Le cas de Julien
Il y quelques années, Julien Gauthier (nom modifié), un Montréalais âgé de 47 ans, s’est réveillé avec une douleur vive au gros orteil. «C’était comme si j’avais reçu un coup de marteau», se souvient-il. Après quelques recherches en ligne, il comprend qu’il souffre de la goutte. Depuis ce jour, sa vie est devenue une série de crises aiguës très douloureuses. Chaque réapparition est suivie d’une lente et pénible période de rétablissement, puis de quelques mois de répit avant un autre cycle. Chaque crise attaque tout son pied, pas simplement le gros orteil. Propriétaire d’une petite entreprise de matériaux de construction, Julien grimace encore en se revoyant clopiner jusqu’à sa voiture et tenter d’affronter ses journées de travail chargées.
Dans l’espoir de soulager ses symptômes, il a supprimé de son alimentation tous les produits contenant de la purine. Malheureusement, cette diète n’a pas suffi à calmer les crises. Il a souffert encore quatre ans avant de découvrir qu’il y avait d’autres solutions. Bien qu’il ait vu un médecin dès le début de l’affection, il n’a pas obtenu d’ordonnance avant de consulter une rhumatologue, qui s’est étonnée: «Pourquoi votre médecin ne vous a rien donné plus tôt?»
Qu’est-ce que la goutte? Quels-sont les traitements?
Julien Gauthier a alors commencé à prendre quotidiennement de l’allopurinol, un médicament contre la goutte. Depuis, il n’a pas eu de crise. Il devra sans doute le prendre toute sa vie, mais il est satisfait de pouvoir vivre sans trop souffrir. «C’est-à-dire si je ne cogne pas ce satané orteil!» précise-t-il.
L’homme fait partie des quelque 900 000 Canadiens qui souffrent de la goutte. Pour près de 75% des patients, les premiers signes de la maladie se font sentir dans le gros orteil. Lors d’une crise, de microscopiques cristaux d’acide urique en forme d’aiguilles s’accumulent dans l’articulation, aussi irritants et douloureux que des éclats de verre. L’acide urique est un sous-produit naturel du processus de digestion, mais les malades de la goutte en produisent à l’excès, la substance cristallise alors et se loge dans les articulations et autour d’elles. Avec le temps, si le taux élevé d’acide urique dans le sang n’est pas traité, les crises de goutte peuvent devenir plus fréquentes et se répandre ailleurs, causant des dégâts dans d’autres articulations.
Même si de nombreuses personnes présentent un taux élevé d’acide urique pendant des années, lors de la première crise, l’articulation peut devenir rouge, enflée, brûlante et très douloureuse en l’espace d’une nuit. Même le poids d’un drap est parfois insupportable. Les hommes – principalement au-delà de 40 ans – ont quatre fois plus de risques de souffrir de la goutte que les femmes de moins de 65 ans, mais cet écart se réduit après la ménopause.
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Qui est concerné par la goutte?
Les patients sont bien entourés: cette forme d’arthrite, parmi les plus communes, était autrefois surnommée la «maladie des rois». Elle a frappé de nombreux personnages célèbres au cours des siècles, dont Henri VIII, Isaac Newton, Léonard de Vinci, Charles Darwin et bien d’autres.
Aujourd’hui, cependant, la goutte touche tout le monde, sans discrimination. On estime que 2% de la population des pays occidentaux – et 3% des Canadiens adultes – en sont atteints. De plus, son incidence a doublé au cours des 20 dernières années, sûrement en raison de l’épidémie d’obésité grandissante, d’une consommation excessive d’alcool et d’une alimentation riche en viande.
«La goutte est un problème de santé de plus en plus fréquent dans les pays développés», affirme Francisca Sivera, rhumatologue à l’Hôpital général universitaire d’Elda, en Espagne. Elle note que les patients souffrent de douleurs lancinantes, limitent leurs activités, ce qui réduit leur qualité de vie.
Et, tout comme Julien Gauthier, plusieurs ne reçoivent pas de traitement approprié. Francisca Sivera est cosignataire d’une publication importante de 2013, qui a poussé une équipe de chercheurs à proposer une série de recommandations internationales pour l’encadrement et le traitement de la goutte, fondées sur des preuves scientifiques. Ces suggestions font partie d’un projet appelé 3E- Evidence, Expertise, Exchange («preuves, expertise, échange»), approuvé par 474 spécialistes internationaux en rhumatologie, venus de 14 pays, dont le Canada. Voici ce que vous devez savoir sur l’arthrite rhumatoïde.
Oui, mais comment prévenir, traiter et gérer ce type d’arthrite? La réponse en 7 points.
1. Éviter la première crise de goutte
Nous produisons tous de l’acide urique; la majorité d’entre nous est capable d’éliminer ce composé par les reins. Les personnes atteintes en présentent un excès, ou bien leurs reins n’en excrètent pas suffisamment. De plus, le risque de développer la goutte est plus élevé si un membre de la famille en est déjà atteint. Mais on peut améliorer ses chances en évitant le surpoids et en ayant une alimentation équilibrée. Les produits suivants sont à éviter en particulier:
Les aliments riches en purine: une substance naturelle présente en grande quantité dans la viande rouge, les abats et les fruits de mer, qui se transforme en acide urique dans l’organisme.
