Je suis fatigué, j’entends mal et ma vue baisse: qu’est-ce que j’ai docteur?
Vous avez peut-être déjà entendu son histoire: Jérôme a failli perdre la vue à cause de son alimentation. C’est lors d’un examen approfondi de l’œil que les médecins ont pu découvrir l’origine de son problème.
Le patient: Jérôme*, un adolescent étudiant en génie
Les symptômes: fatigue, perte d’acuité visuelle et auditive
Le médecin: Denize Atan, neuro-ophtalmologiste à l’hôpital pour les yeux de Bristol, au Royaume-Uni
*Les détails biographiques ont été modifiés.
Jérôme, un sympathique garçon de Bristol, a toujours aimé jouer à des jeux vidéo avec ses amis, faire du skateboard avec ses deux frères et assister à des matchs de soccer avec ses parents. À 14 ans, cependant, il devient moins actif. Il se couche plus tôt. Lors des randonnées à vélo, il doit s’arrêter pour reprendre son souffle. «Il s’essoufflait même en marchant, se rappelle sa mère Mariel. Cela m’inquiétait.»
Elle l’emmène chez son médecin, qui fait faire une analyse sanguine et découvre ainsi une carence en vitamine B12 pouvant expliquer cette fatigue. Il prescrit des injections de cette vitamine et recommande à Jérôme de suivre un régime plus équilibré.
Ce n’est pas évident, car le jeune homme est capricieux. Une fois, il a à peine mangé pendant les deux jours d’une sortie scolaire parce qu’il n’aimait pas ce qu’on lui servait.
À 15 ans, il commence à mal entendre. Sa vue semble aussi se dégrader: il tient son téléphone plus près de son visage et grossit souvent les caractères à l’écran pour arriver à lire.
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Un otorhinolaryngologiste (ORL) ne relève rien d’anormal et adresse Jérôme à un ophtalmologiste spécialisé dans la détection des maladies héréditaires qui peuvent se manifester par ces deux symptômes. Il conseille à l’adolescent de baisser le volume dans son casque – mais Jérôme n’a pas l’habitude de mettre la musique à tue-tête.
L’ophtalmologiste ne remarque rien d’anormal dans les yeux du garçon. Puisque ni les oreilles ni les yeux ne semblent abîmés, les médecins concluent que les symptômes physiques peuvent traduire de l’anxiété ou une dépression. Perplexe, mais convaincue qu’il y a bien une cause physiologique, la famille commence à penser qu’on ne la croit pas.
Les symptômes s’aggravent. En 2017, Jérôme, désormais âgé de 17 ans, doit s’asseoir au tout premier rang dans la classe pour entendre et voir ses professeurs. Un jour, il rate l’autobus qui le ramène chez lui parce qu’il n’a pas pu lire le numéro.
À court d’idées, l’ophtalmologiste suggère à Jérôme de consulter la Dre Denize Atan, spécialiste des troubles oculaires d’origine neurologique. La famille se remet à espérer.
Denize Atan trouve que l’adolescent a l’air en bonne santé. «La taille était normale, le teint, un peu pâle», se souvient-elle. Elle constate une nette détérioration de la vision centrale, impossible à corriger avec des lunettes. En réalité, Jérôme voit si peu qu’il ne peut même plus reconnaître la plus grande lettre dans le haut d’un tableau de vue. La spécialiste découvre aussi que sa perception des couleurs a diminué. Ce genre de dégradation est en général causé soit par une anomalie de la macula, la partie centrale de la rétine, soit par une lésion du nerf optique. Mais aucun de ces deux organes ne semble atteint.
Un examen qui mesure l’épaisseur de certaines parties de l’œil en faisant passer un rayon lumineux à travers a enfin livré un indice qui a échappé aux autres spécialistes. Le nerf optique de Jérôme est anormalement mince. Un test utilisant des électrodes révèle ensuite qu’il ne fonctionne pas correctement. Dans la foulée, la Dre Atan constate que même les réflexes articulaires de Jérôme sont anormaux, signe d’un problème neurologique généralisé.
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Pour la Dre Atan, ces constatations sont très utiles. «Il n’y a pas grand-chose qui puisse causer un dysfonctionnement du nerf optique affectant la vision centrale. Les causes les plus courantes sont nutritionnelles.» Certaines maladies héréditaires pouvant produire des symptômes similaires, la médecin fait faire des analyses génétiques (qui se révèlent négatives quelques mois plus tard). Entre-temps, elle fait un test bien plus simple: elle demande au jeune homme ce qu’il a mangé au cours des 24 dernières heures.
La réponse la consterne. Jérôme se nourrit essentiellement de frites, de croustilles, de pain et de charcuterie. Sélectif depuis sa petite enfance, il est devenu incapable de supporter la plupart des textures alimentaires. Il ingère assez de calories pour ne pas maigrir, mais se prive de nutriments essentiels depuis des années.
La Dre Atan lui prescrit des examens pour exclure un syndrome de mal–absorption, mais elle est presque certaine que son état est dû à son régime alimentaire. Les résultats des analyses confirment la carence en vitamine B12 et révèlent des déficiences des autres vitamines B. Comme ces nutriments opèrent de concert pour préserver la santé des nerfs, cet ensemble de carences a eu un effet dévastateur. «Sans traitement, son état se serait dégradé davantage, et il aurait développé des troubles moteurs et sensoriels aux jambes, dit la Dre Atan. Les patients peuvent même souffrir de troubles cognitifs et psychologiques.»
Faites attention à ces signes silencieux de carence en vitamine B12.
Jérôme a d’autres carences, notamment en vitamine D, ce qui a altéré sa densité osseuse. Il commence à prendre des compléments alimentaires et rencontre un diététicien de même qu’un spécialiste de la phobie alimentaire.
«Quand je pense à tout ce que nous avons enduré pour essayer de comprendre ce qui n’allait pas, je suis vraiment contente d’avoir consulté la Dre Atan», dit sa mère. La vue et l’ouïe de Jérôme ne redeviendront peut-être jamais normales, mais elles ne se dégradent plus. Il porte des prothèses auditives et s’y est habitué.
La plupart des médecins de famille ne demandent pas à leurs patients comment ils se nourrissent, observe Denize Atan. «Quand beaucoup de fonctions sont affectées simultanément et que la cause reste une énigme, c’est facile de conclure à une maladie génétique inconnue, mais le problème peut être nutritionnel – et moins vous posez de questions sur l’alimentation, moins vous en savez!»
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