Voici Osa, le chien qui détecte le cancer

Et s’il était possible de sentir le cancer ou une autre maladie? Un chien qui détecte le cancer peut aider la science à sauver des millions de vies grâce à son simple nez.

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L'odeur du cancer: ce chien sait-il si vous avez le cancer?
Photographie de Jason Varney/Coiffure + maquillage: Elizabeth Jacobs
Annemarie DeAngelo avec Osa, son chien étoile.

Osa: la diva qui détecte les cancers

Osa, une vigoureuse femelle berger allemand de 28kg avec une longue queue duveteuse et un faible pour les bandanas rouges, n’a pas exactement le profil d’une superhéroïne.

Elle mâchouille le tissu du canapé quand elle s’ennuie et n’hésite pas à faire une scène pour attirer l’attention. Il y a peu, Annemarie DeAngelo, sa mère adoptive et dresseuse, est sortie pour bavarder avec un visiteur sur le pas de sa porte au New Jersey, près de New York. Osa s’est mise à aboyer pour réclamer son attention; comme ça ne fonctionnait pas, elle a sauté sur la table de jardin, a planté sa truffe dans le visage d’Annemarie et s’est épanchée en gémissements.

«Tu es incroyable», a grommelé la dresseuse avant d’esquisser un sourire.

Osa bénéficie du droit de jouer les divas. Connaissez-vous beaucoup d’autres chiens de six ans capables de déceler des tumeurs cancéreuses et qui participent à un projet de recherche qui pourrait révolutionner l’oncologie?

(Bon à savoir: les oncologues évitent de manger ces aliments.)

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Osa peut différencier à l’odeur les échantillons de sang prélevés sur des patients cancéreux de ceux provenant de sujets en bonne santé.
Jason Varney

Améliorer les chances de survie

Malgré le remarquable succès de l’immunothérapie, de la modification génétique et de nombreux traitements de pointe, l’incapacité à dépister précocement certains cancers reste un obstacle persistant et fatal. Un exemple décourageant: des quelque 250 000 femmes frappées par le cancer des ovaires dans le monde chaque année, environ 140 000 en meurent alors que ce cancer se traite très bien s’il est diagnostiqué tôt. Apprenez-en plus sur les symptômes du cancer des ovaires qu’il ne faut pas ignorer.

Osa pourrait permettre d’améliorer bientôt leurs chances de survie. Elle participe à un ambitieux programme lancé il y a cinq ans à l’université de Pennsylvanie, aux États-Unis, en vue de rétro-concevoir l’un des plus puissants détecteurs d’odeurs qui soient: le nez du chien.

Osa peut différencier à l’odeur les échantillons de sang prélevés sur des patients cancéreux de ceux provenant de sujets en bonne santé. Elle est l’un des huit chiens dressés à dépister les cancers par Annemarie DeAngelo et ses collègues du Penn Vet Working Dog Center, organisme à but non lucratif qui élève et dresse des «chiens détecteurs». L’objectif final: mettre au point un nez électronique d’une finesse semblable au superflair d’Osa et de ses copains détecteurs de cancers. Cette machine pourrait être déployée dans les cabinets médicaux et les centres de dépistage.

Le cancer n’est d’ailleurs qu’une cible parmi d’autres. Ce genre de système se prêterait aussi au diagnostic de maladies comme les infections bactériennes, le diabète ou l’épilepsie. Certains dresseurs ont même en point de mire la covid-19. «Au fond, la démarche est la même», assure Cynthia Otto, fondatrice et directrice du centre.

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Les chiens ont 30 millions de récepteurs olfactifs qui pourraient leur permettre de détecter le cancer.
Jason Varney
Une affaire de famille: les chiens d’Annemarie DeAngelo, Grizzly (à gauche) et Prior, travaillent aussi au centre.

30 millions de récepteurs olfactifs

Tout commence par l’appareil olfactif du chien. Le nôtre n’en est qu’une pâle copie avec ses cinq millions de récepteurs, petites protéines capables de détecter les molécules odorantes, logés dans un recoin à l’arrière de notre cavité nasale, ce qui veut dire qu’une odeur doit remonter jusqu’au fond des narines. Chez le chien, la surface interne consacrée à l’odorat va des narines au fond de la gorge, et on estime qu’elle compte 30 millions de récepteurs olfactifs, 60 fois plus que celle de l’être humain.

