8 conseils pour vivre vieux et en bonne santé
On demande souvent conseil au Dr Ephraim P. Engleman. Ce rhumatologue américain dirige un prestigieux centre de recherche à l’Université de Californie, à San Francisco. Il aura 104 ans au printemps 2015. La question qu’on lui pose le plus souvent :
« Quelle est la meilleure façon de vivre vieux et en bonne santé ?
– Choisissez bien vos parents », répond-il avec esprit.
Impacts de l’hérédité et et de l’adaptation
Comme la plupart des boutades, celle-ci renferme un fond de vérité. L’hérédité compte. Cependant elle n’explique pas tout, loin de là. Selon des scientifiques, l’ADN compte pour environ 30 % dans la longévité ; les 70 % restant relèvent d’autres facteurs, dont le mode de vie et les stratégies psychologiques.
On dispose aujourd’hui de grandes quantités de données provenant d’études longitudinales menées auprès de jumeaux et d’individus d’âge canonique qui vivent dans les « zones bleues » de la planète (des régions où l’on compte de nombreux centenaires en bonne santé). S’il fallait résumer en un mot tous les enseignements qu’elles contiennent, ce serait sans doute « adaptation ».
L’être humain a toujours besoin de relever des défis. On pourrait dire que, vivre vieux, c’est trouver des moyens de s’épanouir, même au crépuscule de la vie, pour affronter les inexorables forces de la nature. Le principe s’applique à tous les aspects de la vie, même ceux qu’on ne peut mesurer par un test cardiaque ou une IRM du cerveau.
La sagesse, le tempérament, l’esprit – quelle que soit la nature de ces qualités – se renforcent lorsqu’ils sont confrontés à une difficulté, comme le système cardiovasculaire d’un marathonien ou le cortex frontal d’un grand maître des échecs.
Selon Hildegarde de Bingen, une religieuse bénédictine mystique du 12e siècle, ceux qui appliquent les principes de croissance et de découverte à tout ce qu’ils font restent jeunes, quoi qu’en dise leur certificat de naissance.
Bouger pour garder une bonne santé
À 87 ans, Betty Jean « BJ » McHugh ressemble à un lutin. Marathonienne la plus rapide au monde dans son groupe d’âge, elle détient une étonnante longueur d’avance : en 2012, lors du marathon d’Honolulu, elle a franchi la ligne d’arrivée du parcours en 5 h 14 min, battant le record précédent de près d’une demi-heure. Depuis sa première course sur route, à l’âge de 51 ans, cette mère de quatre enfants de Vancouver a établi plus de 30 records mondiaux.
Les vétérans de la course à pied ne sont pas rares dans les marathons des grandes villes, mais passé un certain cap – autour de 80 ans – leurs effectifs chutent brusquement. Ce n’est pas un hasard si la performance athlétique humaine s’effondre à peu près à cet âge.
Pour des raisons que les scientifiques ignorent, le corps commence alors à décliner deux fois plus vite. La masse musculaire s’affaisse brusquement. Les poumons perdent leur élasticité. Les mitochondries – les centrales d’énergie de nos cellules – se dégradent. Les os perdent de leur densité. L’équilibre est instable. Ceux qui arrivent à résister à pareil vent contraire – les Betty Jean de ce monde – sont entourés de mystère.
Alors quel est le secret ? Pour commencer, l’exercice que l’on peine à accomplir après un certain âge. Les marathons auxquels BJ participe aujourd’hui sont beaucoup plus difficiles que le premier qu’elle a couru il y a 32 ans, même si elle a considérablement ralenti le rythme. Autour du 24e km, « une petite guerre se déclare dans ma tête », confie-t-elle en riant. Il faut une volonté de fer pour ne pas s’arrêter et marcher.
La bonne nouvelle, c’est que, pour la plupart, marcher suffit largement. Les organismes de santé publique, tant au Canada qu’aux États-Unis, recommandent 150 minutes de marche rapide – ou son équivalent – par semaine. Bien que des études maintiennent qu’un exercice où l’on sue procure des bienfaits considérables, la clé consiste à trouver un exercice qu’on aimera pratiquer régulièrement et dont l’intensité sera suffisamment stimulante. Les spécialistes en médecine sportive recommandent d’ajouter des exercices de musculation pour solidifier les os, prévenir les chutes et la fragilité dues au vieillissement.
Après son jogging du matin, BJ McHugh abandonne ses compagnons d’entraînement pour se rendre à une séance de yoga. Une agitation productive l’anime constamment, et il est bien possible que ce besoin incessant de mouvement soit aussi essentiel que l’exercice lui-même. S’il fallait un adjectif pour qualifier BJ, ce ne serait sûrement pas sédentaire. Elle n’allume jamais la télé avant le bulletin de nouvelles de 18 h. Elle préfère marcher plutôt que conduire sa voiture, même pour aller jouer au bridge, parfois à cinq kilomètres de chez elle.
