La transformation du bruit
L’année dernière, j’ai eu droit une bonne partie de l’été à un concert de scies circulaires, de tondeuses et autres instruments pétaradants. S’y ajoutait parfois un mystérieux martèlement, venant d’un quartier voisin. Si vous avez passé presque toute la pandémie en télétravail – comme moi à Toronto –, vous avez fait connaissance avec l’environnement sonore, pas toujours agréable, de votre lieu d’habitation. Mais il est possible aussi que, en ville comme en banlieue, vous ayez au contraire perçu quelque chose d’autre dans les rues. Les oiseaux semblaient chanter plus fort. Les voix portaient davantage. Et dans certains quartiers, même les chantiers s’étaient tus. Assurez-vous de connaître ces règles à suivre pour bien travailler depuis la maison.
Cette transformation soudaine était palpable. Avec moins de voitures dans les rues, les mesures du bruit se sont effondrées dans toutes les villes occidentales. Avec la diminution des vibrations habituelles générées par l’activité humaine, les sismologues ont observé un changement de comportement. Des micros installés dans plusieurs grandes villes du monde ont capté «les milieux de vie créés par l’humain sans les bruits de l’humain», comme l’a écrit le New York Times. Nos villes, jadis bruyantes, avaient été réduites au silence.
Le bruit ambiant
Le bruit est souvent perçu comme un problème individuel et non comme un enjeu de société. Mais Tor Oiamo, professeur adjoint de géographie et d’études environnementales à l’université Ryerson, espère que sa recherche contribuera à changer les mentalités. Pendant plus de 10 ans, il a étudié les effets à long terme du bruit ambiant sur la santé – le niveau de bruit minimum observé dans un environnement, lequel est si omniprésent que les plaintes adressées à la municipalité ne sont jamais jugées recevables.
«Qu’est-ce qui nous vient à l’esprit quand on parle de bruit? demande Tor Oiamo. On pense d’abord aux rénovations du voisin, aux chiens, aux spectacles – tout ce qui se détache du bruit ambiant.» Ces intrusions quotidiennes sont certes agaçantes, mais leur effet sur la santé est moindre que celui qui est dû aux nuisances sonores permanentes et continues que nous avons appris à supporter ou à ignorer. C’est-à-dire le vrombissement constant de la circulation sur l’autoroute, les activités industrielles – ces bruits fixes qui se perpétuent jour après jour. Ceux que vous n’aviez sans doute jamais remarqués avant que le confinement ne baisse partout le volume en 2020. Évitez une perte d’audition en protégeant vos oreilles des bruits intenses.
Les effets du bruit sur la santé
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), hormis ses effets indéniables sur le sommeil, l’humeur et la qualité de vie, le bruit ambiant excessif a des effets préjudiciables sur la santé cognitive, cardiovasculaire et mentale. Cela peut paraître contradictoire, mais ces sons vous aideront à passer une meilleure nuit.
Dans l’espace urbain, ceux qui en souffrent le plus sont les gens défavorisés ou marginalisés, le silence étant réservé aux privilégiés et aux nantis. Si ce que l’oreille perçoit dans l’environnement immédiat perturbe, le bruit de fond que tant de Canadiens ont appris à supporter ou à ignorer mérite toute notre attention. Il aura fallu une pandémie mondiale pour entendre la différence.
Au début du XXe siècle, l’environnement sonore dans les villes se résumait à un vacarme: cris des camelots, grincements des tramways, tintements des bouteilles de lait, hurlements d’enfants, beuglements des radios, sirènes d’usines, aboiements.
Vers 1925, un mouvement antibruit s’est déployé. Des campagnes condamnaient le «bruit inutile» et exigeaient le retour à l’ordre dans la cité. Le bruit était jugé agressif. G. R. Anderson, professeur d’acoustique à l’université de Toronto, surnommé à l’époque le «professeur du bruit», était régulièrement invité à s’exprimer dans la presse. Il trimbalait son audiomètre, un appareil de mesure moderne, pour évaluer les pires contrevenants (au premier rang, les tramways).
Adelaide Plumptre, troisième femme à accéder au poste de conseillère à Toronto, a proposé un arrêté municipal contre le «bruit inutile», qui a pris effet le 26 juin 1939. Il était alors interdit de crier, de klaxonner et de sonner les cloches. Les vieilles voitures devaient rouler doucement. Le volume des postes de radio devait baisser. Les contrevenants s’exposaient à une amende de 50$ par infraction – plus de 900$ actuels.
