Ce mercredi soir, au Centre de médecine préventive et d’activité physique de l’Institut de cardiologie de Montréal (ÉPIC), a lieu un atelier de réduction du stress basé sur la pratique de la pleine conscience appliquée. Au début de cette cinquième séance (il y en a 10 en tout), lorsque le Dr Robert Béliveau demande s’il y a des commentaires concernant l’atelier précédent, plusieurs des 30 participants lèvent la main. « Je me sens déjà plus apaisée, dit une quadragénaire souriante. La semaine dernière, j’ai pratiqué la marche méditative. Ça n’a pas été facile, car j’ai l’habitude de filer comme une flèche dans les couloirs de l’hôpital où je travaille. Là, j’ai ralenti et cela m’a permis de remarquer l’affiche d’une conférence que je n’aurais jamais vue autrement. J’y ai d’ailleurs assisté et je l’ai beaucoup appréciée. » Une brune assise au premier rang poursuit qu’elle aussi a essayé la marche méditative, mais qu’elle a eu du mal à se concentrer sur sa respiration au milieu du bruit et des voitures. « Moi, cette semaine j’ai perdu mon téléphone… et je n’ai même pas fait de crise cardiaque ! ajoute son voisin, déclenchant des rires dans l’assistance. J’ai été étonné de ma réaction. J’ai paniqué, bien sûr, mais je ne suis pas resté longtemps dans cet état.
Après avoir donné des conseils sur la marche méditative, le Dr Béliveau demande de fermer les yeux pour une courte séance de méditation. « Pendant trois minutes, on va se concentrer sur notre souffle, explique-t-il. On inspire, on expire, on inspire, on expire… Quand votre esprit s’évade, ramenez votre attention sur la respiration. On inspire, on expire, on inspire, on expire… »
Ce médecin de famille, qui a cessé de pratiquer en 2000 pour se consacrer à ces ateliers, poursuit la formation dans une ambiance détendue. Il explique les réactions au stress et l’importance de vivre les émotions douloureuses, fait quelques blagues, cite des livres et des études scientifiques sur la santé. Puis il demande aux participants de se lever pour faire des étirements, avant de reprendre son exposé, cette fois sur les bonnes habitudes et attitudes pour prévenir l’épuisement professionnel, la dépression et vivre sainement.
Le boum de la méditation
Ceux qui participent aux ateliers du Dr Béliveau ne sont pas les seuls à méditer ces temps-ci. Depuis quelques années, cette pratique connaît un énorme succès partout sur la planète. Les librairies offrent une multitude d’ouvrages sur la question. Les émissions de télé populaires s’y intéressent – l’automne dernier, à Banc public, Guylaine Tremblay s’entretenait avec une ingénieure qui a tout abandonné pour enseigner la méditation. Et de multiples applications pour téléphone (Headspace, Petit BamBou, Pleine conscience…) permettent à tout un chacun de méditer n’importe où, à n’importe quelle heure.
La méditation n’est plus réservée aux moines reclus des monastères. On médite désormais partout, et pas seulement dans l’intimité de son salon ou dans des centres de méditation et de yoga. Écoles, entreprises et hôpitaux se sont joints au mouvement. À l’Université de Montréal et à l’Université McGill, les étudiants en médecine suivent un cours obligatoire sur la méditation de pleine conscience. À l’Université Laval, ce sont des gestionnaires et des dirigeants d’entreprises qui s’exercent à la « présence attentive » dans le cadre du programme « Complexité, conscience et gestion ».
Aujourd’hui, les techniques de méditation sont très diversifiées, fait valoir le Dr Claude Fournier qui anime des interventions fondées sur la présence attentive au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale nationale pour des personnes souffrant de dépression et d’anxiété et pour des professionnels de la santé. « La méditation est employée dans les écoles. Elle est mise à contribution pour soigner la dépression et aider les personnes aux prises avec des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, dit-il. Même l’armée l’utilise pour réduire le stress post-traumatique. »
Et cet intérêt croissant pour la méditation se manifeste dans toutes les couches de la société, témoigne Nicole Bordeleau, auteure et populaire maître de yoga. « L’autre jour, un camionneur m’a écrit pour me dire qu’il écoutait mon CD de méditation pendant qu’il attendait son chargement ! »
Affiner sa concentration
Dire qu’il y a à peine 10 ans, lorsque Mme Bordeleau parlait parmi les premières de méditation à la télé, le sujet était loin d’avoir la cote. Le public se montrait à peine curieux. Puis, les gens ont commencé à poser des questions et à acheter des livres et des CD de méditation. « Et là, je viens de voir 700 personnes méditer avec Matthieu Ricard, dans une salle de spectacle à Montréal ! » s’exclame- t-elle.
