Après avoir vu le pire
«J’ai passé plus de 30 ans à voir des choses qu’aucun être humain ne devrait voir», confie Darrell Robinson, un sergent à la retraite de la GRC de Jaffray, en Colombie-Britannique. Tout au long de sa carrière, le policier de 55 ans a été témoin de trop de tragédies humaines. Il a travaillé sur des affaires terribles, comme celle de Clifford Olson, arrêté en 1981 pour le meurtre de 11 enfants âgés de 9 à 18 ans. «J’ai rempli ma “banque” de traumatismes sans jamais cesser d’en rajouter», dit-il. Et puis il a craqué.
Même s’il vient d’une époque et d’un milieu valorisant une certaine forme d’insensibilité, Darrell a fini par admettre qu’il avait besoin d’aide. Un constat qu’il partage avec les sept hommes et femmes réunis en ce mois de juin 2019 à La Forge, une ferme située à Quesnel, en Colombie-Britannique. Qu’ils soient militaires, policiers ou intervenants de première ligne, tous ceux qui sont réunis ici ont en commun de souffrir d’état de stress post-traumatique (ESPT), une maladie mentale qui apparaît dans le sillage d’événements traumatiques majeurs.
Soyez attentif à ces signes qui indiquent que vous avez besoin d’antidépresseurs.
Une thérapie de 10 jours
Ils sont âgés de 22 à 65 ans, viennent de partout au Canada, et aimeraient que la thérapie de 10 jours qu’offrent Terry et Paul Nichols les aide à mettre fin à cette souffrance qui les tenaille et qui a souvent un impact considérable sur leurs proches – les grands oubliés de l’ESPT. La plupart du temps, ils ont refoulé leur douleur pendant des années parce qu’ils vivent une certaine forme de déni. «J’avais peur qu’on me diagnostique un ESPT et je me suis dit: Tu sais quoi, tu n’as pas besoin d’aide. Tu peux surmonter ça tout seul», raconte Kevin, un policier ontarien qui préfère taire son nom de famille pour des raisons de sécurité.
Le principe de la thérapie est relativement simple: chaque participant se voit attribuer un cheval qui devient son partenaire, le miroir de son état d’esprit. «Un cheval lit vos émotions et les reflète, explique Terry. Il vous oblige à travailler sur vos problèmes pour progresser avec lui. D’une certaine manière, il agit tel un miroir.» Terry et Paul ont développé cette thérapie après avoir été eux-mêmes victimes d’ESPT. Terry, qui s’est brisé le dos et le bassin dans un accident, s’est reconstruite mentalement et physiquement grâce aux chevaux. «Au début, je me rendais jusqu’au cheval avec ma marchette», se souvient-elle. Paul, un ancien militaire, est quant à lui revenu dévasté de la campagne en ex-Yougoslavie, dans les années 1990. «Son cheval lui a littéralement sauvé la vie», raconte Terry.
Le formidable travail accompli depuis par le couple lui a valu en 2018 la Médaille du service méritoire de la gouverneure générale du Canada.
Le pouvoir de guérison des chevaux est aussi utilisé dans certains hôpitaux: c’est l’une des bonnes nouvelles du monde entier à connaître!
Surmonter le défi du manque de confiance
Comme ils le font tous les jours aussitôt levés, les pensionnaires prennent le chemin des écuries. Ils n’ont plus le pas hésitant des premiers jours et avancent d’une démarche calme et sûre lorsqu’ils pénètrent dans les box où les attendent les chevaux. Il est 7h du matin et, avant même d’aller déjeuner, chacun doit nourrir son compagnon, nettoyer son paddock, passer un moment avec lui. Puis, direction la maison pour un repas en groupe. Chacun met la main à la pâte. Les conversations sont légères.
Une fois le déjeuner terminé, le groupe se dirige vers le foyer. Situé en bordure du manège extérieur, c’est avant tout un cocon où tout peut se dire – et rien de ce qui s’y dit n’en sort. C’est là que chacun fixe ses objectifs pour la journée et, une fois celle-ci terminée, que tous évaluent le chemin parcouru. Il ne s’agit pas de se ruer vers la guérison, mais de prendre le temps d’absorber chaque moment de la journée, de l’apprécier, de le partager. La force des uns réconforte la fragilité des autres. C’est le pouvoir du groupe, l’aura du foyer.
Ce matin-là, après avoir sorti Skip de son box, Gordon Lee, 53 ans, un vétéran des Forces armées de Whitby, en Ontario, pose la main sur l’encolure de l’animal de 23 ans.
