Un combat pour réduire les ronflements
Je voulais une solution rapide, quitte à me sangler une pompe à vélo sur le visage.
Je suis un bon dormeur. Avec un gros livre et en position horizontale, j’arriverais à m’endormir même ligoté sur le toit d’un TGV. Le sommeil a toujours été mon allié, un ami. À l’adolescence, c’était mon refuge. Je priais pour m’endormir; cette parenthèse temporelle constituait un doux répit à l’anxiété et aux pensées obsessionnelles. C’était une pause – pas une mort, bien que cela ait pu y ressembler. Chaque plongée dans le sommeil était une chance de résurrection, de transfiguration. Ma petite amie Allison n’est pas du même avis. Pour elle, je ne suis pas un bon dormeur. La nuit, je m’agite, je pousse des cris. Par moments, elle a l’impression que je ne respire plus. Pis (pour elle), je ronfle. Énormément. Elle en a fait une vidéo et c’est horrible: mes ronflements sonnent comme un sifflement ténu des inspirations interrompu par un déchirement bruyant, comme si on arrachait la moquette collée.
Il arrive qu’on se dispute quand je me réveille. Elle a passé une mauvaise nuit et je comprends qu’elle soit irritée. Mais cela ne dure pas. Après tout, à qui peut-elle en vouloir? C’est le corps qui ronfle, pas moi: les poumons qui poussent l’air, les tissus mous. Les coupables, c’est eux. Quand Allison retourne mon corps endormi pour me boucher le nez ou me mettre l’oreiller sur le visage, qui essaie-t-elle d’étouffer? Le soi devient si négligeable durant le sommeil – une activité qui occupe tout de même le tiers de l’existence – qu’il finit par s’absenter complètement.
J’ai essayé de résoudre le problème en me procurant tout l’attirail antironflement disponible: les bandelettes nasales, la gouttière buccale, le vaporisateur – tout ce qui aurait dû me délivrer des ronflements. Chaque tentative allumait une lueur d’espoir. Les ronflements ont diminué, tu ne trouves pas? Hélas, non, chaque fois, la seule vraie différence consistait dans une lèvre supérieure abîmée par le plastique bon marché du dispositif.
Allison voulait que je consulte. Mais le ronflement est-il un problème de santé ? Ça ressemble plutôt à une blague, comme cela arrive au père de la sitcom après qu’il s’est électrocuté en mettant les décorations de Noël. C’est moins un problème de santé qu’un défaut de personnalité.
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D’où provient les ronflements?
Selon Nicholas van den Berg, doctorant en psychologie expérimentale à l’Université d’Ottawa et membre de la Société canadienne du sommeil, «le ronflement se produit quand les muscles des voies aériennes supérieures se détendent au point d’entraîner un rétrécissement des voies respiratoires». Ainsi, le ronflement s’aggrave avec l’âge, car les muscles jadis si fermes et virils du cou s’affaissent et se fragilisent.
Le ronflement est plus inquiétant quand il fait soupçonner une apnée obstructive du sommeil, soit un blocage des conduits respiratoires responsable d’éveils répétés. Et le manque de sommeil – le vôtre ou celui de votre partenaire – est associé à des problèmes cardiaques, au diabète de type 2 et à l’alzheimer.
Mais par-dessus tout, le sommeil «joue un rôle déterminant dans la consolidation et l’amélioration de la mémoire», souligne M. van den Berg. Quand nous dormons, le cerveau organise, traite et conserve les souvenirs. Le chercheur évoque une étude où des participants avaient appris une compétence de base avant d’aller se coucher et constaté le lendemain que non seulement ils s’en souvenaient, mais que leur pratique de cette compétence s’était bonifiée.
C’est le sommeil qui nous fabrique, pourrait-on dire. Tous les soirs, nous envoyons les expériences quotidiennes, les souvenirs et les leçons dans le four du sommeil où, avec un peu de chance, ils cuisent huit heures pour qu’il en ressorte le lendemain une version améliorée et renforcée de soi.
Ma petite amie avait donc raison d’insister sur la nécessité de consulter, mais je résistais. J’en suis à la mi-trentaine et je n’ai pas vu de médecin depuis l’enfance. Ma santé a su se maintenir grâce à quelques visites à des cliniques sans rendez-vous et à l’arrogance de la jeunesse – la conviction que tout peut s’arranger et la certitude que les problèmes n’existent pas avant qu’ils ne surviennent. En réalité, j’avais peur qu’un rendez-vous sur mes ronflements ne m’oblige à réfléchir sur mon mode de vie et ses répercussions, et sur les limites de mon organisme.
