La promesse des cellules souches

Ces nouvelles percées, notamment les cellules souches, annoncent une véritable révolution en matière de santé.

Avant les cellules souches.
Jaime Hogge
Le Dr Riam Shammaa a utilisé les propres cellules souches d’Annissa Jobb pour la soulager de ses douleurs lombaires.

Avant les cellules souches

En 2017, Annissa Jobb entrait pour la première fois dans le cabinet du Dr Riam Shammaa, spécialiste en médecine du sport et de la douleur à Toronto, au Canada. Aide-soignante dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée, elle souffrait depuis 10 ans de maux de dos qu’une hernie discale non diagnostiquée n’avait fait qu’aggraver. Aucun traitement n’avait pu la soulager.

«C’était une vocation pour moi de prendre soin des autres», confie Annissa, aujourd’hui âgée de 54 ans. Mais s’occuper de seniors fragiles exige de pouvoir soulever, se pencher, tirer. Sa blessure n’était en somme jamais au repos. Devant la douleur qui augmentait, elle serrait les dents. «J’avais un tiroir rempli d’analgésiques, mais pas un ne me soulageait. J’avais les nerfs en boule. Nous avons failli divorcer, mon mari et moi.» En novembre 2016, Annissa avait du mal à faire 200m. «Selon mon médecin, si je n’arrêtais pas de travailler, je finirais en fauteuil roulant.»

Annissa a été adressée au Dr Shammaa, qui a commencé par lui faire des injections censées anesthésier les nerfs, un peu comme l’épidurale. Programmées aux deux semaines, elles calmaient la douleur quelques jours, parfois quelques semaines, mais celle-ci finissait toujours par revenir.

Un complexe de cellules souches végétales fait partie des produits de beauté aux ingrédients bizarroïdes.

Comment traiter le douleur chronique avec des cellules souches?
Teeradej/Shutterstock

Traiter le douleur chronique

Il n’a jamais été simple de traiter la douleur chronique complexe du dos. Certains patients finissent par développer une dépendance aux opioïdes et d’autres doivent subir une intervention chirurgicale lourde de fusion vertébrale – souvent sans succès – qui ne convient qu’à un patient sur 20. Conscient des limites de ces solutions et après avoir consulté la recherche sur des traitements révolutionnaires à base de cellules souches en Europe, le Dr Shammaa a décidé de lancer une étude sur 23 de ses patients. Comme Annissa Jobb satisfaisait aux critères d’inclusion, il lui a proposé de participer tout en la prévenant qu’il n’y avait aucune garantie de succès. La technique utiliserait des cellules de sa propre moelle osseuse, et ne présentait aucun danger. La patiente a accepté.

L’université de Montpellier, en France, et la clinique Mayo, aux États-Unis, sont deux institutions parmi d’autres qui pratiquent ce genre d’intervention consistant à prélever un échantillon de tissu de la moelle osseuse du patient et d’en concentrer les cellules souches, ou cellules mésenchymateuses. Ce concentré d’aspiration de moelle osseuse (BMAC) est ensuite injecté dans la hernie discale du patient pour stimuler la régénérescence et la guérison des tissus endommagés.

L’IRM d’Annissa a révélé que deux disques la faisaient souffrir. «Qu’il y en ait un ou deux endommagés sur les cinq du rachis lombaire signifie que ce n’est pas l’ensemble du niveau qui est atteint, explique le Dr Shammaa. Quand les cinq disques sont touchés, le rachis est vraiment en mauvais état et il n’y a alors pas grand-chose que l’on puisse faire.»

L’intervention chirurgicale, qui a duré trois heures et demie, a débuté par l’extraction de la moelle osseuse – l’étape la plus douloureuse – qu’on a aussitôt distillée et concentrée. Guidé par fluoroscopie, un type de rayon X, le médecin a inséré une aiguille dans la colonne vertébrale de sa patiente pour instiller le BMAC dans les deux disques.

La patiente est restée éveillée pendant toute l’opération pour alerter le chirurgien en cas de contact avec un nerf.

Après deux semaines de convalescence alitée, Annissa a recommencé doucement à marcher. Un mois plus tard, elle entrait d’un pas alerte dans la clinique, un moment dont le Dr Shammaa se souvient avec joie. «Elle n’en revenait pas, dit-il. Cette femme qui avait toujours évalué sa douleur à “plus de 10” l’établissait désormais à deux.

