Cancer du sein: comment traiter le CCIS?
Le CCIS (carcinome canalaire in situ) est une forme de cancer du sein qui ne se propage que dans 10% de cas. Vous trouverez ci-dessous de l’information sur ce que c’est et pourquoi un diagnostic de CCIS pourrait ne pas être inquiétant.
Hazel Thornton avait 57 ans lorsqu’elle s’est rendue à son central local de dépistage du cancer du sein à Colchester (Angleterre) pour passer une mammographie. Survivante d’un mélanome malin qui avait été dépisté à temps, elle croyait en la valeur du dépistage et du traitement précoces.
Elle ne présentait aucun symptôme, mais la mammographie a révélé qu’elle avait le carcinome canalaire in situ, ou CCIS. Il s’agit d’une prolifération de cellules et de microcalcifications se confinant généralement aux parois des canaux galactophores (canaux par où s’écoule le lait maternel) et n’infiltrant les tissus du sein ou d’autres organes que dans 10% des cas. Cependant, il n’existe présentement pas de méthode pour distinguer cette forme de la forme infiltrante et potentiellement mortelle.
Les oncologues recommandent aux femmes ayant reçu un diagnostic de CCIS de subir un traitement anticancéreux, soit une mastectomie si les cellules se sont dispersées dans le sein ou une chirurgie mammaire conservatrice suivie d’une radiothérapie ou d’une chimiothérapie au tamoxifène si elles sont confinées en un seul endroit. Une fois son diagnostic de CCIS confirmé par la biopsie, Hazel Thornton a été traitée au tamoxifène.
Elle a alors entrepris de s’informer sur le CCIS et ce qu’elle a appris l’a consternée. Depuis, elle s’est transformée en avocate inconditionnelle du consentement éclairé et de l’accès à une information complète sur les risques et bienfaits de la mammographie de dépistage chez des femmes par ailleurs en santé. Au cours de la dernière décennie, cette ex-femme d’affaires s’est fait connaître partout dans le monde par les conférences qu’elle a données sur ce sujet. Régulièrement invitée à parler dans les congrès internationaux de médecine, elle a également publié de nombreux articles et rapports dans des revues médicales respectés, parfois co-écrits avec des experts mondiaux en cancer du sein.
À son avis, le dépistage précoce du CCIS fait plus de mal que de bien dans la plupart des cas. En découvrant le cancer à un stade aussi précoce, avant qu’il ne devienne infiltrant (c’est le cas chez 10% de celles qui en souffrent), la mammographie conduit à poser un diagnostic de cancer du sein chez de nombreuses femmes par ailleurs en santé, et à leur faire subir un traitement qui pourrait être inutile et, dans certains cas, les mutiler. «Une fois le CCIS dépisté, les femmes ont bien du mal à renoncer au traitement, ce qui est tout à fait normal. Mais dans la majorité des cas, si on ne l’avait jamais découvert, cela n’aurait fait aucune différence.»
Cornelia Baines, professeure à la Public Health Science de l’université de Toronto et à la tête de la National Breast Screening Study, est d’accord avec elle : «Je continue de penser que le diagnostic de CCIS n’est pas utile aux femmes et que le traitement offert pourrait être superflu et même dangereux.»
Au cours d’une étude centrale menée au Canada, Eileen Rakovitch, radio-oncologue au Sunnybrook Health Sciences Centre de Toronto et experte canadienne de premier plan en matière de CCIS, a découvert que même si le taux de survie du CCIS était de 98%, les femmes qui reçoivent ce diagnostic souffrent du même degré de stress psychologique et d’anxiété que les femmes ayant reçu un diagnostic de cancer infiltrant et craignent autant qu’elles de rechuter ou de mourir.
«Le médecin doit donc passer beaucoup de temps à informer les femmes qui ont reçu ce diagnostic que leur cancer ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait généralement de cette maladie», explique-t-elle, ajoutant que, étant donné les difficultés psychologiques que connaissent les femmes étiquettées de cancéreuses, on discute présentement dans les cercles médicaux de la pertinence de retirer le mot «carcinome» du nom de cette maladie.
Avant que le dépistage par mammographie (c’est-à-dire une mammographie donnée à des femmes ne présentant aucun symptôme) devienne accessible, dans les années 1980, le CCIS était rarement diagnostiqué, ne représentant que 1% des nouveaux cancers. À l’époque, on le dépistait à ses symptômes : tumeur palpable, douleur au sein ou écoulement. Les résultats d’études ayant porté sur les autopsies effectuées sur des femmes dont le décès était dû à d’autres causes ont montré qu’environ 9% des femmes avaient le CCIS mais ne semblaient pas en souffrir; ce qui indiquerait que ce trouble est relativement commun chez des femmes par ailleurs en santé. Et pourtant, au cours des 20 dernières années, son l’incidence est montée en flèche, représentant désormais près de 20% des diagnostics de cancer du sein. En d’autres mots, il touche 5000 femmes par année.
Christine Wooldridge de Shawnigan Lake (C.-B.) est l’une d’entre elles. En novembre 2006, alors qu’elle était âgée de 68 ans, elle a passé une mammographie de dépistage qui a révélé des microcalcifications suspectes dans son sein gauche. Une seconde mammographie passée six mois plus tard révélait d’autres changements inquiétants. Une biopsie a permis de confirmer le diagnostic de CCIS. En juillet 2007, elle subissait une chirurgie mammaire conservatrice qui a consisté en l’ablation du quart du volume de son sein. Cette intervention a été suivie de 16 séances de radiothérapie. Pour elle, les conséquences ont été graves : l’intervention chirurgicale lui a laissé de larges cicatrices tandis que la radiothérapie lui a décoloré la peau et laissé des brûlures qui continuaient de peler et étaient toujours douloureuses plusieurs semaines plus tard.
«Ça été une expérience horrible mais comme il n’y a aucun moyen de savoir si le cancer va se propager, on se résout à subir les interventions pour l’éliminer. Mais je me demande parfois ce qui serait arrivé si je n’avais pas passé la mammographie et si j’avais attendu que les symptômes apparaissent? Aurais-je bénéficié d’un certain répit avant d’avoir un cancer infiltrant ou serais-je tout simplement morte d’autre chose?»
Eileen Rakovitch conduit une équipe de chercheurs qui espèrent répondre à ces questions. Supportée par une subvention d’aide à la recherche de 1,3$ octroyée par l’Alliance canadienne pour la recherche sur le cancer du sein et échelonnée sur cinq ans, son équipe analysera la plus importante banque d’échantillons de tissus de CCIS au monde, afin d’identifier les marqueurs potentiels qui permettraient de distinguer les lésions ne constituant aucune menace de celles qui risquent d’être très graves.
Son équipe analysera 8000 échantillons de tissus prélevés entre 1994 et 2003, étudiant les caractéristiques non seulement pathologiques mais également moléculaires des lésions : récepteurs des oestrogènes, prolifération de certains anticorps, marqueurs liant le calcium et autres marqueurs. Les résultats seront comparés à ceux des femmes ayant reçu un diagnostic de CCIS. Ce sera la première étude populationnelle sur le CCIS à tenter de trouver des indices permettant de prédire quelles femmes souffriront de la forme infiltrante de ce cancer.
«Le but est d’arriver à distinguer les femmes qui ont réellement besoin d’une intervention de celles pour qui elle n’est pas utile, explique Eileen Rakovitch, et de donner aux premières le traitement adéquat.» Dans le futur, les femmes auront peut-être la possibilité de préserver l’intégrité de leurs seins et d’attendre que les symptômes apparaissent avant de subir une intervention.