Les chiens consacrent aussi beaucoup plus de ressources neuronales que les êtres humains au traitement et à l’interprétation des signaux olfactifs. À peine 5% de notre cerveau est réservé à l’odorat, contre 35% chez le chien, dont le nez, tout bien compté, se montre jusqu’à un million de fois plus sensible.

«Les chiens perçoivent le monde par le nez, explique Marc Bekoff, professeur émérite d’écologie et de biologie de l’évolution à l’université du Colorado, à Boulder, aux États-Unis. C’est ainsi qu’ils s’informent sur ceux qui sont passés là avant eux, s’ils étaient joyeux ou tristes, si la femelle était en chaleur, s’ils étaient bien ou mal portants. Guidés par leur nez, ils reniflent d’abord et réfléchissent ensuite.»

Les êtres humains exploitent depuis toujours la richesse du flair canin. Au Moyen Âge, en France et en Écosse, les seigneurs l’utilisaient pour traquer les hors-la-loi. Dans les Alpes suisses, les chiens sauveteurs sont apparus au XVIIIe siècle quand les moines de l’hospice du Grand-Saint-Bernard se sont rendu compte que les chiens qu’ils élevaient pouvaient les conduire aux victimes d’une avalanche ensevelies sous la neige.

En dépit de ces antécédents, la science n’a jamais envisagé que les chiens pouvaient détecter le cancer jusqu’à ce que Hywel Williams, alors jeune médecin de 30 ans, tombe sur une mine d’or scientifique à la fin des années 1980.

En arrivant à l’hôpital du King’s College de Londres où il devait suivre une formation en dermatologie, Hywel avait été chargé de réviser tous les cas de mélanomes vus à l’hôpital au cours des 20 années précédentes. Un travail pénible, se rappelle-t-il, jusqu’à ce que, un après-midi, dans un dossier, il tombe sur une brève note qui disait simplement: le chien reniflait la lésion. Qu’est-ce que ça voulait dire? Le chien avait-il flairé le cancer? «J’ai téléphoné à la dame en question, se rappelle Hywel. Et nous avons eu la plus fascinante des conversations.»

La patiente de 44 ans lui a dit que son chien Baby Boo, un croisement de border collie et de doberman, avait fait une fixation sur un drôle de grain de beauté qu’elle avait sur la cuisse gauche et qu’il le reniflait souvent, frottant son museau contre la jambe de sa maîtresse à travers son pantalon. Ce rituel quotidien s’était poursuivi plusieurs mois. Un jour, le chien avait essayé de mordre le grain de beauté, et sa maîtresse était allée chez son médecin. Le grain de beauté avait été excisé, et on avait constaté que c’était un mélanome malin.

«Quelque chose dans cette lésion fascinait le chien, se rappelle Hywel. Et ça a littéralement sauvé la vie de cette femme.»

Hywel Williams et un collègue ont publié leur découverte dans The Lancet, une revue médicale très respectée. Et voilà que des amoureux des chiens du monde entier lui ont écrit pour lui faire part d’expériences semblables. Un homme de 66 ans dont le labrador était obsédé par une plaque eczémateuse sur sa cuisse gauche avait fini par consulter un médecin pour apprendre qu’il s’agissait d’un carcinome basocellulaire. Un dermatologue de Floride évoquait George, un schnauzer qu’il avait dressé, «devenu fou» en flairant un grain de beauté suspect sur la jambe d’un patient. C’était une tumeur maligne.

Depuis, les preuves des capacités canines de détection de maladies comme les cancers de la vessie et de la prostate, le diabète et même la malaria n’ont fait que croître. Mais ce n’est pas à la portée de n’importe quel chihuahua, corgi ou beagle.

Vous serez surpris d’apprendre que même les médecins peuvent détecter ces maladies à l’odeur!

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Osa a été confiée au Penn Vet Working Dog Center par un éleveur à l’âge de deux mois pour apprendre à détecter le cancer.
Jason Varney
Pour la chienne Osa, ici avec Annemarie DeAngelo et Cynthia Otto, la recherche sur le cancer n’est pas un travail, mais un jeu.

