Face au regard soucieux de son obstétricien, Kate Ogg, une jeune Australienne de 29 ans, prit conscience de la gravité de la situation. Enceinte de jumeaux conçus par fécondation in vitro, elle aurait dû normalement accoucher quatorze semaines plus tard, mais de douloureuses contractions l’avaient obligée à consulter. Heureusement car le col de son utérus était dilaté à deux centimètres. Elle devait se rendre sans tarder à l’hôpital…
Kate resta hospitalisée une semaine, et le huitième jour, à vingt-sept semaines de grossesse, les contractions violentes reprirent. Le lendemain matin, son col était dilaté à 6,5 cm. Impossible à présent de retarder l’échéance. Kate préféra l’accouchement par voie basse à la césarienne. Cela pouvait durer une journéeentière mais augmenterait les chances de survie de ses bébés prématurés.
Elle fut dirigée vers la salle de travail, où l’attendait une équipe de médecins, d’infirmières et de sages-femmes, ainsi que deux chariots de réanimation. David, le mari de Kate, serrant la main de son épouse, assista à la naissance du premier bébé. Le couple ne s’inquiéta pas outre mesure à la vue de ce petit être pâle et inerte.
Les membres de l’équipe médicale étaient en train d’insérer un tube dans les voies respiratoires du bébé – baptisé Jamie par ses parents quand sa sœur, Emily, apparut à son tour en poussant un cri. À ce moment précis, Kate comprit que son fils, toujours silencieux, devait avoir un problème.
Tandis qu’une partie de l’équipe procédait aux examens de routine sur la petite Emily, l’autre partie redoublait d’efforts pour intuber Jamie. En vain. Il ne respirait pas, ne bougeait pas et ne réagissait pas aux stimuli. Un des médecins se tourna vers Kate: «Je suis désolé, nous avons tout essayé. Nous n’avons pas pu le sauver», dit-il en déposant le minuscule bébé emmailloté dans les bras de sa mère. Seul signe de vie, le bébé haletait toutes les trente secondes environ, comme s’il essayait de respirer. «C’est un réflexe du tronc cérébral», expliqua le médecin en quittant la salle, laissant le couple seul avec Jamie.
David serra son épouse et son fils tout contre lui. Souhaitant le toucher avant qu’il ne parte à jamais, Kate plaça délicatement le petit corps nu et fragile contre la peau de sa poitrine et se mit à pleurer en silence. Plongé dans la douleur, le couple essayait d’accepter l’inacceptable.
Kate continuait à caresser son fils, afin de lui transmettre un peu de cette nature chaleureuse qui la caractérise et qui a séduit David dès leur première rencontre.
David et Kate formaient un couple très soudé, quelle que soit la situation. Lorsque David souffrait d’un mal de tête, Kate le soulageait en l’enlaçant et en déposant un baiser sur ses paupières. Quand l’un et l’autre traversaient des moments de grand découragement ou de fatigue, comme lors de cette randonnée mémorable qu’ils avaient effectuée en Espagne, le fait de se prendre tendrement et régulièrement dans les bras leur redonnait l’énergie nécessaire pour continuer.
En serrant son fils tout contre elle, Kate renouait sans le savoir avec un rituel ancien, appelé aujourd’hui «méthode kangourou», qui consiste à déposer les nouveau-nés sur la peau de leur mère. Cette pratique est maintenant proposée dans bon nombre d’hôpitaux à travers le monde. Le contact peau à peau multiplie les chances de survie des prématurés. À la manière du bébé kangourou qui se développe dans la poche abdominale de sa mère, il semble qu’un prématuré déposé sur la poitrine de sa maman retrouve un peu de sa vie intra-utérine.
Cette méthode a vu le jour à Bogota, en Colombie, en 1978-1979, où alors jusqu’à 70% des prématurés mouraient à la suite d’infections et de problèmes respiratoires. Les médecins remarquèrent que les taux de survie étaient bien plus élevés lorsque les bébés passaient des heures contre la poitrine de leur mère. Aujourd’hui, cette méthode est également utilisée pour calmer les nouveau-nés, diminuer leur stress et aider les parents à tisser des liens avec eux. Comme l’explique Abbey Eeles, une ergothérapeute spécialisée en néonatalogie du Royal Women’s Hospital de Melbourne en Australie: «Le progrès est souvent extraordinaire. La respiration du bébé s’améliore et la fréquence cardiaque diminue. Il y a de nombreuses preuves des avantages de cette méthode pour les nouveau-nés comme pour leurs parents.».