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Chercher de l’aide
L’année avait été rude. Un ami était décédé de manière tragique. Puis ma grand-mère nous a quittés à son tour. Un problème de genou chronique s’était transformé en vraie déchirure du ménisque, réduisant à zéro mes espoirs de transformation tardive en homme «étonnamment athlétique». Ma vision s’était aussi brusquement troublée et une visite chez l’ophtalmologiste avait révélé la présence d’un liquide sous la rétine, une affection appelée choriorétinopathie séreuse centrale. C’est causé par le stress. Et puis j’avais repris les consultations d’un psychologue qui m’avait trouvé déprimé après seulement quelques minutes de séance sur Zoom.
Bref, une année qui a vu la capsule spatiale de mon fantasme juvénile exploser au contact d’une atmosphère de réalité et de répercussions, le tout sur fond des plus effroyables ronflements.
Plus que la crainte de vieillir, il y a eu la peur de la rupture ou d’une disparition inexpliquée (la mienne). C’est alors que, écoutant finalement Allison, j’ai consulté.
Le médecin m’a interrogé sur ma consommation d’alcool. J’ai donné un chiffre suffisamment élevé pour qu’il en tienne compte dans le diagnostic, mais assez bas pour que je puisse en faire état sans trop de gêne. Il a craint une apnée du sommeil et m’a recommandé de boire moins et de perdre du poids. Il a prescrit un examen du sommeil pour confirmer le diagnostic et que je puisse obtenir un appareil permettant la ventilation en pression positive continue pour traiter l’apnée.
Cet appareil envoie dans les narines et la bouche un flot régulier et continu d’air pressurisé. Le système est composé d’un tuyau, d’un masque qui couvre soit le nez, soit la bouche, ou les deux, et d’un harnais de tête qui donne à son utilisateur un air de pilote de chasse détendu.
Je suis arrivé à la clinique du sommeil du St. Joseph’s Health Centre de Toronto prêt à dormir. J’étais nerveux, excité et incroyablement sobre. J’avais réussi à me conformer aux instructions transmises par la clinique: pas d’alcool depuis les 12 dernières heures, pas de café au cours des deux dernières heures et pas de sieste. Affranchi de son habituel reste de gueule de bois, du café tardif et d’un delirium post-sieste, mon esprit était clair et avide de réponses.
Une technicienne m’a posé quelques questions, notamment celle-ci, la plus provocante: dans quelle position dormez-vous? Le plus souvent, moitié sur le côté, moitié sur le ventre, avec une jambe avancée comme si je voulais franchir un obstacle. L’un dans l’autre, je dirais que ma position de sommeil est extraordinairement inconfortable. J’ai les membres aussi écartés que possible et je passe mon temps à bouger et à rouler d’un côté à l’autre du lit dans un enchaînement de mouvements imprévisibles et irréguliers. Essentiellement, je dors très mal.
Assis sur mon lit, j’attendais que le laboratoire du sommeil accomplisse sa besogne. Le terme «labo» ne convient pas. Il n’y avait ni béchers ni scientifiques fous et pas de cuves en inox contenant des personnages anonymes flottant dans un liquide vert. C’était une chambre d’hôpital comme toutes les autres: des murs infiniment blancs; un matelas mince et dur qui me donnait l’impression d’être allongé sur une étagère chez H&M; et un oreiller avec le confort et l’appui d’un paquet de serviettes en papier. Pis, l’appareil de climatisation produisait un plic plic aigu, métallique et arythmique causé par un liquide tombant goutte à goutte.
À 22h45, la technicienne a entrepris de fixer les électrodes sur mon corps pour l’électroencéphalogramme (EEG). Mis au point en 1924, cet examen mesure les ondes cérébrales sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir le crâne. C’est la référence absolue pour étudier le sommeil. La technicienne a également placé des capteurs sur mes bras et mes jambes pour mesurer les mouvements, et un autre sous le nez, ainsi qu’un harnais autour de la poitrine, pour suivre ma respiration.
J’ignore ce que cela révèle de mon amour-propre, mais j’ai trouvé palpitant d’être un spécimen. Ça m’est vite passé au fur et à mesure où je sombrais dans le pire sommeil de mon existence.
