Ce qu’il faut savoir pour bien prendre soin de ses pieds
On leur en demande tellement qu’il convient de les bichonner!
Marche, randonnée pédestre, course à pied, vélo: comment les pratiquer sans les pieds? Dès lors, l’indifférence à leur endroit apparaît étonnante, surtout quand on sait que notre qualité de vie dépend de notre activité physique. Il est donc crucial de prendre soin de ses pieds. En 2021, des scientifiques espagnols se sont justement inquiétés de l’augmentation générale des problèmes de pieds et de leurs nombreuses répercussions (leur étude portait sur des sujets valides de 15 à 69 ans).
«Ces problèmes affectent la qualité de vie, occasionnent des pertes d’équilibre, accentuent la difficulté de se chausser et augmentent le risque de chutes, ont écrit les auteurs dans la revue Scientific Reports. Tout cela se répercute sur les activités quotidiennes, notamment les sorties.» Selon une étude menée en 2017 auprès d’étudiants valides de La Corogne, en Espagne, la mauvaise santé des pieds aggrave justement le risque d’isolement social, faute de pouvoir être actif.
Vos pieds sentent mauvais? C’est peut-être à cause de l’une de ces raisons…
L’hallux valgus ou oignon
Quand une douleur au pied limite l’activité et dure plus d’une semaine, il faut consulter un podiatre ou un orthopédiste, recommande Paul Langer, podiatre en médecine sportive dans le Minnesota, aux États-Unis. Hartley Miltchin, un podiatre canadien de Toronto, ajoute que, si les pieds – les fondations du corps – ne sont pas en mesure de bien effectuer leur travail, tout le reste ira de travers.
L’hallux valgus est l’un des problèmes de pieds les plus courants. Environ un tiers des personnes en souffrent. Quand le gros orteil est mal aligné, une saillie osseuse se forme et le contraint à se tourner vers l’intérieur, tandis que l’articulation ressort sur le côté. Cela ne disparaît pas tout seul.
Directeur d’une agence de communications et de médias, Troy Gubb a toujours été actif, mais il y a une dizaine d’années, au début de la quarantaine, un hallux valgus s’est formé sur son pied gauche. Quand il retirait ses patins après un match de hockey, son pied était rouge et enflammé. Au golf, il ressentait des élancements. Il a fini par renoncer au hockey, puis au golf. Finalement, même la course à pied y est passée. Il n’arrivait même plus à promener le chien de la famille.
«J’ai atteint le point culminant en octobre dernier, se souvient-il. Je marchais en boitillant avec une canne et ne supportais aucune pression sur le pied. Il fallait faire quelque chose.»
«L’hallux valgus est généralement causé par un double facteur: une prédisposition génétique et des chaussures mal adaptées, explique la Dre Kathleen Gartke, médecin-chef à l’hôpital d’Ottawa et chirurgienne orthopédiste qui a opéré de nombreux patients handicapés par ce mal. La mode ne ménage pas nos pieds.» Rien n’interdit de porter à l’occasion des chaussures serrées où les orteils sont à l’étroit ou n’ont pas le soutien approprié, ou encore des talons hauts, mais certainement pas «toute la journée et tous les jours».
L’apparition d’une saillie osseuse à la base du gros orteil doit inciter à donner plus souvent sa préférence à des chaussures qui n’enserrent pas les doigts de pieds. La Dre Gartke recommande de glisser un écarteur (on en trouve dans la plupart des pharmacies) entre le gros et le deuxième orteil pour les maintenir droits. Vous saurez ainsi quelles chaussures éviter – toutes celles dans lesquelles vous sentez votre pied à l’étroit avec l’écarteur.
Le problème a tendance à s’aggraver avec le temps. Si l’hallux valgus met en douleur votre vie quotidienne, songez à une intervention chirurgicale. «Les hallux valgus étant tous différents, il y a plusieurs chirurgies possibles, confirme la chirurgienne. La radiographie aidera à choisir celle qui convient.»
