Les chiffres révèlent que 48% des aînés canadiens naviguent sur le web. Environ la moitié des internautes américains du même âge utilisent des réseaux sociaux comme Facebook. Et tout laisse croire que ce genre d’activité comporte d’autres avantages : une étude de l’Université de l’Arizona montre que les aînés qui utilisent régulièrement Facebook dépassent de 25% le résultat moyen aux tests de capacité cognitive. L’âge d’or est la catégorie d’abonnés aux réseaux sociaux qui connaît la plus forte croissance, mais cela tient sans doute au fait qu’il est le dernier groupe à monter à bord de ce train. La subite notoriété des internautes du troisième âge signifie qu’ils seront bientôt appelés à rallier les divers réseaux sociaux. Je voudrais leur dire que le bavardage médiatique de ces dernières années sur ce sujet n’a pas levé tous les secrets d’internet.
À l’approche de l’âge mûr, je constate que les contemporains de mes parents sont intimement persuadés qu’une mystérieuse fracture générationnelle les empêchera toujours de comprendre le fonctionnement des réseaux sociaux. De là leur peur tenace de se perdre dans le maquis virtuel. Si jamais ils s’y aventurent, croient-ils, ils diront ou feront quelque chose qui provoquera des roulements des yeux. Voici donc le premier secret bien gardé des médias sociaux: tout le monde en a peur.
Ce n’est pas l’âge qui détermine les technologies qu’on apprivoise ou pas. J’ai dîné récemment avec une jeune actrice et productrice qui se plaignait amèrement de devoir s’abonner à Twitter pour des motifs professionnels parce qu’elle n’avait jamais rien de drôle à partager. Je connais beaucoup de gens de mon âge qui détestent Facebook et s’en servent uniquement pour joindre quelqu’un ou répondre à un message. Ils éprouvent la même répugnance que la génération de mes parents, sauf que les baby-boomers imputent leur blocage à leur âge plutôt qu’à leurs goûts.
Le deuxième secret bien gardé des réseaux sociaux, c’est que tout le monde s’en sert pour à peu près les mêmes raisons. Les aînés s’abonnent souvent pour rester en contact avec leurs enfants, neveux, nièces et petits-enfants. Nous en parlons comme si c’était seulement bon pour les vieux alors que beaucoup de gens plus jeunes s’abonnent pour exactement la même raison. Contrairement à ce que vous avez peut-être lu ici et là, les réseaux sociaux ne sont pas le kabuki de l’âme exhibitionniste où paradent des jeunes sans pudeur. La vérité est plus simple : la plupart des gens utilisent ces services pour garder contact discrètement, savoir ce que deviennent leurs proches sans devoir leur téléphoner tous les soirs. Oui, les messages des ados sont en général plus emphatiques que ceux des gens de 30, 50 ou 75 ans, mais il faut que jeunesse se passe. Plus grand sera le nombre d’aînés dans ces échanges, plus la conversation paraîtra intéressante aux gens de leur âge.
Passons au dernier secret des réseaux sociaux : tout le monde s’en sert à sa manière. Les novices, jeunes ou moins jeunes, qui ne sont pas sûrs de s’y prendre correctement présument qu’il y a une «bonne» manière de procéder. Or en fait, il n’y en a pas. Même les internautes chevronnés ont leurs préférences. J’utilise constamment Twitter et j’évite Facebook, mais beaucoup de gens sont adeptes des deux. Les jeunes migrent de plus en plus vers Instagram. Et puis, il y a des gens qui n’écrivent jamais, mais lisent avidement ce qui se publie en ligne. Ma mère, par exemple, suit toute une collection de commentateurs sur Twitter – écrivains, lecteurs, proches parents -, mais ne leur répond jamais. Elle les lit sans jamais éprouver le besoin d’intervenir.
Elle a mis plusieurs mois à déchiffrer le jargon souvent obscur de Twitter, mais depuis qu’elle le maîtrise, elle est une observatrice attentive des remous et courants de la conversation véhiculée par son réseau. Les médias sociaux n’encouragent pas la lecture pure, car ils préfèrent que leurs abonnés publient images et messages en quantité, mais rien n’interdit de faire tapisserie. C’est une belle façon de participer.
On oublie trop facilement que le web n’a pas été inventé par des jeunes de 13 ans, mais par des membres de l’actuelle génération de l’âge d’or. Je ne me permettrais pas de forcer la main d’un aîné indifférent, mais de grâce, n’allez pas croire que l’âge puisse empêcher les aînés d’utiliser cette technologie. Après tout, rien n’interdit au troisième âge de revendiquer sa place dans un réseau que sa propre génération a créé !