Les «âmes sensibles»

Comme la plupart de ses camarades canins, Osa a été confiée au Penn Vet Working Dog Center par un éleveur à l’âge de deux mois. «Nous étudions leur hérédité et leur capacité de travail, dit Annemarie DeAngelo. Ils doivent descendre de chiens de travail, qui ont l’instinct de la chasse, non d’animaux de concours ou de compagnie.» Osa a d’abord suivi des leçons d’obéissance et pratiqué des exercices d’agilité (marcher sur une planche, monter sur une échelle, traverser un tas de gravats). Elle est vite passée à la détection d’odeurs.

Au cours de ces séances, les chiens sont exposés à un calibreur universel, une odeur puissante et distincte mise au point par un vétérinaire pour entraîner les chiens. Glissée dans un sac en mylar percé d’un petit trou pour que l’odeur puisse s’en échapper, cette poudre est ensuite déposée par terre, fixée à un mur ou tenue dans la main. Dès que le chien flaire le sac, le dresseur actionne un cliquet ou dit «oui», puis donne une récompense pour «inscrire» l’odeur dans le cerveau de son animal. L’exercice est répété jusqu’à ce que le chien ait compris que, s’il repère cette odeur, il sera récompensé.

Étape suivante, le dresseur propose des choix au chien. Par exemple, il placera des odeurs différentes dans des récipients identiques, mais une seule des deux mènera au clic et à la récompense quand le chien la flairera. Par la suite, le dresseur retient la récompense jusqu’à ce que le chien s’immobilise et le fixe des yeux quand il trouve le bon récipient.

Pendant tout l’entraînement de base, les dresseurs évaluent les aptitudes et le caractère des chiens pour déterminer leur future spécialité. Ceux qui aiment courir parmi les gravats seront destinés aux opérations de sauvetage. Ceux qui n’apprécient pas les gravats, mais ont la truffe fine apprendront à repérer les drogues ou les bombes. Ceux qui trouvent «amusant de mordiller les humains», plaisante Annemarie DeAngelo, finiront chiens policiers.

Les chiens détecteurs médicaux du centre sont plutôt des originaux aux intérêts limités. Dans la bouche de Cynthia Otto, ce sont des «âmes sensibles». Ils n’aiment pas les endroits bruyants et bondés comme les aérogares et les lieux des catastrophes naturelles.

Osa se méfie énormément des étrangers – à tel point que personne n’est autorisé à approcher de la maison de Mme DeAngelo sans prévenir (cela déclencherait un tumulte assourdissant). Une fois dans la maison, l’arrivant doit aussitôt ressortir avec son hôtesse et le chien pour jouer au ballon afin de tranquilliser Osa. Mais ces traits névrotiques s’accompagnent d’une concentration exceptionnelle.

«Je dis souvent que nos chiens détecteurs médicaux sont des comptables, poursuit Mme Otto. Ils adoreraient scruter un tableur et y trouver le chiffre mal placé. Ils aiment que tout soit parfaitement en ordre et en règle. Ils sont pointilleux.»

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Ces chiens possédaient tout ce qu’il fallait pour être un excellent détecteur olfactif pour les cancers.
Avec l’autorisation du Penn Vet Working Dog Center
Mme DeAngelo et ses collègues ont pleuré de joie quand les chiens ont réussi à renifler des traces de cancer de l’ovaire dans l’un des récipients de la roue.

L’entraînement

Osa possédait tout ce qu’il fallait pour être un excellent détecteur olfactif, mais rien ne garantissait qu’elle triompherait de la tâche la plus critique de toutes. Pour le savoir, Annemarie DeAngelo et son équipe l’ont placée devant une roue métallique fixe pourvue de multiples bras au bout desquels des récipients contenaient soit le plasma d’une femme atteinte d’un cancer ovarien métastatique soit le plasma d’un sujet en bonne santé. Quand Osa est passée devant le bon récipient, elle a tendu le museau et s’est immobilisée. Mme DeAngelo et ses collègues en ont pleuré de joie dans les bras les uns des autres.