Dans ses conclusions publiées dans le numéro de mars 2021 de la revue Frontiers in Medicine, le Dr Shammaa rapporte que 90% de ses patients ont gagné deux ou trois millimètres de taille que la compression discale leur avait fait perdre. En outre, 80% d’entre eux ont cessé de recourir aux opioïdes.

L’injection de cellules souches est l’un des traitements qui pourraient vous sauver la vie.

La médecine régénérative avec les cellules souches.
Philippe Garo/sciencesource.com
Un spécialiste en médecine régénérative examine une culture de cellules souches.

La médecine régénérative

L’usage de cellules souches fait partie de l’arsenal de la «médecine régénérative», apparue il y a une vingtaine d’années. Dans ce domaine, les cellules et les facteurs de croissance de l’organisme sont mobilisés pour réparer des tissus en restaurant leurs fonctions perdues. Plusieurs thérapies et produits cellulaires ont déjà obtenu l’aval des agences de santé publique et sont utilisés notamment comme substituts de peau dans le traitement de brûlures, de produits de «support» pour la cicatrisation d’incisions chirurgicales et de produits dérivés du sang de cordon ombilical dans le traitement de certains troubles et maladies hématologiques.

Le recours aux cellules souches en médecine régénérative pourrait révolutionner le traitement de nombreuses pathologies. (Les cellules souches sont des cellules pluripotentes que l’on trouve dans les embryons et les tissus de l’organisme adulte; elles se renouvellent et sont les seules à pouvoir générer un nouveau type de cellules.) Pour les chercheurs du monde entier engagés dans des essais cliniques sur les cellules souches, l’espoir qu’elles puissent un jour réparer les corps, un sujet qui a fait l’objet de nombreux débats et discussions, semble tout à fait fondé.

«La médecine régénérative pourrait devenir une spécialité à part entière, comme la cardiologie et la neurologie», confirme le Dr Shane Shapiro, professeur adjoint en chirurgie orthopédique à la clinique Mayo, à Jacksonville, en Floride.

Les preuves de succès ne manquent pas. Une étude menée à l’université de la Californie sur le traitement par cellules souches rétiniennes des pertes de vision congénitales rapporte le cas d’Irvine qui a pu voir sa famille pour la première fois depuis des années. De même, un enfant allemand souffrant d’épidermolyse bulleuse, une maladie cutanée potentiellement fatale, a bénéficié d’une greffe de cellules de peau modifiées à l’université de Modène et de Reggio d’Émilie, en Italie. En août dernier, l’actrice américaine Selma Blair se déclarait en rémission d’une sclérose en plaques après avoir subi une greffe de cellules souches dans le cadre d’un essai thérapeutique. Par ailleurs, une étude en cours menée en Irlande, en France et aux Pays-Bas auprès de 18 patients souffrant d’arthrose montre déjà des résultats encourageants.

Cela dit, le Dr Shammaa demeure prudent. Malgré ses premiers succès, cette science est si nouvelle qu’elle peut être mal comprise et mal appliquée. «Les marchands de miracles sont légion», alerte-t-il, pointant du doigt les cliniques privées que l’on voit essaimer un peu partout et qui se vantent, sans preuves et au mépris des organismes de réglementation, de pouvoir guérir le dysfonctionnement érectile ou la démence grâce aux traitements par cellules souches. «Les patients doivent à tout prix comprendre ce qui est aujourd’hui possible et le chemin qu’il reste à parcourir.»

Il ajoute: «Certains patients sont de bons candidats pour des interventions simples, comme l’instillation de concentré de moelle osseuse, mais d’autres souffrent de maladies ou de lésions trop avancées ou trop complexes. Nous n’avons pas le droit de leur donner de faux espoirs.»

Alors où en sommes-nous dans ce nouveau champ si passionnant de la médecine?

Le saviez-vous: l’activité physique active les cellules souches adultes, c’est l’un des meilleurs moyens de muscler son cerveau.