Dans sa lutte contre le bruit, Toronto s’inspirait de New York où le maire Fiorello La Guardia menait sa propre «guerre contre le bruit». En 1936, la Ville adoptait un des premiers arrêtés municipaux détaillés sur le bruit en Amérique du Nord. La Guardia, écrit l’historienne de la culture Lilian Radovac, «voyait le bruit comme le baromètre auditif de New York», à la fois symptôme et cause du désordre urbain. Le bruit, que les urbanistes avaient essayé de contenir, était devenu un échec moral qu’il fallait surveiller, autoriser et contrôler.
Pour masquer la vérité
En réalité, les plaintes contre le bruit servaient à rendre la vie difficile aux habitants noirs ou d’origine étrangère dans des quartiers en voie d’embourgeoisement, ou à empêcher les grèves et les manifestations politiques, à chasser les marchands des trottoirs et les enfants des rues, et à protéger la structure sociale. À Toronto, le chef de police D. C. Draper essayait d’interdire aux véhicules munis de haut-parleurs de participer à des défilés. Aujourd’hui encore, les règlements antibruit visent volontiers les groupes marginalisés.
Si les plaintes contre la nuisance sonore ont longtemps servi de masque au racisme, au préjugé de classe et à la stratégie politique, il n’en reste pas moins que certains bruits ambiants mettent la santé en danger.
Toujours plus de bruit
Avec les années 1960 vient la promesse des vols supersoniques. Oklahoma City espérait en être la première plateforme aéroportuaire. Personne ne savait comment la population réagirait au bang supersonique. La réponse s’est appelée «Operation Bongo», une campagne supervisée par le gouvernement central qui consistait à soumettre quotidiennement pendant six mois la population d’Oklahoma City à plusieurs bangs d’intensité variable. Comme on le devine, cela a causé inquiétude, frustration et agacement.
Les voitures ont redéfini le paysage sonore des rues, et les voyages en avion ont remodelé celui du ciel. Le bruit serait bientôt perçu comme un fléau environnemental au même titre que la pollution avant de devenir un véritable problème de santé dans les années 1990. Un nombre grandissant d’études montre un lien entre l’exposition excessive au bruit et certains effets sur la santé, depuis l’élévation de la tension artérielle aux répercussions cognitives sur la mémoire, la performance et la concentration.
Une étude menée en 2011 sur la population danoise a ainsi révélé que, lorsque l’exposition au bruit augmente de 10 décibels (dB), les gens âgés de plus de 65 ans présentent un risque plus élevé de 27% de souffrir d’un AVC. Une autre étude associe une augmentation de 10 dB du bruit de la circulation à un risque 12% plus élevé de souffrir d’une crise cardiaque.
Avec la collaboration du service de santé publique municipal, Tor Oiamo et ses collègues de Ryerson ont publié en 2017 la première étude d’ensemble sur le bruit à Toronto. «Le nombre d’individus exposés à des niveaux dangereux ne cesse de croître», déplore le professeur. Sans surprise, l’étude a démontré que la circulation automobile comptait pour 60% du bruit de fond et que les sujets qui le subissent étaient particulièrement vulnérables à une exposition à des niveaux excessifs.
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Les inégalités d’exposition sonore
Plus de 60% des Torontois étaient exposés à des niveaux de bruit de circulation supérieurs à 55 dBA pendant la journée. (Si les dB mesurent l’intensité sonore, le «dBA» réfère à la fois à l’intensité et à la manière dont l’oreille y répond.) Et bien que le pourcentage de la population affectée tombe à 50% la nuit, le niveau sonore dépasse toujours la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé qui s’établit à 53 dBA pour la circulation automobile pendant la journée et à 45 dBA durant la nuit. À Toronto, la moyenne générale des niveaux sonores sur 24 heures pendant la semaine s’établissait à environ 63 dBA – comparable à une conversation normale, mais qui ne s’arrête jamais. (Montréal et Vancouver présentent des niveaux similaires.)
Dans les quartiers défavorisés, le risque que la moitié des habitants soient exposés à des niveaux de bruit nocturne excessifs est 11 fois plus élevé que dans les quartiers favorisés. Autrement dit, la vie tranquille est une vie privilégiée, accessible à ceux qui peuvent s’offrir un appartement bien insonorisé ou une maison de banlieue située dans une rue calme.
Devant tous ces faits, ne devrait-on pas être plus inquiets?
