L’art de nouer des liens d’amitié
Soyons amis!
Se faire des amis à l’âge adulte n’est pas si simple. «Quand on est jeune, il y a la récréation et la classe de gym. On s’autorise à baisser la garde», explique Marisa G. Franco, professeure à Washington, D.C., aux États-Unis.
Pour les sociologues, ces interactions spontanées répétitives permettent à la vulnérabilité de se manifester et favorisent les liens d’amitié. Mais avec le télétravail, ces occasions se font de plus en plus rares. «Même ceux qui continuent à voir des collègues tous les jours ont du mal à baisser la garde», ajoute Mme Franco.
Une enquête menée en 2021 par l’American Enterprise Institute, un centre de réflexion sur les politiques publiques, a révélé que le nombre d’Américains affirmant ne pas avoir d’amis proches avait quadruplé depuis 1990, passant de 3% à 12%. «Nous n’avons jamais été aussi déconnectés», constate la psychologue canadienne Jody Carrington. «Le meilleur indicateur du bien-être général ce n’est pas ce que l’on boit, ce que l’on fume ou ce que l’on mange. C’est l’engagement social.»
D’après les recherches de la psychologue Julianne Holt-Lunstad de l’université Brigham Young, la solitude serait une menace pour la longévité comparable au tabagisme ou à l’alcoolisme. Être seul ou isolé c’est courir un plus grand risque de dépression, de démence, de mort cardiaque et d’immunodépression.
À l’inverse, les amitiés véritables nous aident à mieux vieillir, à mieux gérer le stress, à vivre plus heureux et plus longtemps. Et puis le bonheur est contagieux – il se répand par nos réseaux sociaux. Selon des chercheurs de l’université Harvard, le bonheur d’une personne se répercute sur ses amis vivant dans un rayon de 1,5km, qui à leur tour ont 25% de chance supplémentaire de voir leur propre bonheur s’épanouir. Leur conclusion: «Le bonheur s’étend à trois degrés de séparation, jusqu’aux amis des amis de ses amis.»
Voici huit conseils de spécialistes en relations humaines pour nouer et approfondir des amitiés.
Ne comptez pas sur la chance
«Les amitiés n’arrivent pas comme ça», dit Shasta Nelson, de San Francisco, spécialistes en matière de relations. Et quand cela se produit, elles sont plus fragiles. Une étude publiée dans le Journal of Social and Personal Relationships a démontré que ceux pour qui la naissance d’une amitié dépendait de facteurs extérieurs ou incontrôlables – essentiellement la chance – vivaient souvent dans une plus grande solitude cinq ans plus tard.
Soyez optimiste
Selon une étude menée en 2022 à l’université de Pittsburgh, les destinataires d’une communication inattendue – un court message ou un petit cadeau – appréciaient le geste au-delà des espérances de son expéditeur. Plus: nous évaluons souvent mal l’estime que les autres nous portent. Une personne sera plus aimable, chaleureuse, amicale et ouverte si elle présuppose que son interlocuteur l’apprécie.
Faites une liste
Écrivez le nom de trois à cinq personnes que vous connaissez et dont vous souhaiteriez vous rapprocher, suggère Mme Nelson. Envoyez-leur un texto, invitez-les à prendre un café, partagez une photo ou un article qui vous a fait penser à elles.
Ayez plusieurs amis
Ne vous limitez pas à une seule amitié proche. «Personne ne peut répondre à tous vos besoins», insiste Shasta Nelson. En effet, une étude menée en 2020 à l’université de Northern Illinois auprès de femmes quinquagénères a révélé que celles qui avaient de trois à cinq amies proches présentaient, à l’égard de la vie, des niveaux de satisfaction globale supérieurs.
Attendez-vous à de l’embarras
La gêne ne doit pas inciter à se retirer d’une nouvelle relation. «Cela fait partie des apprentissages quand on découvre quelqu’un», dit Shasta Nelson. Quand, au gymnase, on commence à transpirer, dit-elle, on ne panique pas et on ne conclut pas que cela ne nous convient pas. La Kellogg School of Management a mené récemment une recherche qui a mis en lumière la tendance que nous avons à exagérer l’embarras éprouvé lors d’une première rencontre.
Gillian Sandstrom, psychologue à l’université du Sussex, en Angleterre, qui étudie les effets sur les individus de l’interaction avec des étrangers, rappelle qu’il faut mettre les choses en perspective. «Après tout, l’interlocuteur non plus n’a pas envie que la conversation soit gênante.»
Mettez-y le temps
Il en faut pour développer une véritable amitié… souvent plus de 200 heures ensemble sur plusieurs semaines, suivant une étude de 2018 de l’université du Kansas! «Nous suggérons aux sujets de suivre un cours ou de faire du bénévolat», dit Mme Nelson. Une activité répétée permet de mieux se connaître.
Laissez la vulnérabilité se manifester
La vulnérabilité est la pierre angulaire de toute bonne relation. «Elle permet de se sentir vu et compris», explique Shasta Nelson. Pour plonger dans l’amitié, elle suggère de poser des questions sur les points forts et les points faibles, de demander, par exemple, quel a été le meilleur moment de la semaine, puis le plus stressant. «C’est une façon de reconnaître que tout n’est pas toujours rose dans la vie et que c’est normal», ajoute-t-elle.