Les plus courantes, l’exostosectomie et l’ostéotomie, sont généralement réalisées en tandem. L’intervention dure entre 45 minutes et une heure. La première consiste à exciser la protubérance à l’articulation du gros orteil. Pour résoudre le problème sous-jacent, on pratique ensuite une incision le long de l’os pour remettre l’articulation dans l’axe et insérer des broches ou des vis qui maintiennent l’os en place. C’est l’ostéotomie. Il faut parfois retirer un peu d’os du gros orteil pour faciliter son redressement.
Heureusement, l’opération se fait le plus souvent sous anesthésie locale. La convalescence pouvait par le passé être pénible, mais la douleur est désormais rendue plus supportable grâce à un bloc analgésique. On installe une canule derrière le genou qui instille un anesthésiant dans le nerf relié à la zone de l’hallux valgus. «Ce dispositif reste en place quelques jours et permet une excellente maîtrise de la douleur», se réjouit la Dre Gartke. Il faut compter de 4 à 6 mois pour une guérison complète – disparition de l’œdème et de la sensibilité – suivant la chirurgie et le genre d’hallux valgus.
Troy Gubb a été opéré par Hartley Miltchin suivant une technique mise au point par ce dernier, plus rapide, moins invasive, avec une récupération plus rapide. M. Miltchin forme d’autres podiatres et des chirurgiens orthopédistes à cette technique qui fait appel à des instruments de précision pour pratiquer de petites incisions dans les os de manière à réorienter l’axe du gros orteil.
Six semaines après l’opération, en avril 2022, M. Gubb a retrouvé le terrain de golf. Il s’est remis à la course à pied dès l’été (il en a même gagné quelques-unes), et, quelques mois plus tard, il chaussait ses patins pour jouer au hockey et s’élancer sur la glace avec ses filles. Il regrette seulement de ne pas avoir réagi 10 ans plus tôt, à l’apparition de la douleur.
Assurez-vous de connaître ces signes subtils sur les pieds révélateurs de maladies.
Autres affections
Il n’y a pas que l’hallux valgus qui mène à la clinique du Dr Langer. La fasciite plantaire, la tendinite du tendon d’Achille et l’arthrose sont d’autres affections douloureuses des pieds.
Fréquente chez les coureurs et les danseurs, la fasciite plantaire se manifeste par une douleur vive au talon. Elle est provoquée par l’inflammation du tissu conjonctif – le fascia plantaire – qui recouvre la voûte plantaire et relie le talon aux orteils. Le fascia n’est ni un muscle, ni un tendon, ni un ligament; il est rigide et ne peut s’étirer.
Avec le temps, de microdéchirures se forment sur le tissu qui finit par être douloureux. Et davantage chez ceux qui ont tendance à marcher avec le talon vers l’intérieur, car cela accentue les tiraillements. Paul Langer suggère, dans un premier temps, d’essayer des semelles intérieures vendues sans ordonnance qui peuvent soulager la pression sur le fascia plantaire. Si ça ne fonctionne pas, il faut envisager une orthèse. Les glaçons, les étirements et les séances de physiothérapie soulagent les symptômes.
La tendinite du tendon d’Achille est une blessure de surutilisation provoquant une douleur au tendon qui relie le muscle du mollet à l’os du talon. Le repos et les antalgiques en vente libre soulagent, ainsi que les exercices d’étirements et de renforcement. Une orthèse qui relève le talon réduira la pression sur le tendon.
Généralement attribuable à l’usure, l’arthrose, enfin. «Après 50 ans, une personne sur 6 souffrira d’arthrite, et avec 33 articulations dans chaque pied, ce genre de problème peut drôlement limiter l’activité», dit le Dr Langer. Il y a différentes solutions: les médicaments comme l’acétaminophène et les anti-inflammatoires stéroïdiens comme l’ibuprofène); la physiothérapie; les injections de cortisone; et, dans certains cas, l’arthroplastie (la réparation chirurgicale de l’articulation).
