Claude-Marie Gagnon a perdu la voix pendant 18 mois. «Heureusement, je n’enseignais plus à l’université, dit cette retraitée de 55 ans. Mais c’était terrible: j’ai cru que cela ne reviendrait jamais!»
Les médecins s’expliquaient mal son problème… qui a fini par se résorber de lui-même. C’est au Centre d’enseignement sur l’asthme de l’Hôpital Laval, à Québec, que Claude-Marie a découvert la cause probable de son aphonie.
«Je me suis rendu compte que j’utilisais mal mes médicaments contre l’asthme depuis des années, raconte-t-elle. Je tenais les pompes trop près ou trop loin de ma bouche, je synchronisais mal l’inspiration et je ne me rinçais pas assez la gorge après avoir pris les corticostéroïdes.»
Elle en prenait aussi beaucoup trop, ce qui a fini par endommager ses cordes vocales.
Ces quelques heures passées au Centre d’enseignement sur l’asthme vont changer sa vie. Les gestes simples que lui montre l’infirmière lui permettent de diviser par huit la dose de corticostéroïdes qu’elle inhale quotidiennement. Elle apprend aussi à utiliser un débitmètre de pointe pour mesurer sa capacité respiratoire. Quand elle approche de la zone rouge, elle sait qu’elle doit communiquer avec le personnel médical et ajuster sa médication jusqu’à ce qu’elle regagne la zone verte, conformément à son plan de traitement. Très rapidement, Claude-Marie Gagnon découvre qu’elle peut maîtriser son asthme et mener une vie presque normale.
Elle fait maintenant régulièrement 50 kilomètres à vélo, elle qui voyait jusque-là le sport comme une menace. Elle peut aussi s’installer près de son foyer extérieur sans craindre de s’étouffer… Et les infections respiratoires et les visites répétées à l’urgence ne sont plus qu’un mauvais souvenir. «A part me rouler dans un champ de foin, je peux tout faire», dit-elle en riant.
Depuis 1994, une centaine de centres d’enseignement sur l’asthme ont ouvert leurs portes dans des CLSC et des hôpitaux du Québec, où cette maladie fait proportionnellement moins de victimes que partout ailleurs au Canada. Infirmières, inhalothérapeutes ou pharmaciens y apprennent aux asthmatiques envoyés par leur médecin à comprendre et à contrôler leur maladie, à en repérer les symptômes, à suivre un plan d’action, à utiliser correctement leurs pompes et à réaménager leur environnement. Quelques rencontres suffisent pour amener des changements parfois spectaculaires… et même sauver des vies.
Une quarantaine de personnes meurent encore de l’asthme chaque année au Québec. «Ce sont souvent des enfants, des adolescents et des personnes âgées qui ont appris à vivre avec les symptômes sans se rendre compte qu’ils étaient asthmatiques, ou des patients qui ont laissé l’inflammation s’exacerber en utilisant mal leurs médicaments», explique le Dr Louis-Philippe Boulet, qui a mis sur pied le programme d’enseignement de l’asthme.
Bien des asthmatiques abusent, par exemple, des bronchodilatateurs, qui ne font que relâcher temporairement les muscles enveloppant les bronches, et négligent les corticostéroïdes qui, eux, traitent vraiment l’inflammation. Jusqu’à ce qu’un jour celle-ci devienne critique…
«Tous les décès pourraient être évités, car les traitements sont très efficaces», estime le pneumologue.
Or l’asthme est une maladie sournoise, mal diagnostiquée et mal soignée. Une étude récente de l’Université d’Ottawa, à laquelle participait le Dr Boulet, a montré que 30 pour 100 des Canadiens chez qui un médecin a repéré cette maladie ne seraient pas asthmatiques en réalité.
«Mais il y a aussi beaucoup de gens qui font de l’asthme sans le savoir», précise le spécialiste.
Près de trois millions de Canadiens seraient touchés, un chiffre qui ne cesse d’augmenter.
«Beaucoup de préjugés circulent à propos de l’asthme, observe Lyne Ringuette, infirmière depuis cinq ans au Centre d’enseignement sur l’asthme de l’Hôpital Laval. On croit souvent, par exemple, que l’asthme apparaît dans l’enfance. Mais je vois parfois des personnes de 60 ans à qui l’on vient de diagnostiquer cette maladie.»
On banalise trop souvent l’asthme, déplore-t-elle: «Tant qu’on n’éprouve pas des symptômes graves, on pense qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer. Pourtant, même un asthme très léger peut conduire à l’urgence s’il est mal contrôlé.»
En novembre dernier, Nicolas Jobin a frôlé la mort. Ce jour-là, l’adolescent de 15 ans avait beaucoup toussé, mais pensait seulement avoir un bon rhume. Il décide quand même d’aller jouer au hockey, comme chaque soir. Mais, en deuxième période, Nicolas doit quitter la patinoire, à bout de souffle.
«Sa poitrine était incroyablement gonflée», raconte sa mère, Sylvie Grenier, qui le conduit aussitôt à l’urgence de l’Hôpital Laval.
Les bronches de Nicolas sont excessivement obstruées, constatent les médecins. C’est comme si le jeune homme respirait à travers une paille… Un peu plus, et seule une trachéotomie lui aurait permis de continuer à respirer!
«On ne savait pas qu’il était asthmatique, dit sa mère. Ça a été tout un choc!»
Nicolas a toujours eu une santé de fer. Malgré des allergies aux pollens, aux poils de chat et à la poussière, aucun médecin ne lui a jamais diagnostiqué d’asthme. Et personne dans la famille ne souffrait de cette maladie.
L’adolescent s’en est tiré grâce aux médicaments. A l’hôpital, Nicolas et ses parents ont été pris en charge par Lyne Ringuette. «Elle nous a beaucoup rassurés, dit Sylvie Grenier. Et, en même temps, elle nous a fait prendre conscience de la gravité de la situation. On sait maintenant que si Nicolas utilise correctement ses pompes, surveille sa capacité respiratoire et fait attention à son environnement, il devrait éviter tout problème. Il faut juste qu’il apprenne à se connaître.»
Sur les conseils de l’infirmière, Sylvie Grenier n’a pas hésité une seconde à se défaire de son chat et redouble d’ardeur quand elle époussette la maison. «Changer ses habitudes de vie est assurément ce qu’il y a de plus difficile», explique Lyne Ringuette, qui a rencontré environ 2500 asthmatiques en cinq ans.
Une semaine après l’incident qui a failli lui coûter la vie, Nicolas était plus en forme que jamais et avait déjà repris l’entraînement.
«L’enseignement diminue de beaucoup la mortalité due à l’asthme et le nombre de visites à l’urgence, explique le Dr Boulet. La qualité de vie des gens s’améliore de façon fantastique, et le Québec économise ainsi des millions de dollars par an en soins de santé.»
Les généralistes n’ont souvent pas le temps d’expliquer la maladie, et seul un asthmatique sur 10 reçoit un plan d’action pour l’aider à gérer lui-même son asthme.
Le pneumologue déplore le peu de ressources allouées à l’éducation en santé. «Le réseau des centres d’enseignement n’aurait jamais vu le jour sans la participation bénévole de nombreux professionnels», rappelle-t-il.
La Finlande, elle, a décidé d’investir massivement dans l’enseignement de l’asthme. Et là-bas, presque plus personne n’en meurt.