Un médecin se guérit lui-même d’une maladie mortelle
Guéris-toi toi même: en appliquant ce principe sacré des médecins, un jeune docteur échappe à la maladie mortelle qui menace sa vie.
Étendu dans un lit d’hôpital à l’université de l’Arkansas, peu après Noël 2013, David Fajgenbaum est aux portes de la mort. Son taux de plaquettes sanguines est si bas que le moindre coup sur n’importe quelle partie de son corps pourrait déclencher une hémorragie cérébrale mortelle. Un médecin lui a conseillé de coucher ses dernières volontés sur une feuille de papier.
Pendant qu’on l’emmène d’urgence en radiologie pour une tomodensitographie, ses larmes ruissellent jusque sur sa chemise d’examen. Il se rappelle la première patiente qu’il a perdue lors de ses études de médecine, emportée par une hémorragie cérébrale de ce genre après un ACV.
Il pense ne pas survivre à l’examen. Il se trompe.
David souffre de la maladie de Castleman, une pathologie rare qui incite le système immunitaire à attaquer les organes vitaux. Ce n’est pas sa première crise. Des chimiothérapies intensives lui ont permis d’échapper de justesse à la mort à quatre reprises déjà, mais chaque nouvelle agression a affaibli son organisme.
«On en apprend beaucoup quand on a frôlé la mort», dira-t-il.
Il en apprendra tellement qu’il surprendra ses médecins en découvrant un traitement contre sa maladie. Six ans après cette rechute, il sera en rémission, sa femme et lui auront une petite fille, et il consacrera sa carrière médicale à sauver des gens atteints de la même maladie que lui.
Dans son enfance à Raleigh, David passait ses samedis à regarder les matchs du Wolfpack, l’équipe de football américain de l’université de la Caroline du Nord, avec son père, le médecin des joueurs.
À sept ans, il n’a qu’un désir: faire partie de l’élite du sport universitaire. Dès la fin du primaire, il se lève à 5h du matin pour courir. Les murs de sa chambre sont tapissés de dessins illustrant des tactiques de jeu.
Finalement, il réalise son rêve et devient le stratège de l’équipe de football de l’université de Georgetown, mais dans sa deuxième année d’études, en 2004, sa mère meurt d’un cancer du cerveau.
Pensez à surveiller ces symptômes du cancer de cerveau.
L’épreuve accroît sa détermination, lui apprend à mieux apprécier les beaux moments de la vie et lui révèle que le malheur n’épargne personne. «Je connais des gens bien plus dignes que moi d’un miracle et qui n’ont pas été exaucés», confiera-t-il. Il fonde un groupe de soutien pour les étudiants endeuillés de son université.
Il s’inscrit à la maîtrise à Oxford et s’y familiarise avec la recherche scientifique dans le but de combattre la maladie qui a tué sa mère. Cette volonté implacable et la rigueur scientifique acquise lui sauveront un jour la vie.
Il entre ensuite à l’école de médecine de l’université de Pennsylvanie. Il veut devenir médecin comme son père; plus précisément oncologue, en hommage à sa mère décédée.
En 2010, dans sa troisième année d’études, il tombe si malade qu’il passe cinq mois à l’hôpital. Quelque chose attaque son foie, ses reins et d’autres organes.
On découvre qu’il est atteint de la maladie de Castleman multicentrique idiopathique. Décrite pour la première fois en 1954, cette affection qui conjugue des traits auto-immuns et cancéreux surexcite certaines molécules de signalisation immunitaires, les cytokines. On pourrait la comparer à une attaque d’avions de chasse contre leur propre base.
Faible et nauséeux, en proie à de multiples défaillances organiques, David n’en remarque pas moins de drôles de points rouges sur sa peau et demande à chaque nouveau médecin ce qui cause ces «taches rubis». Trop absorbés par le combat qu’ils mènent pour le sauver, ils ne s’arrêtent pas à ce détail.
«Ils m’ont dit et répété que ça n’avait pas d’importance.» L’étudiant en médecine devenu patient leur prouvera le contraire. «Les patients remarquent des choses que personne d’autre ne voit.»