On croit de plus en plus, données à l’appui, que le mouvement est aussi important que l’exercice. Selon Joan Vernikos, ex-directrice des sciences de la vie à la NASA et marraine d’études sur la sédentarité, l’exercice le plus profitable consiste à se tenir souvent debout. Il s’agit de soumettre le corps, cette fois, à la gravité. Le fait de se lever à plusieurs reprises maintient une bonne circulation sanguine en préservant le fonctionnement des capteurs de la tension artérielle. Avec le mouvement vient l’énergie, et avec elle vient – dans le cas de BJ – la facilité à donner l’exemple.
« Alors que je courais, un matin, un camion a ralenti près de moi. Le conducteur est descendu et m’a dit : « Vous ne seriez pas BJ McHugh ? » » Elle l’a reconnu : vingt ans plus tôt, il l’avait abordée, au moment où elle finissait une longue course, pour lui demander son âge. Il n’avait pas l’air en forme à l’époque mais, cette fois, il rayonnait. « J’ai changé de vie et je me suis qualifié pour le marathon de Boston », lui confia-t-il.
Contrer le vieillissement du cerveau
Le Dr Engleman accepte rarement de prendre de nouveaux patients. Il se sent maintenant tenu de suggérer aux habitués de son cabinet de lui trouver un remplaçant. En vain. Ils préfèrent rester avec lui. L’expérience et la sagesse, cela ne se trouve pas sur Google.
Il est sans doute le médecin en exercice le plus âgé aux États-Unis. Les yeux pétillants sous des sourcils broussailleux, il aime distribuer ses mots d’esprit. Il a renouvelé récemment son permis de conduire : « Me voilà en règle jusqu’à 105 ans. » Mais il accède volontiers aux souhaits de sa famille en se laissant parfois conduire au travail, à 30 km de chez lui. Cofondateur, avec Rosalind Russell, du Centre de recherche en rhumatologie de l’Université de Californie à San Francisco, il en assure toujours la direction. Une fois au bureau, il fait sa correspondance, consulte des collègues, reçoit des patients et, de façon générale, échappe aux lois du vieillissement et au dépérissement des capacités cognitives.
Au-delà de 65 ans, le risque de souffrir de démence double environ tous les cinq ans. Parmi les chanceux qui célèbrent leur centenaire, de 15 % à 25 % seulement ont toute leur tête. Le cerveau d’un nonagénaire moyen n’est généralement pas plus gros que celui d’un enfant de trois ans : le plus souvent, les pertes surviennent dans le cortex frontal et l’hippocampe, sièges respectifs de la planification et de la mémoire. Les vieillards dont la matière grise n’a rien perdu de son fonctionnement le doivent en grande partie à ce que les neurologues appellent la « réserve cognitive », un système auxiliaire qui assure le ronronnement de la machine même lorsque la sénescence s’installe.
La réserve cognitive demeure la clé pour bien vieillir de pied en cap. Il existe quelques façons d’en disposer. Faites de l’exercice, énergique de préférence. Ce n’est pas le cas du Dr Engleman. « Je ne marche plus autant qu’avant », dit-il, en raison de maux de dos croissants.
Ne cessez jamais de stimuler votre cerveau en lisant, en écrivant, en bloguant, en faisant des casse-tête, en jouant au bridge, en voyageant, en apprenant une langue étrangère, en racontant des histoires. Plus vous en faites, mieux votre réserve se portera puisque les bienfaits se combinent. « Le principe de la synergie – vous savez, un plus un égale trois – a maintes fois montré sa capacité à prévenir la démence », dit Richard S. Isaacson, directeur de la clinique de prévention de la maladie d’Alzheimer au centre médical New York-Presbyterian/Weill Cornell.
« La pratique de plusieurs activités cérébrales est bénéfique pour le système auxiliaire. » Face à la nouveauté, le cerveau est forcé de s’adapter. La neurogenèse, la production de nouveaux neurones, n’a pas de limite d’âge connue. Non seulement il n’y a pas d’âge pour apprendre, mais cet apprentissage est essentiel pour garder l’esprit en éveil. (Le Dr Engleman, entre autres loisirs, anime des soirées à son club social, et rédige lui-même tous ses textes.)
Allez à l’école : le niveau d’éducation est étroitement lié au rendement cognitif. Continuez à suivre des cours même après vos études. L’enrichissement intellectuel assidu semble retarder de trois à huit ans le déclenchement des pertes de facultés cognitives, souligne Prashanthi Vemuri, qui a dirigé une nouvelle étude pour la clinique Mayo à Rochester, dans le Minnesota, publiée dans la revue JAMA Neurology.
Les vertus santé de la musique
Jusqu’ici, le Dr Engleman s’en tire bien, mais il détient peut-être une autre arme secrète : la musique. Ephraim Engleman est un ancien prodige du violon. Il a payé une partie de ses études en jouant dans un orchestre de vaudeville. Il joue toujours pour le plaisir une fois par semaine avec les membres d’un quatuor de musique de chambre qu’il reçoit chez lui à San Mateo, en Californie, où il vit avec sa femme Jean, âgée de 99 ans. « Jouer de la musique, dit-il, est un excellent stimulant en plus d’être très bon pour l’âme. »
La science lui donne raison, du moins pour la première partie de l’énoncé. Richard S. Isaacson énumère six études ayant contribué à le prouver. Dans l’une d’elles, quatre semaines de thérapie musicale ont accru le taux de neurotransmetteurs dans le sang de patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Les données se sont révélées tellement probantes qu’elles l’ont persuadé de recommencer à jouer de la guitare. Il est maintenant bassiste au sein d’un groupe composé de neurologues. Leur formation s’appelle The Regenerates.