Garder ses pieds en forme
Pour prendre soin de ses pieds et prévenir les problèmes, il faut parfois s’occuper du reste du corps. Pour Dahlia Fahmy, physiothérapeute et propriétaire de Sports and Ortho Physical Therapy à Chicago, le corps est une «chaîne cinétique». Chaque mouvement entraîne un ensemble de réactions, depuis les muscles et les tendons, jusqu’aux ligaments et aux articulations. «Le pied est le conducteur de tout mouvement. Il suffit qu’il se pose sur le sol pour que cela provoque un effet sur tout le corps, et si un pied est dysfonctionnel, cela se répercute sur toute la chaîne cinétique.»
La force des muscles fessiers et la mobilité des hanches et des mollets sont le secret d’une bonne santé du pied et de sa stabilité. «Les pieds ont besoin de l’aide de ses collaborateurs situés plus haut pour rester en bon état de fonctionnement.»
Le Dr Langer partage cet avis et n’hésite pas à suggérer des exercices à ses patients et à les adresser à un physiothérapeute pour un entraînement musculaire des mollets, des quadriceps, de l’ischio-jambier et des fesses, sans oublier la partie supérieure du corps. Il souligne l’importance du renforcement des muscles du pied et de la cheville. «Chez ceux qui ont des pieds forts, le risque de chutes diminue et la dégénérescence naturelle des muscles après 50 ans est moins rapide.»
Au Brésil, des chercheurs de l’université de São Paulo ont révélé qu’avoir des pieds forts réduisait jusqu’à 60% le risque de blessures lors d’une course.
Pour garder ses pieds en forme, Paul Langer entraîne les grands muscles de ses jambes et les petits muscles de ses pieds avec la course en colline et le yoga des orteils. «Il s’agit d’activer les muscles du pied, puis de solliciter les muscles en enchaînant progressivement avec des mouvements plus difficiles, comme passer de la position assise à la position debout, puis sur un pied, ensuite sautiller et, enfin, courir.»
Commencez par cet exercice: en position debout, répartissez également le poids de votre corps sur le gros orteil, le petit et le talon. Soulevez ensuite du sol les cinq orteils, écartez-les au maximum en éventail et reposez-les, un orteil à la fois.
Sortez vos pieds
Paul Langer, qui a couru plus de 25 marathons, a toujours été fasciné par la capacité des pieds à nous porter dans le monde. «Nous percevons rarement les pieds comme des organes sensoriels, alors qu’ils envoient une quantité phénoménale d’informations au cerveau qui permettent le maintien de l’équilibre, l’adaptation à différentes surfaces et un mouvement efficace.»
Il suffit de constater la différence entre se promener sur une plage de sable fin et marcher sur un trottoir de béton: le sable est instable et exige beaucoup plus d’énergie que la surface plate et ferme du béton. «Nos pieds envoient des signaux sensoriels grâce auxquels le cerveau modifie la raideur des jambes, ce qui permet d’optimiser les modèles de mouvements sur différentes surfaces.»
Les bienfaits de la marche sur la santé sont nombreux. Des chercheurs canadiens ont démontré que, pour ceux qui souffraient d’ostéoporose, c’était un des meilleurs exercices – et celui qu’ils préféraient. Par ailleurs, dans une nouvelle étude publiée en septembre 2022 dans American Medical Association – Internal Medicine, après l’analyse des données d’activités de 78 500 participants, on a constaté qu’une marche rapide de 30 minutes par jour réduisait le risque d’apparition de maladies cardiaques et de cancers.
En 2022, Parcs Canada rejoignait RxAP, le premier programme national de prescription d’activité physique qui permet aux médecins de prescrire du temps à passer dans les parcs nationaux et les aires de conservation. La marche à l’extérieur est bonne pour la santé et la diversité du terrain est certainement un des avantages importants, explique le Dr Langer. «Sur un terrain inégal, nos articulations plient et fléchissent pour s’adapter, et cela exige que les muscles et le système neurologique travaillent davantage pour assurer la force et l’équilibre.» Cela permet aussi de maintenir notre amplitude de mouvement, de force et d’équilibre.