Entraînez-vous
«Après la pandémie, beaucoup ont oublié comment entrer en relation avec autrui, dit Marisa Franco. Les aptitudes sociales sont comme les muscles – il faut les entraîner.» Dans le cadre d’une étude menée en 2022 par Gillian Sandstrom, les participants devaient parler à des étrangers tous les jours pendant une semaine. «À la fin de la semaine, la crainte d’être rejetés avait diminué et ils étaient rassurés sur leur capacité de poursuivre la relation», dit Gillian Sandstrom.
Lettres d’Amérique
Christina Paino, Hauppauge, New York
J’avais 10 ans en 1962 quand ma sœur et ses camarades de classe se sont vu proposer un projet d’échange de correspondances avec des élèves britanniques. Comme j’étais intéressée, l’institutrice m’a donné le nom d’une élève. Cela a été le début de notre amitié.
Betty Johnson, Hornchurch, Royaume-Uni
J’aimais l’idée d’écrire à une personne de mon âge aux États-Unis. Dans les premières lettres, nous avons appris à nous connaître, à découvrir nos familles et nos champs d’intérêt.
Christina
Au fil des ans, nous avons abordé tous les sujets. J’ai été transportée de joie à la naissance de son fils. J’ai pleuré la mort de son mari comme si j’avais perdu un membre de ma famille. Après les attentats du 11 septembre 2001, Betty m’a écrit une lettre très affectueuse et chaleureuse.
Betty
Et quand des explosions ont touché les transports publics à Londres, en 2005, j’ai reçu une lettre très émouvante de Chris.
Christina
Triste ou joyeux, lorsqu’un événement m’affectait, j’avais parfois besoin de m’asseoir et de m’épancher. Je confiais à Betty des choses que je ne partageais avec personne.
Betty
En 1971, nous avions alors 19 ans, Chris est venue visiter Londres avec sa sœur et nous avons enfin fait connaissance.
Christina
Nous avions rendez-vous à Trafalgar Square. Betty avait prévu porter des chaussures rouges et avoir un journal à la main. Quand elle est arrivée, j’ai su tout de suite que c’était elle. On s’est longuement serrées dans les bras.
Betty
Quand j’ai envoyé ma première lettre, je ne pouvais pas deviner que cette correspondance se poursuivrait 60 années. Aujourd’hui, avec le courriel, c’est formidable ; j’ai le sentiment qu’elle est tout près.
Christina
Notre amitié est un des trésors de ma vie.
Une improbable amitié
Jean-François Légaré, Montréal
J’avais 29 ans quand j’ai rencontré Francis dans un bar où je me trouvais avec des amis. Je venais de quitter mon copain après 10 ans de relation. Au début, je ne le supportais pas. Je le trouvais bruyant et odieux. Je suis parti tôt.
Francis Hébert, Montréal
Nous étions comme deux aimants qui se repoussent. C’était clair que je le dérangeais et le sentiment était partagé. Cette première rencontre aurait pu être la dernière.
Jean-François
Nos chemins continuaient à se croiser. Nous avons commencé à discuter, à débattre de sujets politiques – ce que je ne faisais jamais avec d’autres amis – et fini par découvrir que nous avions beaucoup en commun. Aujourd’hui, c’est une vraie relation. Je peux lui parler de n’importe quoi. Je ne suis pas souvent d’accord avec lui, mais on a besoin de ça dans la vie.
Francis
Il se trouve très à la mode, par exemple, alors qu’il porte des tee-shirts Fruit of the Loom. Non, sérieux, c’est sans doute mon plus grand ami.
Jean-François
J’avais des amis avant de rencontrer Francis, mais je ne croyais plus en une véritable amitié. Avec Francis, c’est un peu comme ce que l’on vit à 12 ou 13 ans. J’ai trouvé un frère.
Des liens noués à Paris
Catherine Calmeyn, Paris
En 1994, je vivais une séparation, et j’étais seule pour la première fois depuis des années. J’avais déjà un groupe d’amis assez solide. Puis j’ai rencontré Valérie ; nous travaillions pour la même société. J’avais 25 ans et elle, 29.
Valérie Ruault, Joigny
Le boulot pouvait être stressant, mais la relation a tout de suite été simple et nous riions beaucoup. Elle avait une écoute attentive et j’étais bavarde. Nous nous complétions bien.
Catherine
Valérie était lumineuse. Je lui parlais de ma rupture et elle savait toujours comment réagir. Récemment, mon fils a traversé une période de dépression. Il ne voulait plus me voir. J’étais inquiète et j’appelais souvent Val. Elle m’a dit de faire confiance, qu’il avait seulement besoin de savoir que j’étais là. Elle disait que tout irait bien. Elle avait raison – ça s’est arrangé pour lui.
Valérie
C’est un lien merveilleux qui nous unit. Nous n’avons rien à prouver à l’autre et la confiance est totale.
Catherine
Nous n’avons jamais eu de dispute. Voilà maintenant 30 ans que nous sommes amies, et si on se voit moins souvent qu’on ne le souhaiterait, quand on se retrouve, la conversation reprend là où nous l’avons laissée.
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