Le mariage a-t-il encore sa raison d’être?
Nous posons la question sur la pertinence de cette institution à l’experte Lisa Strohschein.
Les statistiques confirment le déclin du mariage au Canada. Est-il promis à la disparition?
Dans les années 1980, 85% des couples canadiens étaient mariés. Aujourd’hui, ils sont environ 77% [mais seulement 57% au Québec – ndlr]. À bien examiner les choses, ce déclin traduit pourtant moins un rejet du mariage qu’une voie moins directe d’y arriver. Jusque-là, les jeunes vivaient chez leurs parents puis se mariaient. De nos jours, les multiples possibilités et obstacles rendent le passage plus sinueux. Le mariage a fortement décliné chez les 20-29 ans: entre les années 1970 et aujourd’hui, l’âge de mariage moyen est passé de 23 ans à 30. La plupart des jeunes envisagent de se marier, mais ils attendent.
Bien qu’elles soient moins populaires, certaines demandes en mariage se démarquent. Découvrez cette demande en mariage vraiment originale.
Et qu’attendent-ils?
Pour le sociologue américain Andrew Cherlin, le mariage, qui a longtemps été la porte d’entrée dans la vie adulte, est aujourd’hui souvent vécu comme sa clé de voûte. On se marie quand les autres cases ont été cochées – formation, carrière, épanouissement personnel. En Norvège et en Suède, par exemple, le phénomène est particulièrement prononcé : près d’un mariage sur cinq est célébré quand le couple a déjà deux enfants. Ce qui signifie qu’on souligne ce qui est accompli plutôt que de promettre ce qu’on devrait accomplir.
Parmi les pays membres du G7, le Canada est premier pour les unions de fait. Qu’est-ce que cela nous dit?
Cette réalité statistique s’explique en bonne partie par la popularité des unions de fait au Québec, ce que les démographes dérivent de la Révolution tranquille et de la perte du pouvoir de l’Église sur la population francophone. Cela aurait éloigné de l’institution du mariage dès les années 1960. Mais le plus important à prendre en considération reste le plus grand nombre d’options qui s’offrent aujourd’hui à nous.
En quoi la fonction du mariage a-t-elle changé?
Depuis la nuit des temps jusqu’à il y a moins d’un siècle, le mariage a eu un pouvoir de renforcement ou de consolidation. Songez à la série Le trône de fer! Il a longtemps consisté dans un arrangement économique par lequel la propriété d’un homme (un père) était transférée à un autre (un mari). Les femmes attendaient des hommes qu’ils assurent protection et subsistance, et les hommes que les femmes entretiennent le foyer.
Le mariage rattachait en outre l’individu au groupe. Dans les sociétés plus individualistes actuelles, il est vécu comme une forme d’accomplissement personnel. L’idée de l’amour comme ciment de la relation ne s’est popularisée qu’au XIXe siècle. Elle est formidable, mais qu’arrive-t-il quand soufflent les inévitables vents contraires? Jadis, on serrait les dents et on endurait; aujourd’hui, être malheureux s’accompagne d’un sentiment d’échec.
Mais sans nécessité économique et menacé par des attentes irréalistes, à quoi bon le mariage?
Il normalise l’engagement et le soumet à l’approbation de la famille et des amis. Une fois reconnus par la loi, quantité de mariages ont été célébrés chez les couples LGBTQ2S+, ce qui tend à prouver que l’institution tient bon. L’accès aux mêmes droits et protections juridiques l’explique en partie, mais l’amour en reste la raison principale.
Vous avez étudié l’impact du genre sur le mariage et ses avantages. Qu’en est-il?
L’idée que l’homme hétérosexuel sortait gagnant du mariage a commencée à être étudiée dans les années 1970. La chose était vraie à l’époque. Quand le mariage échouait, l’homme pouvait toujours compter sur une vie professionnelle source de satisfaction et de succès, là où la femme était coincée. L’horizon des femmes a fini par s’élargir et l’inégalité s’est considérablement réduite. Les effets positifs du mariage hétérosexuel sur la santé mentale sont désormais partagés par tous les genres.
Lisa Strohschein est professeur de sociologie à l’université de l’Alberta et rédactrice en chef de la revue Canadian Studies in Population.
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