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Les deux types de sommeil
Il y en existe deux: le sommeil lent (NREM pour non rapid eye movement ou mouvements oculaires lents) et le sommeil paradoxal (REM pour rapid eye movement ou mouvements oculaires rapides). Les deux sont essentiels à la consolidation de la mémoire. Le premier compte trois phases. D’abord l’endormissement: ce sont ces 5 à 10 minutes de transition où il est difficile de déterminer si on dort ou pas. La deuxième phase, celle du sommeil léger, se caractérise par des ondes cérébrales plus courtes et plus lentes à l’EEG et s’accompagne de brefs soubresauts d’activité neurale. À la troisième phase, le sommeil est plus profond et les ondes cérébrales sont de plus grande amplitude, semblables par moments à ce que l’on observe chez un sujet sous anesthésie. C’est au cours de ces deux dernières phases de sommeil lent que se produit l’essentiel de la restauration – quand l’organisme se répare au niveau cellulaire de la fatigue de la journée.
Puis vient le second acte, celui du sommeil paradoxal. Le cerveau est alors hyperactif; il semble éveillé. L’activité onirique est particulièrement intense, les rêves font appel aux émotions – du genre «j’ai rendez-vous avec une fiche de lecture que je n’ai pas terminée», ou encore «j’ai repris le hockey, mais je n’avais pas vu que mes patins étaient fabriqués de tous ceux que j’ai déçus dans la vie». Les yeux bougent dans tous les sens sous les paupières et le cœur bat à toute vitesse. On ne sait pas encore bien expliquer le phénomène. Nicholas van den Berg invoque la théorie de l’activité préparatoire. «Si le sommeil lent permet de récupérer de la journée qui vient de s’écouler, le sommeil paradoxal nous prépare à celle qui va venir.»
Lorsque toutes ces phases s’enchaînent de manière harmonieuse, le dormeur connaît un sommeil réparateur. Bien sûr, des tas de choses peuvent compromettre cette harmonie: la lumière artificielle, la caféine, une sortie tardive ou, comme je le découvrirais, être couvert de fils qui tiennent tant bien que mal au corps et menacent de se décrocher à chaque mouvement. Des pensées peuvent surgir et vous tenir éveillé la nuit, celle-ci m’a taraudé dans le laboratoire: «J’espère ne pas avoir foutu en l’air cette expérience en me retournant.» Autre difficulté durant le délicat tango des phases du sommeil, ces gouttes dont j’ai dû supporter toute la nuit le plouc plouc aléatoire.
Un diagnostic décevant
J’ai été réveillé à 5h30, après environ deux heures de somnolence ultralégère. On m’a retiré les fils et je suis rentré chez moi à pied dans la lumière de l’aube avec le sentiment d’une perturbation totale de mon cycle veille-sommeil et des rythmes circadiens.
Les résultats sont arrivés deux mois plus tard: pas d’apnée du sommeil. Le rapport notait plutôt un «léger ronflement primaire» qui semblait ne résulter d’aucune cause particulière. J’avais vieilli, je consommais trop d’alcool et les muscles de mon cou s’étaient rapidement détériorés. Mes ronflements n’étaient rien d’autre que le signe du temps qui passe.
J’étais déçu. J’aurais aimé souffrir d’une affection, d’un trouble, avoir une excuse toute trouvée pour ces moments d’apitoiement sur moi-même. Je voulais une solution rapide, quitte à me sangler une pompe à vélo sur le visage. Au lieu de ça, j’ai eu droit à des conséquences qui fusionnent, s’aggravent et se propagent, comme un ronflement émanant des parois internes de la gorge. Rien ne garantit que ça s’arrange: les blessures s’aggravent, les tragédies existent et la petite amie peut se lasser des ronflements. Quand on ne dort pas, il faut des jours pour s’en remettre.
Mes ronflements se sont aggravés depuis l’examen. Ils sont plus bruyants, plus fréquents. Heureusement, Allison et moi nous sommes convenus d’un horaire de sommeil échelonné qui semble donner de bons résultats. Par ailleurs, je fais plus d’exercice, je mange mieux et je bois moins, parce que cet examen m’a appris que nous étions la somme de tout ce que nous faisons. Les choses ne s’arrangent pas toutes seules. Il faut prendre soin de soi et des autres. Quand mangeons-nous, qu’avons-nous appris, comment était le sommeil ? Toutes ces choses comptent. La personne que vous êtes aujourd’hui se construit sur la base de celle que vous étiez la veille.
© 2023, The Walrus. Tiré de «How I Tried to Stop Snoring, Fix My Sleep Habits, and Confront My Mortality», de Jordan Foisy, dans The Walrus (15 mars 2023), thewalrus.ca
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