La maladie revient à la charge quatre fois au cours des trois années suivantes, clouant David à l’hôpital, tantôt pour des semaines tantôt pour des mois. Il survit grâce à des «bombardements» de chimiothérapie. Au cours d’une rechute, sa famille fait venir un prêtre pour lui administrer l’extrême-onction.
Après tant d’épreuves, de défaillances organiques, de chimiothérapies, David craint que son corps ne le lâche, mais il termine quand même ses études de médecine. Il fonde aussi le CDCN, un réseau mondial de lutte contre la maladie de Castleman.
Par son entremise, il peut organiser des rencontres entre les plus grands spécialistes mondiaux de la maladie, consulter des médecins, des chercheurs et des patients pour tenter de déterminer les études les plus urgentes.
Au lieu d’espérer que des chercheurs demandent des subsides pour se consacrer à la maladie, le réseau recrute les meilleurs, qui s’y dédient. Plutôt que de tabler sur la découverte de nouvelles molécules, David compte sur des médicaments homologués, dont la sûreté est établie et dont il peut tester l’efficacité sur sa propre maladie.
Pendant tout ce temps, il ignore si la prochaine salve ne sera pas la dernière. Pour prévenir les rechutes, il se rend en avion toutes les trois semaines en Caroline du Nord pour des traitements en chimiothérapie.
Il demande aussi en mariage la jeune femme qu’il fréquente depuis le début de ses études universitaires. «La maladie n’a pas été un obstacle, confiera celle qui est devenue Caitlin Fajgenbaum. Je voulais que nous soyons ensemble.»
Hélas, à la fin de 2013, la maladie expédie David à l’hôpital en Arkansas. Il n’a jamais senti d’aussi près le souffle du baiser fatal. Avant que Caitlin et lui puissent poster les invitations à leur mariage, il doit tenter de sauver sa peau.
L’étude de son dossier médical lui donne une idée que les chercheurs ont négligée, plus de 60 ans après la découverte de la maladie de Castleman. La concentration d’une protéine appelée facteur de croissance de l’endothélium vasculaire est 10 fois plus élevée que la normale. À l’école de médecine, David a appris que c’est elle qui préside au développement des vaisseaux sanguins et il en déduit que les taches rubis apparues lors de chacune de ses crises ont été causées par ce pic, qui appelle le système immunitaire à agir.
Il sait aussi qu’un immunosuppresseur, le sirolimus, est déjà homologué pour le traitement des surréactions immunitaires menaçant une greffe de rein. Après avoir consulté un spécialiste des instituts nationaux de la santé, David demande à son médecin de le lui prescrire. En février 2014, il l’obtient dans une pharmacie à moins d’un kilomètre et demi de chez lui. «Un médicament qui pouvait me sauver la vie était caché sous nos yeux», s’étonne-t-il encore.
Jusqu’ici, les résultats sont bons. David est en rémission depuis plus de six ans. Il n’est plus le sportif musclé qu’il était, mais il a presque complètement recouvré ses forces. Il est professeur adjoint de médecine à l’université de Pennsylvanie, y dirige un laboratoire de recherche et recrute des patients pour procéder à un essai clinique du médicament qui l’a rendu à la vie.
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En 2018, Caitlin et lui ont eu une fille, Amelia. «Elle est un vrai petit miracle, dit la maman. Nous avons bien de la chance.»
David espère que son histoire servira de leçon, bien au-delà du monde médical, sur ce que peuvent faire les gens quand ils sont au pied du mur. Et il a le sentiment qu’il n’a pas souffert en vain quand il croise le regard de ses patients atteints de la maladie de Castleman. Une fillette appelée Katie, diagnostiquée à deux ans, avait été hospitalisée 14 fois depuis. Son médecin lui a prescrit le médicament de David après que la famille a pris contact avec le CDCN. Katie n’est pas retournée à l’hôpital par la suite et vient de finir la maternelle. Elle a même appris à faire du vélo.
Tiré de cnn.com (16 septembre 2019). © Turner Broadcasting Systems, Inc., cnn.com.