Les bienfaits des relations humaines
À Trosly-Breuil, un village au nord de Paris, Jean Vanier, 86 ans, vit simplement. Chaque jour, il franchit la courte distance qui sépare sa maison du foyer collectif qu’il a fondé il y a 50 ans. Il y mange, rit, fait la vaisselle et prie avec sa « famille » d’adoption. Elle constitue la première communauté de L’Arche. Fondé selon la vision de Jean Vanier, l’organisme repose sur l’idée que, lorsque des adultes souffrant de handicaps intellectuels vivent dans des résidences privées aux côtés d’adultes en bonne santé, les uns et les autres en tirent des bienfaits.
Fils de Georges Vanier, qui fut gouverneur général du Canada, il semblait destiné à un autre style de vie. Après avoir soutenu une thèse de doctorat sur Aristote, il enseigna brièvement la philosophie à l’Université de Toronto. Cependant, il éprouvait une curiosité spirituelle que le monde universitaire ne pouvait satisfaire, aussi suivit-il en France son mentor, le père Thomas Philippe, un dominicain, pour embrasser une vie de pauvreté et de défi au quotidien. Il est contrarié lorsque des gens – et ils sont nombreux – le qualifient de « saint vivant ». Le sacrifice qu’il a fait n’en est pas un à ses yeux, insiste-t-il, puisque les personnes handicapées nous font un grand cadeau : elles nous apprennent à devenir humains.
Concrètement, la nécessité de devoir satisfaire les souhaits et caprices d’autrui met notre patience à l’épreuve et, ainsi, la renforce. Jean Vanier serait-il le même homme aujourd’hui s’il avait suivi la trajectoire de ses jeunes années ? « Dieu seul le sait, dit-il. Tout ce que je peux dire, c’est que maintenant je suis là. J’ai cheminé. J’ai encore des choses à apprendre, pour faire tomber des barrières, pour être plus ouvert aux autres. Ce n’est pas terminé. J’ai 86 ans, mais l’aventure se poursuit. »
Il n’existe pas, comme pour le vieillissement physique ou cognitif, de période connue où l’on commence à perdre sa spiritualité, pas plus qu’il n’existe de marche à suivre fiable si cela se produit. Des études ont révélé que les personnes qui assistent à des cérémonies religieuses vivaient plus longtemps que les autres, mais nul ne sait si l’ingrédient actif est la dimension spirituelle, le rituel ou le réseau social.
Nous concevons généralement la spiritualité comme une pratique de méditation ou de prière, une démarche intérieure. Pour Jean Vanier, ce n’est pas tout. Un deuxième courant nous pousse dans la direction opposée, hors de soi et vers les contacts significatifs avec autrui. En effet, à ce stade de la vie où de nombreuses personnes se replient sur elles-mêmes, Jean Vanier conseille plutôt de s’ouvrir. Au lieu de consacrer nos dernières années à cimenter notre confort personnel au sein de clans minuscules, nous devrions tendre la main. Par ce qu’on pourrait appeler une réaction d’adaptation de l’âme, l’empathie engendre l’empathie.
Dans le cadre de l’étude Grant entreprise en 1938, et qui a suivi un groupe de diplômés de l’Université Harvard jusqu’à la fin de leur vie, le psychiatre George Vaillant découvrit que ceux qui atteignaient un âge vénérable et s’y épanouissaient avaient en commun, entre autres choses, d’avoir trouvé comment aimer et être aimé.S’il existe une recommandation fiable pour bien vieillir cordialement – avec cœur – la voici : tenez compagnie à des gens qui comptent pour vous et pour qui vous comptez.
Se battre, s’adapter… et persévérer
Il est tentant de présenter Betty Jean McHugh, Ephraim P. Engleman et Jean Vanier dans leur domaine respectif comme des modèles de bon vieillissement corporel, cérébral et spirituel. Cependant, les différentes manières de bien vieillir ne sont pas mutuellement exclusives. En fait, ces trois personnes – comme d’autres hommes et femmes remarquablement robustes – partagent certains nombres de points.
Tous sont animés d’une détermination qui les pousse hors du lit chaque matin. Leur motivation est dirigée vers l’extérieur : les trois ont choisi un métier qui aide les autres (BJ McHugh était infirmière). En analysant les données du projet Longevity – une étude qui a suivi plus de 1 500 enfants américains jusqu’à leurs vieux jours ou leur tombe et dont un livre a été tiré en 2011 -, Howard S. Friedman, professeur de psychologie à l’Université de Californie de Riverside remarqua une constante. Ceux qui travaillaient plus dur vivaient plus longtemps.
Ce qui nous ramène à la bonne vieille formule : se battre, s’adapter, persévérer. Le cerf-volant qui reste en vol le plus longtemps est maintenu dans le ciel par sa résistance au vent.