Comment éprouver de la joie pour les autres?
Célébrer les victoires des autres peut susciter votre propre succès!
Quand Eugenie George a appris que son amie avait réussi un examen de conseil financier, elle a senti son cœur se serrer. Elle avait elle-même échoué à ce test quelques semaines plus tôt, et avait besoin de ce certificat pour progresser dans sa carrière. «Mon enfant intérieur était contrarié», se souvient Eugenie, rédactrice financière et enseignante à Philadelphie. Puis, au lieu de ruminer, elle a plutôt appelé son amie. «Je lui ai dit que j’avais échoué et j’ai admis être un peu jalouse.» Elle savait qu’être honnête désamorcerait son sentiment d’envie, mais elle a été surprise de voir à quel point cela lui permettait également de participer au bonheur de son amie et d’éprouver à son tour de la joie. «Je l’ai félicitée et lui ai dit qu’elle était une source d’inspiration pour moi.»
Se réjouir de la bonne fortune d’autrui est ce qu’on appelle en sciences sociales la freudenfreude (freude, en allemand, signifie «joie»), un terme qui décrit le plaisir qu’on éprouve devant la réussite d’une autre personne, même sans être directement touché.
Ce sentiment, qu’on appelle aussi compersion, est un ciment social, explique Catherine Chambliss, professeur de psychologie au Ursinus College de Collegeville, en Pennsylvanie. Il rend les émotions «plus intimes et agréables».
Selon Erika Weisz, chercheuse à l’université Harvard, cette émotion est très proche de l’empathie. Une étude de 2021 a démontré qu’elle encourageait les actes de bienveillance. Aider son prochain, partager sa joie, stimule à son tour la résilience, améliore la satisfaction générale et dispose à coopérer en cas de conflit.
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Si ses avantages sont nombreux, ce sentiment de joie partagée ne s’impose pas facilement. Parfois, la perte est si douloureuse qu’il semble hors d’atteinte. Si, encore, on a été élevé dans un milieu où on lie estime de soi et triomphe, explique Catherine Chambliss, on sera sans doute porté à interpréter les succès d’autrui comme des échecs personnels. Enfin, d’autres facteurs tels que la santé mentale et le bien-être global influent également sur la capacité à prendre part à la joie des autres.
Malgré tout, se laisser aller à éprouver de la compersion en vaut la peine. Voici quelques manières de nourrir ce sentiment.
Se réjouir du malheur des autres: des effets néfastes
Pour mieux comprendre la freudenfreude, il est bon de rappeler son pendant plus célèbre, la schadenfreude: le plaisir qu’on tire du malheur des autres. Dans une étude de 2012, Catherine Chambliss et ses collègues ont étudié ces deux sentiments opposés chez des étudiants d’université, dont certains souffraient de dépression modérée. Chez les étudiants qui n’étaient pas déprimés, ont-ils noté, le sentiment positif était plus fréquent; les étudiants légèrement déprimés, en revanche, avaient de la difficulté à adopter un état d’esprit leur permettant de partager la joie des autres. «Lorsqu’on se sent mal, il est naturel de dévaloriser les bonnes nouvelles», explique Mme Chambliss.
Mais il n’est pas nécessaire d’être en situation de souffrance morale pour se réjouir du malheur des autres – lorsque le méchant d’un film obtient ce qu’il mérite, par exemple, ou qu’un opposant est mis en difficulté. Ce sentiment peut même être réconfortant et avoir son utilité. «La schadenfreude est une façon de gérer la jalousie et la vulnérabilité», explique la psychologue clinicienne Emily Anhalt, cofondatrice de Coa, une application de santé mentale. C’est un «protecteur de l’ego» qui préserve de la souffrance et renforce les liens sociaux à l’intérieur d’un groupe – par exemple dans les rangs d’amateurs de sport lorsque l’équipe rivale subit une humiliante défaite.
Cela dit, se complaire dans la schadenfreude peut avoir des effets néfastes. Sur les réseaux sociaux, on a pu établir qu’elle diminuait le sentiment d’empathie, surtout à l’endroit de gens différents. D’autres recherches tendent à prouver que se réjouir du malheur des autres réduit l’estime de soi, surtout lorsqu’on se compare à ceux qui réussissent.
Assurez-vous de connaître ces comportements toxiques (que l’on croit bons).
