Pourquoi les femmes ne s’inquiètent-elles pas des maladies du cur?
Les maladies cardiovasculaires constituent la deuxième cause de mortalité chez les Canadiennes après le cancer, sans pour autant être perçues comme un sujet qui les touche. Il faut que ça change, selon la journaliste spécialisée en santé, Kerrie Lee Brown, qui a fait un infarctus à 39 ans.
J’avais 39 ans quand j’ai découvert que j’avais un problème avec mon cur. Je me souviens d’avoir ressenti un serrement violent autour de ma poitrine le matin de Noël. C’était nouveau pour moi et j’ai mis cela sur le compte du stress des fêtes.
Quelques semaines plus tard, après un voyage éclair en Floride en famille, j’ai vécu une série d’épisodes d’accélération de mon rythme cardiaque à trois ou quatre reprises durant la semaine. Ils étaient si violents qu’ils me laissaient pantelante. Au même moment, j’éprouvais de fréquents maux de tête et avais de la difficulté à monter et descendre les marches de l’escalier. Un matin au travail, j’ai eu une crise de panique alors que je faisais la queue à la cafétéria.
Un soir, j’ai eu la pire frousse de ma vie en mettant les enfants au lit: une douleur soudaine et intense, partie de l’épaule droite s’est propagée jusqu’au bout de mon bras, comme si quelqu’un m’avait frappée avec un bâton de baseball. J’ai ensuite ressenti une douleur insupportable dans le dos, ainsi qu’une sensation d’épuisement total. Mais je n’ai pas appelé l’urgence.
J’ai dit à mon mari que la douleur allait s’estomper et que je me sentirais mieux le lendemain. «J’ai juste besoin d’un peu de repos», lui ai-je répété les larmes aux yeux. Après tout, je sortais d’une semaine exigeante au travail, sans parler des quatre folles heures dans le trafic pour y aller et revenir. Ce ne pouvait être que le stress! En outre, je ne fume pas, et je suis trop jeune et en santé pour m’inquiéter de mon cur.
Quand j’y repense, je me dis que j’aurais dû me rendre à l’hôpital dès le début, mais j’étais dans le déni. Depuis cet incident, j’en suis venue à comprendre que tout le monde est à risque de cardiopathie ou d’AVC. J’ai eu de la chance. N’eût été ce sérieux coup de semonce, je n’aurais jamais passé les tests nécessaires, qui m’ont ultimement menée sur la table d’opération pour une chirurgie cardiaque en mars dernier.
D’où vient ce déni féminin de la maladie cardiovasculaire?
En 2011, plus de 33000 Canadiennes sont mortes à la suite d’un infarctus du myocarde ou d’un AVC. En comparaison, le cancer du sein a fait 11000 victimes.
On a du mal à imaginer qu’il y a plus de femmes que d’hommes qui meurent d’un AVC parce qu’elles n’arrivent pas à temps à l’hôpital. Pourquoi? Premièrement, parce que nous vivons dans une société sur l’accélérateur qui pousse les femmes à tout faire au travail, à la maison et dans leur vie sociale. D’autre part, les symptômes typiques peuvent s’apparenter aux petites douleurs qui font partie du quotidien de toutes les femmes et on n’y fait guère attention.
De plus, la plupart des gens associent les problèmes cardiaques au tabagisme, à l’obésité, à la surconsommation de café ou aux mauvaises habitudes alimentaires, mais pas aux femmes en bonne santé.
«Traditionnellement, les maladies cardiovasculaires sont considérées comme des ‘maladies d’hommes âgés’», nous dit Matthew Mayer, chercheur principal à la Fondation des maladies du cur et de l’AVC du Canada. «En conséquence, la recherche s’est intéressée pendant des années essentiellement aux hommes, ce qui a donné l’impression que les pathologies cardiaques étaient des ‘maladies d’hommes’».
Petit à petit, cette perception de la réalité change, ce qui est fondamental devant le fait que les maladies cardiaques et les AVC représentent aujourd’hui la deuxième cause de mortalité chez les Canadiennes et 140000 hospitalisations chaque année.
Ce que nous savons des maladies cardiovasculaires
Les 20 à 30 dernières années ont vu sans cesse plus de femmes sur le marché du travail qui s’occupent aussi de leur foyer, ce qui peut engendrer un niveau élevé de stress physique, mental et émotionnel.
