontré dans le sous-bois. Nos systèmes sociaux nous offrent des protections inimaginables autrefois, et nous sommes beaucoup mieux préparés à affronter des situations de crise.
De plus, les situations d’apprentissage mises en place par les institutions d’enseignement exigent des étudiants de l’attention et des pensées consciemment contrôlées. On pourrait croire que, dans de telles situations, l’émotion ressentie n’influencera l’attention mobilisée dans le travail intellectuel demandé.
Le psychologue cognitiviste Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel en 2002, a été parmi les premiers à proposer que l’attention est une ressource cognitive limitée et que certains processus cognitifs en exigent plus que d’autres. C’est notamment le cas des activités impliquant le contrôle conscient des processus cognitifs (telles que la lecture ou la rédaction de travaux universitaires), mettant en jeu ce que Kahneman appelle le «système 2» de pensée, gourmand en attention et en énergie mentale.
La capacité attentionnelle limitée est aussi au cœur des théories proposant que les processus cognitifs conscients et contrôlés sont réalisés dans la mémoire de travail que l’on compare à un espace mental capable de traiter un nombre restreint d’informations nouvelles.
Dans la mémoire de travail, l’attention agit comme un superviseur de la répartition des ressources cognitives et un contrôleur de l’exécution de l’action. Les circuits cérébraux associés à la mémoire de travail et aux fonctions exécutives sont ceux du cortex préfrontal.
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Quand l’émotion gruge l’attention
Les chercheurs ont longtemps pensé que le traitement des émotions par l’amygdale ne dépendait pas de ressources attentionnelles de la mémoire de travail. Cependant, des données s’accumulent en faveur de l’hypothèse contraire, indiquant que les circuits reliant l’amygdale et le cortex préfrontal jouent un rôle important dans la discrimination entre les informations pertinentes et non pertinentes pour l’activité en cours.
Par exemple, on a découvert que les stimuli émotionnels interféraient dans la réalisation d’une tâche en mémoire de travail d’autant plus qu’ils étaient peu pertinents pour celle-ci. De plus, lorsque la charge cognitive liée à la réalisation de la tâche augmentait (c’est-à-dire lorsque la tâche nécessitait plus de ressources cognitives), l’interférence des stimuli émotionnels non pertinents pour la tâche augmentait également. Il semblerait donc que plus une tâche exige de l’effort cognitif et de la concentration, plus nous sommes distraits facilement.
De nombreuses recherches sur l’anxiété réalisées par le psychologue Michael Eysenck et ses collègues vont dans le même sens. Elles démontrent que les personnes anxieuses allouent préférentiellement leur attention aux stimuli associés à la menace, sans lien avec la tâche en cours. Ces stimuli peuvent être internes (des pensées inquiétantes) ou externes (des images perçues comme menaçantes).
C’est aussi le cas de l’inquiétude, c’est-à-dire de l’expérience répétée de pensées apparemment incontrôlables concernant d’éventuels événements négatifs. Aussi bien l’anxiété que l’inquiétude gruge l’attention et les ressources cognitives de la mémoire de travail entraînant une baisse des performances cognitives, en particulier pour les tâches complexes.
D’autres recherches indiquent que le sentiment de fatigue mentale augmente lorsqu’on réalise une tâche en s’efforçant de ne pas répondre à des sollicitations extérieures. Il a ainsi été proposé que la fatigue mentale est une émotion particulière, qui nous indiquerait que nos ressources mentales sont en train de s’épuiser.
Dans l’ensemble, ces recherches suggèrent que nous épuisons nos ressources attentionnelles pour… éviter d’accorder de l’attention aux informations non pertinentes, mais émotionnellement chargées! On comprend mieux maintenant pourquoi il est si difficile – et épuisant – de s’empêcher de prendre ses courriels pendant la lecture d’un texte scientifique, de passer du courriel à Facebook et de Facebook à la page Covid-19 de Radio-Canada, lorsque nous sommes inquiets au sujet de la courbe ou du bilan des victimes dans les CHLSD.
Émotion et cognition sont inséparables
Les recherches en sciences cognitives confirment aujourd’hui ce que nous savons intuitivement: étudier demande de l’attention, du temps et de la disponibilité d’esprit. Ces recherches montrent que les processus cognitifs et émotionnels sont tellement imbriqués dans le cerveau que, pour certains chercheurs, tels que Antonio Damasio, aucune pensée n’est possible sans émotion.
Il n’est donc pas étonnant que dans un contexte rempli de messages sur les dangers de la pandémie, les étudiants éprouvent des difficultés à se concentrer de façon durable sur leurs études et que la plupart semblent paradoxalement manquer de temps de qualité pour lire ou pour écrire.
Béatrice Pudelko, Professeure en psychologie de l’éducation, Université TÉLUQ
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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