Maladie de Lyme: fatigue, éruption cutanée et palpitations cardiaques
Vera a des symptômes de la maladie de Lyme, vit dans une zone infestée et a plus de 50 ans, mais son cas est inhabituel…
La patiente: Vera*, 56 ans, professeure d’activité physique
Les symptômes: éruption cutanée, fatigue, palpitations cardiaques
Le médecin: Dr Adrian Baranchuk, cardiologue au centre des sciences de la santé de Kingston, en Ontario
Vera est une prof de sport pleine d’énergie qui paraît nettement plus jeune que son âge. Elle aime courir dans les sentiers aux environs de Kingston, la ville où elle vit. À l’été 2018, en traversant une zone broussailleuse, elle a ressenti une piqûre à l’épaule droite. Comme les tiques pullulent dans la région, elle s’est soigneusement examinée en rentrant. Aucune trace d’insecte.
Les jours suivants, elle se sent courbatue, comme si elle faisait une petite grippe. Elle remarque aussi une rougeur grandissante sur son cou et son épaule droite. Au centre des sciences de la santé de Kingston, où elle va se faire examiner, elle parle de la piqûre. La rougeur ne ressemble pas à l’éruption cutanée concentrique caractéristique des morsures de tique; l’urgentiste diagnostique donc une cellulite, infection cutanée courante après une piqûre ou une morsure d’insecte. Rassurée, la patiente rentre chez elle avec une provision d’antibiotiques.
Faites attention à ces symptômes qui pourraient signaler une maladie grave.
La rougeur finit par s’estomper, mais Vera ne se remet pas pour autant. Elle se sent étourdie et a des palpitations cardiaques. Au début, elle fait comme si de rien n’était, même si la fatigue l’empêche de courir comme d’habitude, mais elle en arrive à se sentir épuisée rien qu’en pliant du linge. Quinze jours après sa première consultation, elle est de retour à l’urgence.
Un électrocardiogramme (ECG) révèle qu’elle souffre d’un léger mais inexplicable bloc cardiaque. Ce ralentissement des signaux électriques du cœur peut être causé par le vieillissement ou une maladie de l’artère coronaire et s’aggrave souvent avec le temps. Le Dr Adrian Baranchuk est appelé en renfort. «Ce qui m’a d’abord frappé chez Vera, se souvient-il, c’est qu’elle était jusque-là en parfaite santé et en excellente forme. Ça n’avait aucune raison d’être.»
Un bloc cardiaque peut avoir une cause inflammatoire comme la sarcoïdose, une maladie auto-immune, mais une piqûre peut aussi expliquer les symptômes. Les tiques transmettent la bactérie qui donne la maladie de Lyme dont les symptômes, au début, ressemblent à ceux de la grippe. Si elle n’est pas soignée, elle provoque des complications plus graves, notamment des douleurs articulaires, de la faiblesse musculaire, parfois même une inflammation du foie.
Dans moins de 10% des cas, surtout chez les hommes jeunes, il se produit une atteinte cardiaque qu’on appelle la cardite de Lyme. Adrian Baranchuk en a traité environ une douzaine, et tous ses patients étaient des hommes. La photo de l’éruption cutanée que lui a montrée Vera n’est pas probante.
«Elle n’avait absolument pas l’apparence d’une cible», explique le médecin. Les cercles concentriques sont le résultat d’une double réaction, l’une à la salive de la tique, l’autre à la propagation de la bactérie. Les médecins fondent leur diagnostic là-dessus, mais le Dr Baranchuk sait que, selon diverses études, au moins le quart des éruptions cutanées produites par la maladie ne correspondent pas à ce modèle. Il ne peut donc pas exclure la maladie de Lyme.
Une rougeur en forme de cible fait partie des taches et lésions sur votre corps que vous devez prendre au sérieux.
Un bloc cardiaque qui n’est pas soigné peut s’aggraver rapidement et provoquer un arrêt cardiaque. Si Vera souffre d’une cardite de Lyme, il suffirait peut-être de lui administrer très vite des antibiotiques par voie intraveineuse pour corriger le problème. S’il est trop tard, par contre, ou si elle souffre d’autre chose, elle aura besoin d’un stimulateur cardiaque.
Le médecin ne veut pas en arriver là. «Un stimulateur, c’est très bien en cas de défaillance électrique du cœur, mais ça vous condamne à vivre avec un implant cardiaque jusqu’à la fin de vos jours.»
Il n’a pas le temps de faire les tests diagnostiques de la maladie, mais il vient de publier avec d’autres un article sur un outil diagnostique, le SILC (Suspicious Index in Lyme Carditis), pouvant aider les médecins à éviter l’implantation non nécessaire d’un stimulateur. Vera a des symptômes de la maladie de Lyme, vit dans une zone infestée, mais n’a pas eu d’éruption concentrique, n’est pas un homme, a plus de 50 ans et n’a pas vu de tique.
Au total, la probabilité d’une cardite est faible, mais il y a un autre facteur à considérer. «J’avais affaire à une femme persuasive qui me disait: j’ai ressenti quelque chose comme une piqûre de tique et j’ai fait une éruption cutanée précisément là, se rappelle Adrian Baranchuk. C’est ça qui m’a paru le plus important.»
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Il décide d’hospitaliser Vera et de lui administrer des antibiotiques tout en régulant son rythme cardiaque – le stimulateur attendrait. Même s’il s’agit d’une cardite de Lyme, il pourrait s’écouler jusqu’à une semaine avant que les antibiotiques ne produisent leurs premiers effets, s’ils en ont. Or, le bloc cardiaque de Vera s’aggrave de jour en jour. Le médecin demande qu’on lui fasse un ECG toutes les quelques heures. «Je n’arrêtais pas de penser à elle.
J’appelais les résidents de garde la nuit pour vérifier comment elle allait.» Pendant cinq jours, l’état de Vera se dégrade. «Je commençais à penser que nous allions devoir installer un stimulateur malgré tout.» Le Dr Baranchuk reste stupéfait de la résistance de sa patiente. «À sa place, j’aurais été au lit, convaincu de mourir dans la minute suivante, raconte-t-il, mais elle a l’habitude des sports d’endurance et des efforts violents. Son cœur battait peut-être à 30 pulsations à la minute, mais elle marchait quand même dans le couloir.»
Le sixième jour, le cœur de Vera donne enfin des signes d’amélioration. Moment exquis pour le médecin et sa patiente: ils ont échappé à l’opération. Peu après, le résultat du test diagnostique tombe: maladie de Lyme.
Retrouvant sa vigueur coutumière, Vera brûle désormais de rentrer chez elle. Dès que son cœur le lui permet, elle se soumet à une épreuve d’endurance sur tapis roulant et la réussit. Douze jours après son hospitalisation, elle rentre chez elle avec des antibiotiques à prendre par voie orale. Un suivi effectué six semaines plus tard ne révèle rien d’inquiétant.
«Nous avons troqué une vie de troubles cardiaques contre trois semaines d’antibiotiques», conclut Adrian Baranchuk. Il est content d’avoir cru Vera malgré tous les indices contraires. «Son cas aurait pu devenir catastrophique, reconnaît-il. Ici, nous devons toujours garder en tête que nous pratiquons dans une région où sévit la maladie de Lyme.
Si j’entends le mot tique, j’ouvre grand les yeux et je regarde bien.»