Est-il possible d’éprouver plus de freudenfreude?
«L’empathie n’est pas toujours automatique, affirme Erika Weisz. Cela demande souvent une forme de motivation.» Pour aider à renforcer le sens du partage de la joie, Catherine Chambliss et ses collègues ont mis au point un programme appelé Freudenfreude Enhancement Training (FET), qui comprend deux exercices. Et il est apparu que les étudiants déprimés les ayant pratiqués pendant deux semaines avaient plus de facilité à exprimer de la compersion, ce qui améliorait leurs relations et leur humeur.
Si vous souhaitez éprouver plus facilement ce même sentiment, essayez de suivre les conseils suivants issus du FET et d’autres spécialistes de la question.
Démontrez un intérêt sincère pour le bonheur de votre entourage
L’une des façons de faire naître ou d’entretenir des sentiments agréables envers les autres est de poser des questions. Pour Catherine Chambliss et ses collègues il s’agit ainsi de partager la joie. Pour commencer, invitez le porteur de bonnes nouvelles à parler de son expérience. Même si votre cœur n’y est pas, le bonheur peut s’épanouir lorsqu’on fournit un effort sincère pour prendre part à une activité positive, ainsi que le montre dans ses recherches Sonja Lyubomirsky, professeur de psychologie à l’université de Californie à Riverside. En parlant à votre interlocuteur, assurez-vous de le regarder dans les yeux et de l’écouter attentivement. Cela devrait vous soutenir et vous donner le sentiment que vos efforts portent leurs fruits. (Essayez l’un de ces trucs pour entamer une conversation et capter l’attention!)
Considérez les succès individuels comme des résultats d’efforts communs
«Lorsque nous nous sentons heureux pour les autres, leur joie devient notre joie», déclare la psychologue Marisa Franco. «Personne n’atteint le sommet seul, ajoute Emily Anhalt, et lorsqu’on aide les autres à s’élever, on est souvent entraîné avec eux.»
L’artiste Jean Grae soutient ses amis et collègues dans cette conviction. Si l’un de ses proches saisit une occasion ou passe un cap important, elle s’assure de célébrer l’événement. Jean Grae affirme être particulièrement touchée lorsqu’une personne considérée comme «différente» réussit. «C’est vraiment une source d’inspiration, déclare-t-elle, car cela nous élève tous et nous fait briller.»
Attribuez également aux autres le mérite de vos succès
Les émotions sont contagieuses, manifester sa reconnaissance permet donc d’augmenter le sentiment de freudenfreude pour celui qui exprime sa gratitude et celui qui la reçoit. Vous aussi vous avez la capacité de propager ce sentiment lorsque vous éprouvez une joie personnelle.
Pour cela, essayez cet exercice du FET qui consiste à exprimer sa gratitude quand le succès ou le soutien d’une autre personne entraînent votre propre réussite. Commencez par partager votre victoire, puis remerciez-la pour son aide. Soyez précis. Si le comptable de votre ami vous a bien conseillé pour épargner, dites par exemple: «Mes économies augmentent. Merci de m’avoir recommandé ton excellent comptable.»
C’est là un plaisir qu’on partage comme un dessert: on en apprécie également la douceur.
Devenez un admirateur de la joie
«Trop souvent, on pense à la joie de manière passive, soutient Marisa Franco. On la considère comme une émotion qui vient à nous, et non comme un sentiment dont nous sommes l’auteur.»
Cultivez la joie en invitant les autres à partager leurs réussites. Demandez: «Quel était le meilleur moment de ta journée?» ou «J’ai besoin d’entendre de bonnes nouvelles; quelle est la meilleure chose qui te soit arrivée cette semaine?» S’intéresser aux succès des autres vous transforme en spectateur de leur joie et vous donne une occasion de les découvrir sous leur meilleur jour.
Éprouver plus de freudenfreude ne signifie pas que vous ne vous réjouirez plus jamais des malheurs du méchant de film, mais être capable de saisir le bonheur est un avantage en soi.
Selon Catherine Chambliss, «on a beau se réjouir des défaites de nos ennemis, célébrer les succès de nos amis – petits et grands – nous permet de triompher tous».
© 2022 The New York Times Company. Tiré de The New York Times (28 novembre 2022).
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