Aujourd’hui, la même scène serait légèrement différente.
Au lieu d’une Player’s Light, une adolescente « vapoterait » peut-être une Blu, une NJOY ou n’importe quelle autre marque de cigarettes électroniques qui inondent le marché.
Selon le Centre américain de contrôle et de prévention des maladies (CDC), le pourcentage d’étudiants ayant testé ces cigarettes est passé de 3,3 % en 2011 à 6,8 % en 2012.
Bien que la majorité de ceux qui en consomment soit des fumeurs ou d’anciens fumeurs, l’enquête a révélé que 160 000 jeunes les ayant testées n’avaient jamais fumé de cigarettes traditionnelles.
Pour les adolescents, il est plus facile d’acheter des cigarettes électroniques. Santé Canada n’a pas autorisé la vente ou la promotion des « e-cigarettes », mais les mineurs peuvent en acheter en ligne, sans avoir à montrer patte blanche (les marques sans nicotine, telles qu’eRoll et Dune Cigs, sont en vente libre au Canada dans les dépanneurs, sans restriction d’âge). Aucune véritable donnée n’a encore été recueillie, mais les autorités médicales comme le CDC craignent que la nicotine des « e-cigs » incite à l’usage du tabac les jeunes non-fumeurs exposés.
Alors que l’industrie du tabac envahit de plus en plus le marché des cigarettes électroniques, le risque de créer une « passerelle » augmente, s’inquiète David Hammond, professeur à l’École de santé publique et de gestion des systèmes de santé de l’Université de Waterloo. « Si j’étais dirigeant d’entreprise, j’encouragerais la croissance du marché de la nicotine, et non sa réduction en poussant progressivement les consommateurs de tabac à passer aux e-cigarettes puis à l’abstinence, souligne le Dr Hammond. Je souhaiterais plutôt que les gens utilisent les deux. Même la mise en marché des e-cigarettes est similaire. On utilise des mannequins très séduisants, des images qui affirment que c’est à la mode. Cela ne ressemble pas à un message de santé publique, incitant à cesser de fumer. Cela invite plutôt à essayer. »
Selon les premiers résultats du groupe de recherche GfK, parmi les fumeurs américains qui utilisent aussi des cigarettes électroniques, 56 % sont des hommes et 44 % des femmes (la majorité appartiennent à la génération Y). Cependant, avec leurs emballages roses et violets et leur écriture arrondie, les marques comme Vapor Couture et Vaping Vamps visent clairement les femmes. Les cigarettes « réservées aux femmes » sont plus chics et élégantes, remarque Maria Verven, PDG de Vaping Ventures, fabricant de Vaping Vamps. « Vapoter est une solution de rechange cool et saine à la cigarette, me confie-t-elle. Je ne vois pas pourquoi ne pas le proposer aux femmes ».
Plus tôt dans l’année, Blu, qui accapare 40 % du marché des e-cigarettes, a engagé Jenny McCarthy et Stephen Dorff comme porte-parole dans une campagne publicitaire sans précédent sur le web, à la télé et dans la presse écrite. NJOY a dévoilé une publicité internet mettant en vedette Courtney Love, et les tabloïds ont imprimé des articles montrant Kate Moss, Sienna Miller et Robert Pattinson avec des cigarettes électroniques.
Selon un rapport de Citibank, entre 2011 et 2012, aux États-Unis, les dépenses de publicité imprimée pour les e-cigarettes ont augmenté de 71,9 %, et celles pour la télé de 17,9 % – une nouvelle et importante source de revenus pour les médias. Mais cette manne financière pourrait être éphémère, car les procureurs généraux de 40 États pressent la Food and Drug Administration (FDA) d’en restreindre la promotion et la vente pour ne pas cibler directement les jeunes.
Au Canada, la promotion des produits du tabac est interdite, ou presque : elle est autorisée dans les publications dont le lectorat est adulte à au moins 85 %. En plus de la publicité, la distribution gratuite lors d’événements culturels est devenue une stratégie prisée aux États-Unis et au Canada. Pendant la semaine de la mode new-yorkaise, printemps/été 2014, NJOY offrait ses cigarettes après les défilés, et des échantillons sans nicotine de la marque Luli ont été distribués lors du Festival international du film de Toronto en 2013.
Sharon Anne Cook, de l’Université d’Ottawa qui a publié Sex, Lies and Cigarettes (2012), la stratégie marketing des e-cigarettes attire les femmes pour les mêmes raisons qui ont fait le succès des cigarettes slim au milieu du 20e siècle. « Les cigarettes soi-disant « légères » sur le marché féminin, jouaient sur la croyance qu’elles étaient bien plus saines que les cigarettes normales, une idée soutenue par les fabricants. »
Les E-cigarettes sont-elles moins nocives ? « À en juger par les ingrédients, oui », explique Peter Selby, chef de programme au Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto. La solution inhalée en vapotant est généralement un mélange de glycérine végétale, de propylène glycol et de polyéthylène glycol, des produits chimiques semblables à des additifs alimentaires, combinés à des quantités variables de nicotine, selon les marques. Elle ne produit ni goudron ni fumée cancérigène, et distribue la nicotine en quantités moins saturées que les cigarettes, qui contiennent plus de 4 000 substances toxiques.
