J’avais récemment planifié une journée avec mon jeune garçon.
Mais j’avais aussi une échéance professionnelle.
Je pensais pouvoir tout faire ; j’avais tort.
Après des virées peu enthousiastes au terrain de jeux, trop de télé, une histoire bâclée au coucher et plein de caprices, je me suis effondrée à la cuisine pour envoyer d’autres courriels, consternée de ne pas plutôt appeler mon grand-père ou payer toutes mes factures.
Je serais normalement la première à me reprocher ma mauvaise gestion du temps mais, la veille, je m’étais rendu compte que je n’étais pas une mère dépassée ou négligente par nature. J’étais soumise au joug du « facteur de rareté ».
Dans leur livre Scarcity : Why Having Too Little Means So Much, le psychologue de la cognition Eldar Shafir et l’économiste Sendhil Mullainathan expliquent que la perception d’un manque – de nourriture, d’argent ou, dans mon cas, de temps – nous absorbe tellement que cela affecte notre pensée, bien plus que les soucis ou le stress : « La rareté accapare l’esprit, qui se tourne alors automatiquement et avec force vers les besoins non satisfaits », écrivent-ils.
Les deux auteurs ont découvert que, dans des circonstances variées, les effets psychologiques de la rareté étaient très semblables : une vision atrophiée, focalisée sur le besoin immédiat (le respect de la date butoir), avec des conséquences potentiellement négatives à long terme, pour avoir négligé d’autres sphères importantes de nos vies et pris de mauvaises décisions pour l’avenir.
« Imaginez-vous en voiture, une nuit de tempête, illustre M. Shafir. Vous conduisez prudemment, si concentré sur la route devant que vous n’êtes plus vraiment conscient de votre environnement : vous serez moins enclin à voir les panneaux ou à écouter vos passagers, et vous pourriez même négliger des choses importantes, comme un véhicule arrivant du carrefour, sur votre droite. »
Voici quelques-unes des découvertes de MM. Shafir et Mullainathan sur l’impact parfois surprenant de la rareté sur nos vies.
Régime et distraction
Troisième jour de régime et vous ne pensez qu’à cet en-cas dans votre tiroir. Vous devez appeler l’enseignant de votre enfant, mais son nom vous échappe. Puis un client vous contacte pour vous reprocher l’envoi d’un courriel non sécurisé avec des renseignements confidentiels. Ne sous-estimez pas le facteur de rareté : votre obsession pour ce que vous pouvez ou non manger a altéré vos facultés cognitives.
Une étude a montré qu’il fallait 30 % plus de temps à des gens au régime pour repérer le mot « nuage » comparativement au mot « beignet » dans une grille de mots mêlés. Intelligence fluide, capacité cognitive et contrôle exécutif relèvent de ce que MM. Shafir et Mullainathan appellent la bande passante mentale. La rareté affecte notre raisonnement, le contrôle de nos pulsions et la clarté de notre pensée.
Les effets des soucis d’argent
À court terme, si vous manquez d’argent, vous savez sans doute tirer le meilleur parti de chaque dollar. Il a été prouvé que les gens démunis évaluaient mieux la valeur des choses et les bonnes affaires. Toutefois, une vision atrophiée par la rareté affecte la prise de décision à long terme. Même la crainte d’un manque financier peut altérer la faculté de raisonnement : lors d’une étude, des étudiants mis au fait d’une situation hypothétique comportant l’obligation de payer une grosse facture ont beaucoup moins bien réussi un test de QI.
Date butoir et hausse de productivité
La rareté a bien un avantage, qui explique pourquoi les gens qui réussissent font souvent les choses à la dernière minute. « Quand l’esprit est obnubilé par la rareté, on devient plus attentif et efficace », expliquent MM. Shafir et Mullainathan. L’esprit rivé sur la tâche à accomplir, nous sommes moins enclins aux erreurs d’inattention et plus réceptifs aux inspirations soudaines. C’est la vertu de la focalisation. Mais il ne faut pas, lors de ces élans de progrès, oublier les questions personnelles, garantes de notre équilibre de vie. Comme une journée avec mon fils.