L’alcool: les personnes à risque devraient réduire leur consommation, en particulier de bière et d’alcools forts, et éviter les excès en générale. La déshydratation peut déclencher une crise, assurez-vous de boire environ deux litres d’eau par jour – que vous consommiez de l’alcool ou pas.
Les boissons sucrées au fructose: deux études – l’une dont les sujets étaient des hommes, l’autre des femmes – menées par le Dr Hyon Choi, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Boston, qui a aussi travaillé avec le Centre de recherche sur l’arthrite du Canada, ont permis de découvrir que consommer de grandes quantités de fructose, surtout sous forme liquide (comme les jus de fruits et les boissons sucrées) augmentait beaucoup le risque de goutte.
2. Obtenir un diagnostic précis
Beaucoup de médecins pensent diagnostiquer la goutte à la seule vue d’une articulation douloureuse, rouge et enflée, surtout au gros orteil. Une évaluation simple peut être obtenue en couplant ces observations à une analyse de sang, afin de mesurer le taux d’acide urique. Mais selon les recommandations internationales, un diagnostic définitif nécessite que le médecin prélève au moyen d’une aiguille des résidus d’acide urique dans la région atteinte. «C’est la méthode par excellence», affirme Gregory Choy, rhumatologue et chercheur spécialisé dans la goutte au Centre des sciences de la santé Sunnybrook, à Toronto. «Mais tous les hôpitaux ne disposent pas du microscope polarisant nécessaire à cet examen. En pratique, les médecins doivent donc parfois compter uniquement sur les analyses sanguines et l’apparence de l’articulation.»
Un diagnostic est parfois long à obtenir. Ce fût le cas d’Éva, atteinte de démangeaisons quasi permanentes qui cachaient quelque chose de grave…
3. Traiter une crise aiguë
La plupart des crises de goutte durent de trois jours à quelques semaines, mais la douleur et le gonflement peuvent être traités au moyen d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Un médicament appelé colchicine, un dérivé du crocus utilisé depuis des siècles, a fait ses preuves. Dans certains cas, un puissant corticostéroïde comme le prednisone peut aussi être efficace.
4. Dépister d’autres maladies
Selon les directives 3E, la goutte peut être l’indicateur d’un certain nombre d’autres pathologies. Francisca Sivera affirme que les patients atteints de la goutte ont quatre fois plus de risques de mourir d’une maladie des reins que les autres. Leur fonction rénale devrait donc être examinée et évaluée en lien avec d’autres affections comme le diabète et les maladies cardiovasculaires.
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5. Réduire le taux d’acide urique
Après la première crise, la plupart des malades en subiront une deuxième dans les deux années qui suivent. À moins que le taux d’acide urique dans le sang ne diminue, de nouvelles attaques se manifesteront de plus en plus souvent. La première approche pour réduire le taux d’acide urique est souvent une prescription d’allopurinol, le médicament de Julien Gauthier, que les patients doivent généralement prendre toute leur vie. Dans certains cas, il est arrivé que l’allopurinol déclenche une réaction allergique très dangereuse, qui peut causer des dégâts aux organes internes comme le foie. Il vaut mieux alors prendre un médicament plus récent, comme le febuxostat.
Généralement, on prescrit 100 mg d’allopurinol par jour, avant d’augmenter progressivement le dosage à quelques semaines d’intervalle, pour s’assurer que le médicament est toléré, jusqu’à ce que les analyses sanguines révèlent que le taux d’acide urique est descendu au-dessous de 6mg/dL (0,36 mmol/L). «Un dosage trop bas et inefficace fait courir aux patients le risque d’un incident, sans le bénéfice de la dissolution des cristaux», met en garde Francisca Sivera. Une fois le traitement entamé, les patients doivent faire des analyses sanguines pour s’assurer que le taux d’acide visé a bien été atteint.
Chez certaines personnes, la goutte finit par disparaître, note Gregory Choy, surtout si la maladie est principalement due à une consommation excessive de bière, par exemple, et que le patient modifie radicalement ses habitudes de vie. «Mais le plus souvent, tempère-t-il, elle est associée à une défaillance rénale, un syndrome métabolique ou une autre maladie chronique, il faut donc vivre avec elle pour un temps indéfini.»
6. Prévenir et gérer le tophus
En matière de prévention: si le taux élevé d’acide urique n’est pas traité pendant plusieurs années, il peut générer des cristaux, appelés tophus, qui s’accumulent dans les articulations et les tissus. Ces dépôts peuvent détruire la fonction articulaire, comprimer des nerfs et former des grosseurs et nodules disgracieux. Pour dissoudre les tophus, les spécialistes recommandent aux patients de réduire la valeur du taux cible d’acide urique et de le traiter en conséquence, avec les médicaments adéquats. Une intervention chirurgicale n’est envisagée que dans les cas les plus graves.
Renseignez-vous sur les aliments à privilégier lorsque l’on souffre de la goutte.
7. Conjurer les crises
Même si une prise de sang révèle un taux élevé d’acide urique, certaines personnes peuvent ne pas éprouver les symptômes de la goutte ni montrer de signes de tophus. Dans ce cas, il faut éviter les médicaments quotidiens, à moins qu’une crise se manifeste. À la place, il est conseillé de réduire son taux d’acide urique dans le sang par des changements dans l’alimentation et en faisant de l’exercice.