Le cas d’Éva
La patiente: Éva*, secrétaire, 36 ans
Les symptômes: démangeaisons intenses en permanence
Le médecin: Dre Laurence Toutous Trellu, dermatologue aux hôpitaux universitaires de Genève
*Les détails biographiques ont été modifiés.
Au printemps 2015, Éva et son mari n’avaient pas vraiment l’intention de quitter leur confortable appartement de Genève, en Suisse, où ils étaient installés depuis des années. Mais quand Éva a commencé à avoir des démangeaisons sur tout le corps, jusqu’à se réveiller la nuit pour se gratter, et que des lésions sont apparues sur sa peau, son médecin de famille a soupçonné une infestation de punaises. Éva n’en avait pourtant pas remarqué, et son mari ne s’était plaint d’aucune piqûre. Néanmoins, ils ont fait venir des exterminateurs.
Cela ne change rien, et l’anxiété d’Éva monte en flèche. Les démangeaisons, insupportables et constantes, affectent son sommeil. Poussé à bout, le couple préfère déménager. Mais les démangeaisons ne cessent pas pour autant.
Le médecin d’Éva procède à quelques simples analyses sanguines, dont une pour vérifier sa fonction rénale, une autre ses enzymes hépatiques. Il lui fait aussi passer une radio des poumons. Les trois examens se révèlent normaux, Éva a juste un niveau un peu élevé d’immunoglobuline E (IgE), un anticorps parfois associé aux allergies. Sauf que les antihistaminiques ne la débarrassent ni des démangeaisons ni des éruptions; pas plus que les crèmes aux stéroïdes. Incapable de dormir, de cesser de se gratter, et encore moins de se concentrer au travail, Éva se résout à contrecœur à se mettre en congé de maladie.
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Apparition de nodules cutanés
Quatorze mois après le début des premiers épisodes de démangeaison, Éva voit apparaître sur ses bras, ses jambes, son dos et ses fesses des nodules cutanés. Cette éruption, un prurigo nodulaire, se développe parfois après une longue période de grattage. Les causes sous-jacentes en sont multiples: elle peut être associée, entre autres, à une maladie rénale ou à une anémie, mais l’anxiété et la dépression peuvent aussi la déclencher. Comme Éva semble plutôt en bonne santé, son médecin émet l’hypothèse que l’anxiété suscitée par les périodes de grattage du début a dégénéré en démangeaisons chroniques incontrôlables.
Éva est envoyée au service de dermatologie des hôpitaux universitaires de Genève où on la teste à nouveau pour savoir si elle souffre d’allergies. «Cet examen cutané permet d’éliminer tout ce qui touche à l’environnement du patient», explique la Dre Laurence Toutous Trellu, médecin-chef de ce service. Le test est négatif. Et comme le prurigo nodulaire réagit aussi bien à la photothérapie à UVB qu’aux antidépresseurs, on lui fait essayer les deux. Sans aucun résultat.
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Un défi à relever
Personne ne baisse les bras pour autant. «Lorsqu’un cas de ce type constitue un véritable défi pour le médecin, il arrive que celui-ci finisse par s’en désintéresser, ce qui décourage le patient, note la Dre Trellu. De nombreux patients qui souffrent d’une maladie chronique de la peau consultent un dermatologue après l’autre.»
Au contraire, dans sa clinique, la Dre Trellu opte pour une approche systématique, et Éva se sent écoutée et soutenue, même si elle n’arrive toujours pas à dormir ni à envisager de retourner travailler. Alors, dans l’espoir de calmer ses démangeaisons, elle se soumet à une cryothérapie et se laisse enfermer dans une pièce où la température est maintenue en permanence sous zéro. Les bienfaits de la cryothérapie ne sont pas prouvés et elle n’est pas complètement sûre – elle peut, par exemple, aggraver un problème cardiaque –, mais Éva se sent provisoirement soulagée. Mais toujours pas guérie.
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Le bon diagnostic
Six mois plus tard, les nodules sur sa peau commencent à la faire souffrir. Elle se sent aussi extrêmement fatiguée et a des frissons la nuit, ce qui peut être le signe d’une maladie systémique. Son médecin de famille lui prescrit un corticoïde, un puissant anti-inflammatoire parfois efficace contre le prurigo nodulaire quand les autres traitements ont échoué. Mais au bout de deux semaines, Éva est de nouveau dans le cabinet de sa dermatologue, plus souffrante que jamais.
En l’examinant, la Dre Trellu note quelque chose de nouveau: un ganglion lymphatique enflé sur la poitrine d’Éva, près de son épaule. Inquiète, elle lui fait passer une nouvelle radiographie du thorax qui révèle la présence de plusieurs ganglions gonflés. Au scanner, ces grosseurs ressemblent à s’y méprendre à un cancer.
En effet, la biopsie de plusieurs de ces nodules conduit à un diagnostic limpide. Éva souffre d’un lymphome scléronodulaire de Hodgkin, un cancer du système immunitaire. Ce cancer se rencontre surtout chez des patients de 15 à 35 ans, mais il est très rare: en Europe et aux États-Unis, on dénombre seulement trois cas sur 100 000 personnes par année. Il est presque impossible à diagnostiquer.
Les soins adaptés
«Quand on ne trouve rien, les raisons psychologiques viennent en renfort», reconnaît la Dre Trellu. Mais même un patient qui souffre de problèmes mentaux peut avoir une maladie sous-jacente qui provoque des démangeaisons, fait-elle remarquer, justifiant ainsi combien il est important de continuer à en chercher les causes. «Pas question de passer à côté d’un diagnostic de lymphome chez un patient psychiatrique!»
Par chance, le cancer d’Éva en est encore à un stade précoce et, à la suite de sa première séance de chimiothérapie, les démangeaisons et la douleur diminuent considérablement. Les lésions sur sa peau commencent à cicatriser.
Éva termine sa chimio en octobre 2017 et continue à voir l’oncologue tous les six mois. Elle a plus d’énergie et a repris son travail. «J’ai encore parfois l’impression qu’une fourmi me trotte sur la peau et j’ai envie de me gratter», dit-elle, tout en admettant que c’est une sensation que tout le monde éprouve à l’occasion. Mais à elle, ça lui rappelle la longue et pénible épreuve qu’elle a traversée. «J’espère que mon histoire sensibilisera autant les professionnels de la santé que les patients», conclut-elle.
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