Des cellules souches pluripotentes induites.
Tewan Banditrakkanka/Shutterstock

Cellules souches pluripotentes induites

Une petite révolution allait marquer l’année 2006, quand Shinya Yamanaka, biologiste moléculaire de l’université de Kyoto, au Japon, a démontré que la thérapie des cellules souches permettrait d’éviter l’utilisation moralement clivante de cellules d’embryons humains. Il a découvert en effet qu’il était possible d’amener une cellule de peau adulte à se transformer en cellule de sang, d’os ou de foie, comme les cellules souches d’embryons humains donnent forme aux différentes parties du corps. Shinya Yamanaka, colauréat du prix Nobel de médecine en 2012 pour ses travaux, les a appelées les «cellules souches pluripotentes induites», ou CSPi. Cette découverte a fait avancer la discussion sur les cellules souches au-delà du sujet sensible de l’utilisation de tissu fœtal à des fins médicales, illégale dans certains pays.

En 2014, une équipe du RIKEN, l’institut de recherche physique et chimique de Tokyo, a effectué la première transplantation réussie de CSPi après avoir cultivé des cellules rétiniennes à partir de cellules de la peau d’une patiente âgée atteinte de dégénérescence maculaire, une maladie grave de l’œil. Dans la foulée, le Dr Henry Klassen de l’université de la Californie à Irvine a supervisé un essai clinique sur le traitement de rétinites pigmentaires, un ensemble de maladies génétiques rares qui conduisent graduellement à la cécité, au cours duquel des cellules souches rétiniennes d’un donneur ont été transplantées dans les yeux de 28 participants à l’étude. Kristin Macdonald, de Los Angeles, en faisait partie. Cette femme aveugle de 64 ans a vécu ce qu’elle décrit comme une explosion de lumière. «Je peux désormais me déplacer grâce à la lumière et mieux distinguer les formes et les contrastes», dit-elle. Elle est aujourd’hui un ardent défenseur des essais cliniques portant sur les cellules souches.

Puis, en 2018, Richard Fessler, neurochirurgien au centre médical de l’université Rush à Chicago, a supervisé un essai qui a duré une année auprès de six patients paralysés à la suite de lésions de la moelle épinière à qui on a transplanté des neurones dérivés de CSPi. M. Fessler a rapporté que tous avaient, à un certain degré, retrouvé le mouvement dans la partie supérieure du corps et qu’un patient qui pouvait à peine hausser les épaules, se servait désormais de ses mains pour manger, écrire et exécuter certaines tâches.

C’est ce genre de percée qu’appelait de ses vœux le regretté Christopher Reeve, connu pour son rôle de Superman, condamné au fauteuil roulant après une chute de cheval qui l’a laissé tétraplégique. À cette époque, un peu partout dans le monde, les États souhaitaient restreindre la recherche sur les cellules souches d’embryons humains. (Les cellules souches embryonnaires sont parfois utilisées en médecine; elles sont dérivées de blastocystes surnuméraires n’ayant pas fait l’objet d’une fécondation in vitro – le blastocyste est un amas cellulaire dans un ovule fécondé.)

Des débuts prometteurs pour les cellules souches.
metamorworks/Shutterstock

Des débuts prometteurs

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Il faut encore étudier la sécurité, le dosage et la production standardisée et peu coûteuse de CSPi selon les différents troubles et maladies. En 2018, Shinya Yamanaka prédisait que de nombreux traitements en médecine régénérative et de nouveaux médicaments seraient développés et autorisés vers 2030.

Entre-temps, la première génération de traitements par cellules souches ayant reçu l’approbation des instances régulatrices en Europe, au Canada et aux États-Unis concerne essentiellement des transplantations cellulaires simples – notamment avec les propres cellules du patient, transposées d’une partie de l’organisme à une autre, comme dans le cas de l’intervention menée par le Dr Shammaa sur Annissa Jobb. Cela étant, pour certaines maladies du sang comme la leucémie, les transplantations de cellules souches provenant de donneurs compatibles sont autorisées et pratiquées depuis de nombreuses années.

Le transfert de BMAC de la moelle épinière dans le genou reste l’intervention la plus courante ayant fait l’objet d’essais cliniques en Europe, au Canada et aux États-Unis. Si Annissa Jobb cherchait un traitement pour son mal de dos, en poussant la porte de l’hôpital de recherche Humanitas à Milan, en Italie, Rodolfo Corsini, 58 ans, espérait qu’on le soulage d’une douleur au genou liée à son activité professionnelle. C’était en 2020 et ce technicien en télécommunication n’avait jamais entendu parler du BMAC avant que le Dr Elizaveta Kon, chirurgienne, jugeant que ses lésions ne nécessitaient pas une opération de remplacement du genou, ne le lui suggère. Il a accepté l’injection et l’intervention a été couronnée de succès. «J’arrive à faire presque tout ce que je faisais avant», s’enthousiasme l’homme.