«Il y a des effets à long terme sur l’hypertension, le diabète et les maladies cardiovasculaires», insiste Tor Oiamo – ces effets sont aggravés chez les gens à faibles revenus ou appartenant à des groupes marginalisés pour qui l’accès aux soins de santé est souvent limité. Alors, pourquoi ne pas traiter le bruit ambiant avec la même attention que d’autres intrusions sonores qui font partie du quotidien?
Avant la pandémie, à Toronto, les chantiers de construction et l’amplification du son comptaient pour la plupart des plaintes pour nuisances sonores. On comprend pourquoi.
Impossible de ne pas les remarquer, ils se détachaient du lot. «Quand vous êtes chez vous et que votre voisin met la musique à fond, vous savez d’où ça vient, qui en est responsable et pourquoi vous détestez ça», convient Lilian Radovac.
Mais le bruit ambiant est plus pernicieux. Il ne s’arrête jamais – vous ne pouvez rien y faire, en tout cas pas sans aide. Vous pouvez vous plaindre. En réalité, dans leurs mesures, les agents municipaux tiennent compte du bruit ambiant généré par des autoroutes et des usines, même éloignées.
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La vraie menace est imperceptible
La société doit se donner les moyens d’intervenir. En octobre 2019, Toronto a présenté un plan d’action contre le bruit «destiné à réduire l’exposition au bruit ambiant à long terme» (ces dernières années, Vancouver et Ottawa ont aussi émis des directives). Les agences de transport public sont encouragées à privilégier une planification tenant compte de l’atténuation du bruit et à faire rouler plus de véhicules électriques. Il conviendrait par ailleurs de réduire les limites de vitesse, de dérouter les camions de fret et de mieux entretenir les routes. Le Code national du bâtiment exige désormais une insonorisation plus complète, ce qui, selon Lilian Radovac, contribuerait à protéger les gens de niveaux de bruit nocifs. Pour évaluer et comprendre le changement des niveaux sonores dans la durée, la Ville de Montréal s’est engagée à mettre sur pied un observatoire du bruit; en gros, une version permanente de l’étude de Tor Oiamo sur Toronto.
Il ne s’agit pas de rendre les villes plus silencieuses, mais d’arriver à ce que moins d’individus et de populations ne soient exposés à des niveaux de bruit dangereux. Ce ne sera pas simple; il faudra faire le procès de nombreuses inégalités en même temps, toutes reliées. À Toronto et à Montréal, les recherches montrent que les citoyens noirs et de couleur sont les plus touchés par le bruit. Ce sont aussi eux qui ont le plus souffert de la pandémie. Il est inconcevable de traiter l’une et pas l’autre quand les causes sous-jacentes sont les mêmes.
Avec la levée des nombreuses restrictions liées à la pandémie, les gens retrouvent leurs vieilles habitudes. Les usines et les entrepôts se sont remis à vrombir. Les rues et les routes sont de nouveau envahies par les voitures. Le bruit ambiant est revenu. Les scies, les tondeuses, le martèlement mystérieux sont plus agaçants que jamais, mais n’oubliez pas que ce ne sont que des nuisances ponctuelles, une histoire de voisins. La vraie menace est imperceptible parce qu’elle est toujours présente – elle fait partie du paysage sonore.
Moins fort
La pollution sonore a de nombreux effets délétères, de la perturbation du sommeil à l’augmentation du risque de maladie cardiovasculaire.
Ce que les municipalités canadiennes font pour réduire le bruit:
- Adoption de nouveaux règlements municipaux
- Mesures de ralentissement de la circulation, comme les ronds-points et la fermeture de rues
- Limitation des horaires de chantiers
- Renforcement des exigences en matière d’insonorisation pour les immeubles résidentiels neufs ou qui font l’objet de rénovations
- Augmentation du nombre de bornes de recharge pour encourager les véhicules électriques
- Définition de zones de silence
Comment pouvez-vous y contribuer:
- Marchez ou déplacez-vous à vélo quand c’est possible
- Optez pour une voiture silencieuse à faible consommation de carburant
- Combinez vos courses pour réduire vos déplacements en voiture
- Entretenez votre tondeuse – et mettez-vous au râteau
- Baissez la musique
La perte d’audition est l’une des raisons pour lesquelles la technologie vous rend malade.
©Matthew Braga. Tiré de «How Noise Shaped a City», The Local (25 août 2020), thelocal.to