Cette salle, c’est la Tohu, à Montréal. En octobre 2015, le célèbre moine bouddhiste Matthieu Ricard y donnait une conférence sur la méditation. Lors de son allocution, on aurait pu entendre une mouche voler parmi l’assistance. Il faut dire que l’interprète français du dalaï-lama et ancien chercheur en biologie moléculaire était captivant. Dans un exposé plein d’humour et d’anecdotes, Matthieu Ricard a expliqué en termes simples des concepts complexes et souvent mystérieux. « La méditation, c’est un entraînement de l’esprit, a-t-il exposé. Et comme on peut s’entraîner à jongler, à jouer aux échecs ou à n’importe quel sport, on peut entraîner son esprit à beaucoup de choses. On peut se familiariser avec l’attention et la façon dont surgissent nos pensées ; on peut cultiver la bienveillance et l’amour altruiste ; on peut prêter attention à notre présence éveillée. C’est tout ça, la méditation. » Le but étant d’améliorer notre manière d’être, d’amenuiser la jalousie, l’arrogance, l’irritation… pour les remplacer par la bienveillance, la paix et la force intérieure.
Mais comment arrêter ce flot incessant de pensées et d’émotions qui envahit notre mental en permanence ?
« Pour cultiver la bienveillance, il faut d’abord raffiner notre capacité de concentration. On le fait en se concentrant sur sa respiration ou sur un objet extérieur (une image, une fleur, un caillou) », a-t-il précisé avant de faire méditer les 700 personnes assises dans l’auditorium.
Les bienfaits de la pleine conscience
Datant de plusieurs millénaires, la méditation peut être associée à des traditions spirituelles, généralement celles de l’hindouisme et du bouddhisme, ou être pratiquée de façon séculière, sans aucune affiliation religieuse. Elle s’exerce de multiples façons, grâce à de nombreuses techniques : réciter des mantras, porter son attention sur sa respiration, visualiser un endroit calme, contempler l’image d’un être sacré, faire du yoga, marcher ou manger en pleine conscience, etc. « Quand j’ai commencé à enseigner, il y avait une dizaine de grandes formes de méditation. Aujourd’hui, plus de 30 types sont répertoriés ! » s’exclame Nicole Bordeleau qui l’enseigne depuis une quinzaine d’années. Parmi elles, la méditation transcendantale, popularisée par les Beatles dans les années 1960, la méditation zen, la méditation vipassana, etc.
Il n’en reste pas moins qu’une grande technique, issue de la tradition bouddhiste mais sans aucune référence religieuse, domine aujourd’hui en Amérique du Nord. C’est la méditation de pleine conscience, décrite comme « une présence attentive, intentionnelle, dans le moment présent et sans jugement ». On la doit au célèbre chercheur en biologie moléculaire Jon Kabat-Zinn qui a mis au point le programme de réduction du stress basé sur la pleine conscience (MBSR, Mindfull-Based Stress Reduction) et fondé la Clinique de réduction du stress à l’Université du Massachusetts à la fin des années 1970. C’est ce MBSR qui est enseigné dans les universités et utilisé dans près de 800 hôpitaux dans le monde, en plus de faire l’objet de moult études scientifiques pour vérifier ses bienfaits sur la santé.
Au fil des années, plusieurs études ont ainsi démontré que la pratique régulière de la méditation renforçait le système immunitaire, diminuait la tension artérielle et le risque d’incidents cardiaques, et améliorait la qualité de vie des personnes atteintes d’un cancer. En 2014, une méta-analyse publiée dans le Journal of The American Medical Association (synthétisant plus de 18 000 références sur le sujet !) concluait que la méditation de pleine conscience diminuait l’anxiété, la douleur et les symptômes de dépression, mais que ses effets sur l’humeur, l’attention, la consommation de drogues, les habitudes alimentaires, le sommeil et le poids n’étaient pas encore démontrés.
Ces bienfaits sur l’anxiété et la dépression, le Dr Fournier, du CIUSSS de la Capitale nationale, les observe aussi. Bien qu’il les prévienne de ne pas s’attendre à voir s’atténuer leurs symptômes en pratiquant la pleine conscience, ses patients disent souvent qu’ils dorment mieux, qu’ils ont tendance à moins s’en faire pour l’avenir, qu’ils ruminent moins le passé, qu’ils sont moins portés à se culpabiliser, et les patients qui souffrent de phobies, déclarent être moins préoccupés par les symptômes de celles-ci.
Un changement de vie
« Les bienfaits de la méditation sont innombrables, soutient Nicole Bordeleau. Avec tout juste 20 minutes par jour, je vois des résultats notables. Certaines personnes ont une plus grande confiance en soi, d’autres gèrent mieux l’anxiété, d’autres encore notent une plus grande concentration au travail. J’observe aussi de l’apaisement et plus de joie », témoigne celle qui a raconté dans son premier livre, Vivre, c’est guérir !, comment le yoga et la méditation ont complètement transformé sa vie, celle d’une toxicomane atteinte d’hépatite C.