Avec des collègues européens, le Dr Kon mène plusieurs études exploratoires, dont l’une qui compare deux traitements, avec une cohorte de patients traitée au BMAC, et une autre avec un différent type de cellules souches – issues de la fraction vasculaire stromale (FVS) – extraites de tissus adipeux adultes.

Les premières recherches sur le BMAC suscitent de l’espoir, bien qu’il faille rester prudent. «Ces traitements peuvent certainement aider celui qui souffre d’une affection chronique dégénérative et, dans plusieurs cas, ils améliorent la gestion des symptômes et la qualité de vie, même si on ne peut généralement pas envisager de guérison, explique le Dr Shapiro. C’est comme pour le diabète ou l’hypercholestérolémie. On n’en guérit pas, mais on sait les traiter. Nous rêvons de soigner l’arthrite sans métal ni plastique, ou la discopathie dégénérative sans immobilisation chirurgicale de la colonne vertébrale. L’objectif ultime, c’est ça.»

Un consortium de recherche composé de 10 institutions européennes s’y emploie. Les chercheurs tentent de mettre au point une technique permettant d’éviter l’extraction douloureuse de moelle osseuse comme celle qu’a subie Annissa Jobb. Ils espèrent plutôt fabriquer des cellules souches mésenchymateuses (CSM) en laboratoire, de manière standardisée et en quantités importantes, explique Mary Murphy, chercheuse scientifique à l’université nationale d’Irlande à Galway.

Certains membres du groupe financé par l’UE cherchent à produire un approvisionnement durable, d’autres testent de nouvelles thérapies. Par exemple, le centre médical de l’université de Leyde aux Pays-Bas et l’université de Göteborg en Suède travaillent sur un traitement contre l’arthrose. Il faudra encore quelques années avant qu’il ne soit testé, approuvé et accessible.

Un taux élevé de cholestérol augmente la reproduction des cellules souches intestinales: mieux vaut éviter ces aliments pour éloigner les risques de cancer.

Cellules souches: attention aux charlatans et aux potions magiques.
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Attention aux charlatans et aux potions magiques

La médecine régénérative est encore récente et il convient de se méfier des produits frauduleux vendus par des sociétés peu scrupuleuses, qui proposent des traitements pour toutes sortes d’affections, de la perte de cheveux à la maladie de Lyme, parfois en fiole, comme s’il s’agissait d’une potion magique.

Des charlatans sans aucune compétence médicale administrent de manière irréfléchie des produits non approuvés, une pratique qui a entraîné des poursuites et l’intervention des agences de santé publique. En 2019, aux États-Unis, les autorités fédérales ont forcé une société californienne à cesser de vendre ses produits de cellules souches dérivées de sang de cordon ombilical. Non seulement la vente de sang de cordon ombilical ayant fait l’objet d’un don est-elle interdite, mais la société – qui commercialisait ses produits essentiellement comme traitement contre des problèmes de dos, de genoux et d’articulations – ne contrôlait pas adéquatement les donneurs pour le dépistage de maladies transmissibles ni ne suivait correctement les manœuvres de nettoyage et de désinfection. La réputation de charlatanisme de la médecine régénérative est due à ces nombreux cas d’abus.

Pour en savoir davantage sur les options disponibles, suivant votre affection, adressez-vous un spécialiste. «S’il s’agit d’arthrose dans un genou, commencez par un chirurgien orthopédique ou un spécialiste de médecine sportive, recommande le Dr Shapiro. Pour une discopathie dégénérative de la colonne lombaire, consultez d’abord un spécialiste de la colonne vertébrale.» Puis demandez que l’on vous adresse à une personne compétente en médecine régénérative.

Le traitement aux cellules souches a amélioré la vie de nombreux patients de manière durable. «J’ai pu faire des promenades avec mon mari l’été dernier, se souvient Annissa Jobb. J’ai marché un kilomètre! J’étais emballée. Ça m’a donné envie de me mettre au ski de fond. Pourquoi pas?» Quelle expérience libératrice pour tous ceux qui souffrent de douleurs chroniques.

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Contenu original Readers Digest International Edition

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