«La maladie cardiaque et l’AVC se développent sur une longue période, mais on ne s’en rend compte que lorsqu’il nous arrive quelque chose de grave. Souvent, on vit avec sans le savoir parce qu’on n’a pas subi d’examen» explique Mayer. «On peut se sentir en parfaite santé un jour et se faire diagnostiquer un trouble d’arythmie le lendemain.»
Il ajoute: «Dans la nouvelle dynamique familiale, les femmes sont responsables de la maison comme de leur milieu de travail. Elles occupent, en fait, deux emplois à temps plein. Ça leur laisse moins de temps pour s’occuper d’elles. Elles devraient vraiment faire une pause pour se demander: ‘Est-ce que je prends bien soin de moi? ‘»
Une partie du problème vient du fait que nous appartenons à une génération qui se croit invincible ou indestructible. On veut tout faire et on ne pense jamais aux conséquences. Si on sent que quelque chose ne va pas dans notre corps, on l’ignore parce qu’on n’a pas le temps de passer des heures dans une salle d’urgence. On pense plutôt (pas nécessairement dans cet ordre) à faire l’épicerie, à notre plan de carrière, à chercher les enfants à l’école, à les conduire à leurs activités sportives et, s’il reste du temps, à prendre rendez-vous chez le coiffeur, à dorloter son homme, etc.
Ce comportement bien de notre époque doit changer. La recherche nous apprend que le taux d’AVC est en croissance chez les jeunes femmes et que le tabagisme demeure répandu chez les femmes et les jeunes professionnelles. Le stress n’est certes pas près de disparaître’
Santé et maladies cardiaques: Où on en est
Les spécialistes sont à mettre au point de nouveaux traitements et de nouvelles stratégies de prévention. La recherche est devenue prioritaire et elle se concentre davantage sur la condition des femmes. De fait, les chercheurs ont découvert que certains types d’AVC étaient plus répandus chez les femmes que chez les hommes, et on s’intéresse désormais à des problèmes spécifiques aux femmes.
Le corps des femmes est différent et la recherche doit refléter cela. La Fondation des maladies du cur et de l’AVC met de l’avant ces questions pertinentes de sorte que le fruit de ces recherches se traduise concrètement dans les programmes sur le terrain.
Heureusement, de nos jours, les professionnels de la santé sont plus conscients du problème, mais les médecins ne peuvent lire nos pensées. Il faut être honnête avec son médecin et lui donner toute l’information possible.
«En tant que patients, nous devons rester informés et prendre en main notre santé. Si vous ne dites pas à votre médecin que vous fumez ou que vous ne faites pas assez d’exercice, il ne vous prescrira pas les tests nécessaires», ajoute Mayer.
Maladies cardiovasculaires: Pourquoi les femmes ignorent les signes avant-coureurs?
Les femmes ignorent souvent les signes précurseurs de l’infarctus du myocarde ou de l’AVC. Nous ignorons trop facilement les symptômes. Et comme le cur n’est pas visible, nous ne pensons pas à son fonctionnement jusqu’à ce qu’un problème se présente.
Nous sommes portées à croire que ces sensations bizarres dans la poitrine, le ventre ou le bas du dos sont provoquées par une indigestion ou des brûlures d’estomac, des malaises qu’on peut guérir soi-même. C’est pourquoi il arrive souvent que des cardiopathies soient mal diagnostiquées parce que les femmes minimisent ce qui leur arrive.
Tanya Lee, docteure en naturopathie au Centre de santé de Milton en Ontario, dit que la maladie du cur n’est pas dans la mire des femmes parce qu’elles ne connaissent pas bien les facteurs qui y contribuent. Elle ajoute que les femmes, les plus jeunes en particulier, ne se préoccupent pas des risques de maladies cardiovasculaires parce qu’elles ne font pas d’hypercholestérolémie.
«Il est admis depuis des décennies que le cholestérol est pour le public un facteur important et un repère. Mais on sait aujourd’hui qu’il n’est plus le seul facteurde cardiopathie, nous dit la Dre Lee. L’inflammation se présente de plus en plus comme le facteur prépondérant dans le développement des pathologies cardiaques. Même si votre taux de cholestérol est contrôlé, le risque de cardiopathie est toujours élevé dans un environnement favorisant l’inflammation. Quelles sont les causes d’inflammation? La mauvaise alimentation, le manque d’exercice, le stress et les carences vitaminiques.»