L’homme et la bête sont parfaitement immobiles, comme en communion. Lorsque Gordon retire sa main et se met à marcher, le cheval lui emboîte naturellement le pas. Cette scène a quelque chose de très inusité puisque Gordon souffre de stress post-traumatique et que cet état inspire en général une grande méfiance aux chevaux, animaux extrêmement sensibles à l’état psychologique de ceux qui les approchent. Il a fallu plusieurs jours à Gordon pour inspirer confiance à Skip qui, au début, ne se laissait pas approcher.
Pour y parvenir, l’ex-militaire a dû affronter ses démons: «Ça fait 20 ans que je ne fais que survivre au lieu de vivre.»
Pendant tout ce temps-là, seuls l’alcool et les médicaments lui ont permis de faire taire la douleur qui le rongeait. Sa famille en a grandement souffert. Aujourd’hui, il a tout arrêté et se prépare à reprendre sa vie en main. Le séjour à la ferme lui fournit des outils qui vont l’y aider. «Skip a été le miroir de mes propres réactions et de leur impact sur mon entourage», dit-il. Dès qu’il laisse sa douleur reprendre le dessus, il voit Skip reculer et devenir hésitant. «Je peux facilement associer cela à ma relation avec ma conjointe et mes enfants.»
Mieux vaut ne pas ignorer ces symptômes de dépression.
«Maintenant, il y a tellement d’espoir»
Le cheval est très sensible à la tension et à la respiration des gens qui l’approchent, explique Terry. «Lorsque le corps de l’individu est tendu, dit-elle, le cheval se demande ce qui cloche autour de lui et cela altère son comportement.» Il est donc impératif de bien respirer et de se concentrer sur le moment présent afin que l’animal retrouve son calme. La relation de confiance que chacun des participants établit avec son cheval va bien au-delà de ce simple lien. Elle leur permet de renouer avec un leadership constructif. Le cavalier apprend que nier ses problèmes et établir une relation de force avec le cheval ne mène à rien.
«Si j’emmène ce cheval dans la montagne et que j’enlève sa bride, il va partir et me laisser là, explique Paul. Mais avec un bon leadership et une confiance mutuelle, je peux guider le même cheval dans les montagnes et faire ce que j’ai à faire. Il va rester avec moi. Et c’est vraiment ce que nous recherchons avec notre famille: être capables d’offrir le meilleur de nous-mêmes afin que les gens restent avec nous.»
Avec la fin du séjour vient le moment des bilans. Chacun reconnaît que ce moment partagé avec des humains souffrant des mêmes maux lui a fait un bien fou. «Au début du programme, j’avais des pensées suicidaires, raconte Lyssa, une jeune militaire qui préfère ne pas dévoiler son nom. Mais maintenant, il y a tellement d’espoir. Je me réjouis de l’avenir. J’ai vraiment hâte de voir ce que la vie me réserve.»
De son côté, Kevin est partagé entre son désir de rester et l’impatience d’aller de l’avant. À La Forge, il a réussi à évacuer sa colère et son chagrin, lui qui a pourtant longtemps vécu dans le déni de son trouble post-traumatique – comme la plupart des participants d’ailleurs. Il a très envie de retrouver les siens, de partager avec eux tout ce que sa relation avec Merlin, son cheval, lui a apporté.
«Si un cheval peut me faire confiance pour le guider, alors je sais que ma famille peut compter sur moi à mon retour à la maison.»
Kevin a repris le travail en exprimant le souhait de servir de mentor aux plus jeunes policiers aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais inquiet aussi de la réaction de ses autres collègues, dont l’attitude face à la maladie mentale était plutôt négative. «Les plus jeunes m’ont approché, dit-il, mais à ma grande surprise, ceux-là mêmes que je craignais sont aussi venus vers moi pour me dire qu’ils souffraient en silence.» Kevin est ainsi devenu une sorte de guide dans un milieu où la maladie mentale est un sujet tabou.
Un mal trop répandu
L’état de stress post-traumatique (ESPT) touche 10% de la population, mais fait des ravages bien plus considérables dans certains corps de métier. Jusqu’à 32% des Canadiens faisant partie d’un groupe à risque élevé comme les militaires, les policiers et les travailleurs paramédicaux seront touchés par l’ESPT au cours de leur vie. Pour ne prendre que l’armée: 71% des vétérans canadiens qui reçoivent des prestations d’invalidité pour un problème de santé mentale sont touchés par l’ESPT. Chez les hommes vétérans, le risque de décès par suicide est 1,4 fois plus élevé que dans la population civile. Chez les femmes vétérans, ce risque est 1,9 fois plus élevé que celui de la population générale canadienne.
En 2019-2020, on comptait 34 765 vétérans souffrant d’un problème psychiatrique diagnostiqué, dont 24 538 ayant un ESPT.
Et le problème ne touche pas que les militaires: en 2016, une étude estimait à 70 000 le nombre de premiers répondants ayant souffert d’ESPT.
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