(Photo: PIP Blackwood)
Kate garda Jamie contre sa poitrine et lui expliqua qu’il avait une sœur et une famille qui l’aimaient. Après quelques minutes, elle crut le sentir tressaillir et pensa qu’il venait de mourir. Puis, malgré ses larmes, elle se rendit compte que la poitrine du petit se soulevait régulièrement. «Et s’il s’en sortait?» souffla-t-elle à David, qui partit illico chercher un médecin. Le personnel infirmier leur expliqua que ces mouvements étaient probablement dus à des réflexes et laissa le couple à nouveau seul. Kate et David se résignèrent peu à peu mais continuèrent de parler à leur fils, de le caresser et le tenir serré contre eux.
Ce qui se produisit ensuite les laissa sans voix. Au bout d’environ deux heures, le nouveau-né ouvrit les yeux. Puis il parut soulever sa tête et chercha à saisir le doigt de son père. David se précipita à nouveau pour prévenir l’équipe médicale. Le médecin revint dans la chambre, accompagné d’une infirmière, et leur expliqua que les apparences étaient trompeuses. «Mais regardez! s’écria Kate, qui avait enduit son doigt de colostrum. Il tète!»
Le médecin prit alors Jamie, qui tressaillit et se mit à pleurer. Il l’ausculta et, incrédule, demanda à l’infirmière de faire de même. Les poumons du bébé se gonflaient à présent, il respirait seul et son teint changeait de couleur. Le médecin transféra immédiatement Jamie aux soins intensifs. Kate et David n’en revenaient pas…
«Notre corps a besoin de caresses, explique Matt Hertenstein, professeur de psychologie. Le toucher est bénéfique pour l’organisme, le système immunitaire, les réactions au stress et même le cerveau.» Il est particulièrement important pour les nouveau-nés – car les bébés éprouvent du stress (leur fréquence cardiaque augmente) face à la souffrance, par exemple lors d’une piqûre au talon. Il a été prouvé que le toucher les aide efficacement à supporter les interventions douloureuses et invasives qu’ils subissent à répétition lorsqu’ils séjournent aux soins intensifs.
Cela s’explique par le fait qu’un bébé est physiquement en harmonie avec sa mère. En l’étreignant, elle module naturellement sa température corporelle pour s’adapter aux besoins du petit, qui finit généralement par s’endormir – période mise à profit pour économiser son énergie et prendre du poids. Le développement du cerveau – qui est vital – bénéficie également du contact peau à peau. Des recherches ont d’ailleurs démontré que les bébés maintenus contre la peau de leur mère pendant de longues périodes s’accrochent mieux à la vie, sont moins sensibles au stress et se développent mieux une fois rentrés à la maison.
La méthode kangourou est si bénéfique pour les prématurés que nombreux sont les professionnels de la santé à demander qu’elle soit utilisée, notamment dans les unités néonatales de soins intensifs. Les bébés nés avant terme et ceux présentant une insuffisance pondérale à la naissance devraient davantage être considérés comme des fœtus hors de l’utérus, qui ont besoin de ce contact peau contre peau pour se développer.
Tout au long du séjour d’Emily et de Jamie aux soins intensifs, leurs parents les câlinèrent aussi souvent que possible. Kate put tenir Emily dans ses bras pour la première fois après qu’elle eut passé six jours en couveuse. Sa température et son rythme cardiaque se stabilisaient quand Kate la tenait dans ses bras: «Dès que nous prenions les jumeaux, leurs visages s’apaisaient.» Kate et David les ramenèrent à la maison au bout de onze semaines.
Maintenant âgés de 18 mois, les bambins sont resplendissants de santé et grandissent bien. «Jamie imite sa sœur en tout!», raconte Kate. Et, puisqu’un miracle n’arrive jamais seul, Kate et David apprirent quelques mois après la naissance des jumeaux qu’ils attendaient un troisième enfant! Un garçon qu’ils prénommèrent Charlie. À sa naissance, le couple n’attendait qu’une chose: le tenir enfin dans leurs bras pour lui donner ses tout premiers câlins…