Un exemple d’un de facteurs possibles est une carence en vitamine D que les chercheurs retrouvent chez les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires.
Les symptômes de l’infarctus du myocarde
La Dre Melissa Hershberg, fondatrice de la Clinique de santé U de Toronto, dit comprendre pourquoi les hommes et les femmes réagissent différemment. «Les hommes ont tendance à présenter les symptômes classiques associés à l’infarctus: une intense douleur thoracique, souvent décrite comme si la poitrine était écrasée par un éléphant, qui d’habitude se propage le long du bras gauche. Les femmes présentent des symptômes souvent moins intenses qui risquent de passer inaperçus.»
Elles peuvent ressentir une très grande fatigue, de la nausée, de l’essoufflement, des étourdissements ou des douleurs à la poitrine aussi bien du côté gauche que droit, au centre ou à l’abdomen. Il peut n’y avoir aucune douleur pectorale.
Pourquoi une telle différence? «Des études démontrent que les pathologies cardiaques sont différentes chez les femmes parce qu’elles ont rarement un blocage d’une des artères majeures. Elles présentent plutôt un dépôt de plaque dans les petites artères coronaires ralentissant la circulation sanguine et se traduisant par des symptômes plus subtils», explique la Dre Hershberg.
La plupart des experts disent que les femmes doivent prendre leur santé en main, se tenir à l’affût des facteurs de risque sur lesquels on peut agir comme la pression artérielle, le cholestérol, la glycémie, l’obésité (abdominale en particulier) et le tabagisme.
Si vous ressentez un essoufflement, des étourdissements ou une grande fatigue (même sans douleur pectorale), prévient la Dre Hershberg, vous devriez consulter immédiatement votre médecin. «Ces signes pourraient être des symptômes de cardiopathie. Aussi, si quelqu’un dans votre famille a fait un infarctus ou un AVC avant l’âge de 65 ans, vous devez en parler à votre médecin, car cela pourrait impliquer un risque accru au plan génétique».
Les experts admettent qu’il serait injuste de mettre toute la responsabilité sur les femmes. Bien que les professionnels de la santé aient fait d’énormes progrès, nous dit Mayer, il reste du travail à faire dans tout le système de santé. «Il faut de meilleurs instruments et de meilleures thérapies pour aider les praticiens à diagnostiquer les femmes qui souffrent de problèmes cardiaques et les traiter, car on sait maintenant que les femmes sont différentes des hommes en matière de santé cardiovasculaire.»
«La recherche est au cur de ces changements qui exigent temps et argent. De plus, le chemin est long entre le laboratoire et le chevet du patient et celui de la recherche à la mise en pratique: il faut progresser, mais efficacement et sécuritairement.»
La Dre Lee ajoute: «Je ne crois pas que les femmes doivent assumer toute la responsabilité. C’est aux médecins qu’il revient de mettre à jour les dernières informations et de les communiquer à leurs patientes.»
Réduisez vos risques de cardiopathie et d’AVC
Cela dit, la meilleure chose que les femmes peuvent faire est d’apprendre à décoder les signes avant-coureurs d’infarctus et d’AVC. Sentir que quelque chose ne va pas peut être un indice important: prenez un moment pour faire la part des choses. Consultez un médecin rapidement et passez les tests qui s’imposent.
La Dre Hershberg explique à ses patientes que les cinq premiers gestes qu’elles doivent poser pour réduire leurs risques cardiaques sont : cesser de fumer, réduire leur cholestérol, adopter un régime alimentaire sain pour le cur, abaisser leur pression artérielle et passer des tests préventifs en présence de facteurs de risque ou d’antécédents familiaux cardiovasculaires.
Vous pouvez également faire un bilan gratuit en ligne sur le site de la Fondation des maladies du cur et de l’AVC du Canada.Vous saurez en environ 10 minutes si vous êtes une personne à risque. Encouragez vos amies à en faire autant. Nous, les femmes, devons être attentives aux pathologies cardiaques autant qu’aux autres problèmes graves de santé.