Mais la majorité des cigarettes électroniques sont fabriquées en Chine où l’absence de normes de fabrication présente un risque. Une étude de la FDA, menée en 2009, a découvert des produits chimiques cancérigènes et des toxines utilisées dans l’antigel dans plusieurs marques d’e-cigarettes et des traces de nicotine dans des produits étiquetés sans nicotine. « Les e-cigarettes ont un fort potentiel comme outil de réduction des effets nocifs, mais seulement après avoir été testées et réglementées, ajoute Peter Selby. Elles ne sont pas prêtes pour la distribution sur une grande échelle, entre autres parce qu’elles sont tombées dans un « vide juridique » ».
Distribution massive ou pas, Susan Willis et son conjoint, N. Maxwell Lander, ont commencé à vapoter en janvier 2013, pour arrêter de fumer sans trop souffrir. Le couple, dans la vingtaine, qui dirige une entreprise de photographie à Toronto, fumait un paquet par jour. « J’en avais assez de me sentir malade et fatiguée, dit Mme Willis. Depuis que j’ai commencé à vapoter, mes maux de tête et ma fatigue ont complètement disparu, et j’ai plus d’argent dans les poches. » Les kits d’e-cigarette, vendus avec un atomiseur, une cartouche et un filtre en plastique, coûtent entre 40 $ et 80 $. Les recharges de nicotine, environ 10 $ par semaine, contre 70 $ pour un paquet de cigarettes traditionnelles par jour.
Elaine Lui, qui dirige le site de célébrités à la mode laineygossip.com, s’est tournée vers les cigarettes électroniques en 2012 pour se sevrer de 25 années de dépendance à la nicotine. « J’avais une véritable histoire d’amour avec les cigarettes, explique-t-elle. Mais j’allais sur mes 40 ans, et cesser de fumer était nécessaire. »
Ces cigarettes représentent peut-être une solution plus saine, mais quel est leur potentiel pour aider les fumeurs à arrêter complètement ? Aux États-Unis, avant les timbres de nicotine et la gomme, et après le sevrage brutal, c’est actuellement la deuxième méthode la plus répandue.
Bien que les données sur le long terme ne soient pas disponibles, une étude néo-zélandaise récente démontre que les e-cigarettes sont à peu près aussi efficaces que le timbre. L’Organisation mondiale de la santé ne voit pas cela du même œil. En juillet 2013, elle a déclaré qu’il n’était pas prouvé que les cigarettes électroniques sont une bonne méthode pour cesser de fumer.
Santé Canada n’a pas approuvé leur utilisation comme outil de sevrage, prévenant que « leurs dangers, qualités et efficacités n’ont pas été minutieusement évalués ». Bien que la FDA ne se soit pas encore prononcée, plusieurs études américaines indiquent que les e-cigarettes pourraient aider les fumeurs à cesser de fumer. L’American Association of Public Health Physicians (Association américaine des médecins de santé publique) a, quant à elle, recommandé les cigarettes électroniques aux fumeurs qui essayaient de se libérer de la cigarette.
La question demeure ouverte de savoir si des produits comme Vaping Vamps sont un moyen pour les femmes de mettre fin à leur dépendance, ou les y enfoncer. Leur popularité indique en tout cas que les femmes forment une catégorie de fumeurs à part. Si l’écart avec les hommes se resserre, c’est entre autres à cause de la difficulté des femmes à arrêter définitivement.
Selon Peter Selby, cette différence est à la fois biologique et sociale. La structure du cerveau féminin, les hormones et la composition corporelle peuvent rendre plus sensibles à la dépendance à la nicotine et augmenter la sensation de manque. « Les femmes ont tendance à vivre leurs habitudes de fumeuses comme leurs relations – avec leur conjoint ou leurs amis, explique-t-il. Fumer devient synonyme de socialisation, et le sevrage crée parfois une déconnexion, ce qui peut être difficile. » À la différence du sevrage brutal ou du timbre, les cigarettes électroniques permettent à l’ex-fumeuse de maintenir ses habitudes sociales et de rejoindre les fumeurs dans les zones désignées au tabagisme.
Les experts s’accordent à dire que le tabagisme est toujours en baisse grâce au succès des campagnes antitabac, la visibilité réduite dans les films, la hausse de la taxation et la diminution des lieux désignés. Cependant, selon Peter Selby, les femmes ne réagissent pas aussi bien que les hommes aux thérapies de substitution à la nicotine, comme les timbres ou la gomme.
« En général, on cesse de fumer en se fixant une date et en s’y tenant », confie M. Selby. Mais ces méthodes ciblent la dépendance physique et non les facteurs psychologiques spécifiques aux femmes. En négligeant les raisons pour lesquelles elles fument – le fait que la relation à la cigarette soit aussi addictive que les cigarettes elles-mêmes -, l’industrie du sevrage ne répond pas aux attentes des femmes.