Des plantes pour les médicaments
Utiliser les plantes pour en faire des médicaments : il fallait y penser! C’est en 1929 qu’un jeune pharmacien français, Pierre-Joseph Leroux, réussit à obtenir des cristaux d’une substance blanche en appliquant à l’écorce de saule (Salix alba) la même « recette » que celle permettant d’extraire la quinine de l’écorce de quinquina. Il baptise sa découverte salicine.
Il s’agit en fait d’un mélange de plusieurs substances, parmi lesquelles l’acide salicylique, qui s’avère efficace contre la fièvre, les douleurs et les rhumatismes articulaires, mais provoque des brûlures d’estomac.
En 1853, Charles Gerhardt réalise à Montpellier la première synthèse en laboratoire de l’acide acétylsalicylique, une molécule proche de l’acide salicylique, mais mieux tolérée. Une nouvelle méthode de synthèse plus commode est mise au point plus tard par le chimiste Félix Hofmann. On dit que celui-ci avait été poussé dans ses recherches par le désir de soulager les douleurs de son père, atteint de rhumatismes articulaires très douloureux. L’acide acétylsalicylique fera l’objet d’un brevet déposé par Bayer en 1899, sous la marque Aspirin®, une dénomination qui évoque la spirée (Spiraea ulmaria) ou reinedes-prés, une autre plante qui renferme de l’acide salicylique. Le premier médicament moderne était né. Il garde toujours la première place, avec 12 000 tonnes d’aspirine vendues chaque année dans le monde.
À partir des années 1930, les progrès de la chimie vont permettre de reproduire de plus en plus facilement, par synthèse, les principes actifs des plantes. Ces dernières ne disparaissent pas pour autant de l’univers de la pharmacopée. Bien au contraire, elles en font désormais partie à double titre : par la phytothérapie proprement dite, d’une part, qui continue à utiliser la plante entière ou ses extraits, et par une seconde forme de thérapie d’autre part, nommée pharmacognosie, dans laquelle la plante devient une matière première pour concevoir des médicaments. C’est ainsi qu’aujourd’hui on utilise les molécules actives des plantes, parfois légèrement modifiées pour améliorer leur efficacité ou réduire leurs effets secondaires indésirables, dans le traitement de nombreuses maladies. C’est le cas, par exemple, des médicaments indispensables pour soigner des cancers, pour traiter l’insuffisance cardiaque ou pour lutter contre le paludisme.
La découverte de nouvelles molécules et la mise au point de nouveaux médicaments continuent à être une impérieuse nécessité. La recherche dans ce domaine doit se poursuivre, car l’homme est encore désarmé devant un certain nombre de maladies. Dans cette quête incessante, les plantes représentent l’une des matières premières les plus précieuses et une source d’innovation irremplaçable.
Les plantes utilisées depuis la Grèce antique
Pour calmer ses maux, l’homme s’est depuis toujours servi des plantes. Il leur a attribué des pouvoirs magiques, puis a appris peu à peu à discerner leurs propriétés. En Occident, dans la Grèce antique, Hippocrate (460-377 av. J.-C.), surnommé le père de la médecine, recommandait déjà l’asperge et l’ail pour leurs vertus diurétiques, le pavot comme hypnotique et les feuilles de saule pour soulager douleurs et fièvre… Au début de notre ère, un autre médecin grec, Dioscoride, établit le premier herbier des plantes médicinales. Traduit en arabe et en persan, ce traité sera utilisé quelques siècles plus tard par les savants musulmans, qui influenceront les grandes universités de l’époque, notamment celle de Montpellier, le centre européen le plus réputé en botanique.
Grâce aux échanges avec l’Afrique et l’Asie, la pharmacopée végétale occidentale va s’enrichir de nombreuses plantes et épices exotiques. On y trouvera désormais camphre, gingembre, cannelle, noix muscade, santal, curcuma, ginseng ou séné. Mais qu’il s’agisse de plantes locales ou de végétaux d’origine plus lointaine, leur usage sera longtemps basé sur des croyances plus ou moins fantaisistes. Pendant tout le Moyen Âge, superstitions, magie et observations empiriques s’entremêlent dans la thérapeutique par les plantes. À partir de la Renaissance, la science va, pour la première fois, rejeter les élixirs d’alchimiste et autres remèdes magiques. Les plantes locales, soigneusement récoltées, sont largement employées sous forme de tisane, de décoction ou d’onguent : elles constituent l’essentiel des traitements dont on dispose pour se soigner, selon des formules transmises par la tradition.
Il faudra attendre le début du XIXe siècle et les travaux des chimistes de cette époque (dont beaucoup étaient aussi pharmaciens) pour que les principes actifs des plantes commencent à être isolés. On réussit à extraire et à identifier de nombreuses molécules actives : la morphine de l’opium du pavot, la colchicine du colchique, l’atropine de la belladone, la quinine des écorces du quinquina, la théobromine du cacao, etc. La découverte de la digitaline date de la même époque. À la fin du XVIIIe siècle, un médecin et botaniste anglais, le Dr William Withering, s’intéresse à cette plante largement utilisée en médecine populaire contre la rétention d’eau. Il arrache le secret de son utilisation à une guérisseuse, qui le tenait elle-même d’une transmission familiale depuis des générations de guérisseurs. En 1785, il publie une étude sur la digitale, et signale son action diurétique et son influence bénéfique sur certaines « faiblesses cardiaques ». Des essais cliniques commencèrent dès 1809 avec des extraits de la feuille. Mais ce n’est que plusieurs années plus tard qu’un pharmacien français, Claude Adolphe Nativel, réussit à isoler le principe actif de la plante, la digitaline. La digitale laineuse représente aujourd’hui la base de nombreuses spécialités pharmaceutiques destinées à soigner certaines insuffisances cardiaques.