«Vous ne savez pas d’avance si ça marchera, donc vous les entraînez, encore et encore, dit-elle. Et puis, vous placez le plasma d’un vrai cancer dans la roue en espérant que les chiens le reconnaîtront en ignorant les autres. Et ça a marché! Du premier coup! C’était bouleversant.»

Mais ce n’était que le début du parcours d’obstacles. Pour intégrer le superflair d’Osa dans un processus reproductible – un nez électronique – les chercheurs devaient déterminer ce à quoi Osa et ses camarades réagissaient. Annemarie DeAngelo dit que les échantillons de sang qu’elle a employés pour entraîner ses chiens contenaient des centaines de composés volatils et que n’importe lequel pourrait attirer l’attention du chien. Voilà pourquoi l’équipe du centre Penn comprend non seulement les physiciens et ingénieurs qui conçoivent l’instrumentation électronique, mais également des chimistes pour déterminer l’odeur de calibrage à utiliser. Ils ont fractionné des échantillons cancéreux en composants de plus en plus petits, qu’ils ont présentés ensuite aux chiens afin de savoir lesquelles de ces centaines de molécules aromatiques attiraient leur attention.

L’appareil est entraîné selon le même principe. Les ingénieurs ont commencé par lui présenter deux échantillons différents composés de diverses molécules aromatiques et se sont assurés que la machine opérait la distinction. Ils ont ensuite retiré une molécule aromatique à la fois pour lui apprendre à distinguer des différences de plus en plus subtiles et difficiles à détecter.

En attendant le progrès, mieux vaut opter pour les meilleurs aliments anti-cancer.

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Cancer: comment améliorer les chances de survie des patients?
Daniel Peterschmidt/Science Friday
Entraîner un chien comme Osa à flairer les cancers peut prendre de 12 à 18 mois.

Un nez électronique

L’objectif consiste à placer un flacon de plasma dans un nez électronique du format d’un micro-ondes pour qu’il en analyse les composants aromatiques et indique en quelques minutes si l’échantillon est normal, bénin ou malin. Une autre version pourrait traiter jusqu’à 10 échantillons à la fois.

La plupart des gens préféreraient sans doute que la détection de ce dont ils souffrent soit faite par une truffe amicale (quoique humide) plutôt que par une machine glaciale. «Ils devront déchanter, pointe Bruce Kimball, chimiste au Monell Chemical Senses Center de Philadelphie. Il faudrait placer tellement de chiens et de dresseurs dans les hôpitaux, les labos et les cliniques que ce serait irréaliste.»

Un prototype de nez électronique a été construit, et il réussit à détecter les cancers dans 90% à 95% des cas. Si impressionnant que cela paraisse, les chercheurs estiment qu’il reste encore du travail. Ils ont déjà une petite idée des composants ou substances qui produisent l’odeur clé, mais voudraient rendre l’appareil plus précis, notamment l’amener à distinguer les stades précoces et avancés de cancer.

«Ce serait merveilleux de détecter les cas au stade précoce, car c’est ce qui pourrait vraiment sauver des vies, dit Cynthia Otto. Les chiens en sont capables.» Si cette ambition devenait réalité, on pourrait faire tester un échantillon de sang par un laboratoire – voire au cabinet du médecin – à l’occasion du bilan de santé annuel, ce qui en finirait avec certains cancers occultes.

Si tout marche comme l’espèrent Annemarie DeAngelo et Cynthia Otto – laquelle est sûre qu’un appareil fonctionnel est en vue –, l’humanité aura remporté l’une des plus importantes victoires à ce jour dans sa guerre contre le cancer. Bien entendu, ni Osa ni aucun de ses camarades canins n’ont la moindre idée de ce qui excite tant leurs maîtres. «Pour eux, c’est seulement un jeu, dit Mme DeAngelo. Osa sait juste: j’ai été entraînée et quand je sens cette odeur et que je la pointe, je suis récompensée.»

Osa préfère que cette récompense ressemble à un morceau de fromage. Ce n’est pas cher payé pour un nez capable de tout changer dans le diagnostic d’innombrables cancers et, ainsi, de sauver des milliers de vies.

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