Pour l’ancien entrepreneur Alain Doucine, la méditation a été le moyen de se sortir d’une dépression sans médicaments. Après avoir subi une chirurgie cardiaque importante en 2008, ce retraité de 71 ans s’est mis à broyer du noir, à faire des cauchemars horribles et avoir des idées suicidaires. C’est grâce aux ateliers du Dr Béliveau et à ses 45 minutes quotidiennes de méditation qu’il a pu remettre sa vie sur les rails.
Lyne R, une ancienne professionnelle de la Commission scolaire de Montréal aujourd’hui à la retraite, a trouvé la « paix et la sérénité » en méditant 35 minutes tous les matins dans son salon. La quinquagénaire a découvert la méditation de pleine conscience lors d’une période difficile dans sa vie. C’est d’ailleurs ce qui l’a aidée à mieux gérer son stress après un épuisement professionnel. « Quand je suis retournée travailler, ma façon de voir les choses avait grandement changé. Je me sentais moins débordée et le stress avait beaucoup moins d’emprise sur moi. J’étais aussi plus concentrée et plus efficace », confie-t-elle.
Le Dr Béliveau a également reçu plusieurs témoignages quant aux bénéfices de la méditation de la part d’anciens participants à ses ateliers. Une femme souffrant d’éprouvantes migraines a considérablement réduit ses médicaments antidouleurs. Une autre a découvert à 56 ans ce que c’était de vivre sans anxiété. Une gynécologue lui a confié avoir vu « sa vie changer » depuis qu’elle méditait une minute entre deux patients ou deux chirurgies.
« La plupart des gens sont beaucoup plus joyeux, ajoute le médecin. Parce qu’apprendre à lâcher prise et ne plus vouloir être parfait, ça rend la vie moins lourde. » Par ailleurs, ajoute-t-il, cette pratique est une excellente façon de conserver ou de restaurer sa santé (physique et mentale), car les patients sont au cœur du processus de guérison. Ils sont capables de ressentir ce qui ne va pas dans leur corps, avant de s’attaquer aux causes de la maladie, pas seulement à ses symptômes. Et tout ça, de façon économique, écologique et sans effets secondaires.
Méditer est également un changement de paradigme, fait valoir le Dr Béliveau. « En apprenant à développer la gratitude et le contentement, on va à l’encontre de notre culture qui nous pousse sans cesse à être insatisfaits puisque nous sommes toujours censés avoir plus, faire mieux, être meilleurs », dit-il. Ce qui n’est pas rien.
Pour s’initier à la méditation
À écouter :
• Méditer en toute simplicité, de Nicole Bordeleau
• Les 12 méditations guidées du CD contenu dans le livre Méditer, 108 leçons de pleine conscience, de Jon Kabat-Zinn (Les Arènes).
À lire :
• L’art de la méditation, de Matthieu Ricard (Pocket).
• Zen! La méditation pour les nuls, de Stephan Bodian (First).
Comment méditer ?
Envie d’essayer la méditation? Voici deux exemples de pratiques accessibles :
LA MINUTE DE CALME
Dans son dernier livre, L’art de se réinventer, Nicole Bordeleau, maître de yoga, suggère une méditation d’une minute pour tous ceux qui manquent de temps:
1) Assis confortablement, détendez les muscles des yeux, la langue, les épaules, les mains, les jambes.
2) Prenez 5 longues, lentes et profondes respirations par le nez.
3) À chaque inspiration, concentrez- vous sur l’air frais qui pénètre par vos narines.
4) À chaque expiration, laissez couler le stress de vos narines.
5) Ne faites rien d’autre 30 secondes.
6) Après avoir respiré très lentement cinq fois d’affilée, demeurez immobile à ressentir le souffle dans la profondeur du ventre 30 secondes.
LE BALAYAGE CORPOREL
Dans ses ateliers de réduction du stress par la pratique de la pleine conscience, le Dr Robert Béliveau enseigne différentes techniques de méditation, dont le balayage corporel. Cela consiste à parcourir (en pensée) tout son corps, en ressentant chacune de ses parties, environ 30 minutes. Voici ses conseils pour pratiquer cet exercice:
1) Allongez-vous par terre (sur une couverture ou un tapis), à un moment où vous ne serez pas dérangé.
2) Fermez les yeux, allongez les bras le long du corps, les paumes tournées vers le haut.
3) Portez votre attention sur votre front en prenant conscience des sensations dans cette zone: tensions, picotements, chaleur, poids… ou absence de sensation. Mais ne vous attardez à aucune de ces sensations, qu’elles soient agréables ou désagréables. Dès que votre esprit s’évade et que vous commencez à penser à autre chose (votre travail, les repas, le chien des voisins qui aboie), ramenez-le sur votre front, sans jugement. Du front, portez votre attention sur le crâne, puis sur les tempes, les yeux, les joues, et toutes les parties du corps, en passant par les épaules, le ventre, le bas-ventre, les cuisses, jusqu’aux pieds; puis recommencez le même processus pour la partie droite du corps.
4) Une fois ce balayage terminé, remuez doucement vos mains et vos pieds, étirez-vous et assoyez-vous tranquillement.
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