Les bonnes chaussures
Si la recherche vante les bienfaits des coussinets, le Dr Langer rappelle qu’il n’y a pas de chaussure idéale universelle. Beaucoup font l’erreur de se fier à la publicité ou au vendeur qui fait l’éloge de la «meilleure» chaussure. (Et ce ne sont pas les gougounes. Voici de bonnes raisons de les éviter!)
«Le confort est très important, mais c’est quelque chose de complexe qui ne se quantifie pas. Dans mon cas, je préfère une empeigne confortable – mais pas trop – et un bout large et arrondi.» Si on veut acheter la bonne chaussure, il faut en essayer plusieurs et se fier à son instinct.
Helen Branthwaite du Royal College of Podiatry, conférencière en biomécanique clinique à l’université du Straffordshire, au Royaume-Uni, fonde une bonne partie de ses recherches sur sa passion pour les chaussures et son intérêt pour leur effet sur la mécanique du pied (elle préfère les baskets, mais possède une paire ou deux de chaussures à talon).
«Nos chaussures affectent notre façon de fonctionner et influent sur le mouvement et la pression que nous exerçons sur nos pieds.» Si la chaussure n’est pas confortable quand on l’essaie, il vaut mieux renoncer à l’acheter. «Il est absurde de croire qu’on va s’y habituer ou qu’elle s’élargira avec l’usage.»
Mme Branthwaite qui exerce en podiatrie à Macclesfield, en Angleterre, recommande de choisir une chaussure qui respecte la forme du pied; si vous avez un pied plutôt carré, optez pour un modèle de forme similaire. Le soutien de la voûte plantaire est fondamental. Certains manufacturiers (notamment Calla, un fabricant au Royaume-Uni qui conçoit des modèles pour des femmes souffrant d’un hallux valgus) développent des styles qui répondent à des problèmes de pied courants.
Pour résoudre un problème de pied, la Dre Branthwaite conseille ses patients sur ce qui peut les soulager, qu’il s’agisse de coussinets pour les douleurs au talon, ou de coutures intérieures lisses quand on a un hallux valgus. «La chaussure peut devenir le traitement.» Une de ses patientes avait des douleurs telles à la voûte plantaire qu’elle était incapable de promener son chien. Mme Branthwaite lui a suggéré de remplacer ses ballerines par des bottes confortables et robustes.
En 2021, des chercheurs français ont étudié le port de chaussures spécialement conçues pour améliorer l’équilibre et la stabilité pour tout le monde, de l’athlète à l’entraînement à la personne de plus de 65 ans. Tous les ans, plus de 30% des sujets de plus de 65 ans sont victimes de chutes elles-mêmes responsables de 90% des fractures de la hanche. Les conclusions des chercheurs sont limpides: ces chaussures ne font pas qu’améliorer l’équilibre, les sujets qui les portent se sentent plus stables en marchant.
Gillian Parkinson, une orthophoniste à la retraite de Wilmslow, en Angleterre, assure qu’un changement de chaussure peut faire toute la différence. Elle qui vient d’avoir 70 ans avait de plus en plus de mal à marcher. Elle souffrait d’une tendinite du talon d’Achille et était encline à se tordre la cheville.
Après quelques chutes déconcertantes, elle a consulté. La podiatre lui a immédiatement recommandé de troquer ses mocassins contre une chaussure à attache Velcro avec une semelle à plus grande surface d’adhérence pour améliorer la stabilité. L’orthophoniste a ajouté une orthèse plantaire pour surélever le talon et assurer un meilleur équilibre.
Non seulement la tendinite du talon d’Achille a disparu, mais Mme Parkinson a pu reprendre ses promenades, et même se balader à l’occasion dans la montagne. «Il y a une route de campagne à
50 mètres de la maison qui conduit vers un site historique où nous avons l’habitude de marcher, mon mari et moi. Après quelques kilomètres, on se fait plaisir en s’arrêtant dans un petit café. La marche me fait beaucoup de bien. C’est thérapeutique et apaisant.»
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