Dorloter ses enfants: trop ou pas assez?
Les parents donneraient tout pour l’ainé de la famille, pour les benjamins, c’est une autre histoire. Alors, pourquoi les aînés sont-ils moins en forme?
Dans les familles, selon un récent rapport, le benjamin est souvent plus mince et plus en forme que l’aîné. Bien qu’en matière de réchauffement climatique, de vaccination et d’hygiène dentaire, je me range du côté des scientifiques, dans la circonstance, je dois changer de camp.
J’ai eu des enfants et j’ai observé ceux des autres. Cela me mène à l’indiscutable conclusion que les principes parentaux s’avachissent avec chaque nouvelle naissance.
Avec le premier, tout doit être parfait. On le nourrit de légumes frais et de viande biologique. Le personnel, c’est-à-dire les parents, est aux cuisines nuit et jour et ne les quitte, brièvement, que pour lire des textes de belle qualité littéraire et pour exécuter diverses danses folkloriques, pour la plus grande joie du bambin.
On prend des photos sans compter pour immortaliser le premier rot, la première contorsion, ou ce qu’on prend pour le premier sourire, qui finalement n’était qu’une grimace de coliques.
L’enfant grandit à l’ombre d’un système protecteur, généreux en affection et riche en éducation, qui l’autorise tout de même à regarder la télévision une heure par semaine, pourvu que ce soit un documentaire sur la nature.
On achète des chaussons de danse. Un violoncelle – un violoncelle! – n’est pas considéré une dépense excessive. Au premier match de foot assistent non pas un parent, mais les deux, ainsi que les quatre grands-parents et un oncle venu de très loin. Il y a des pop stars moins bien entourées.
Il va de soi que l’enfant est qualifié de «doué». Mais voilà que le deuxième arrive et c’est alors que les idéaux tendent à perdre de la hauteur.
Le hachoir manuel, au moyen duquel les aliments pour bébé étaient fraîchement préparés par le personnel de cuisine, restera désormais dans le tiroir du bas. La purée du commerce est devenue supérieure sur le plan nutritionnel – et tellement plus pratique. La séance de lecture au coucher qui, pour l’aîné, alternait 50 minutes de voix comiques et d’apartés divertissants, se résume à présent à trois minutes préparatoires au ronflement de papa.
Le nombre de photos passe de cinq par jour à une toutes les six semaines. Les salopettes griffées qu’on faisait porter au premier sont désormais remplacées par des copies bon marché achetées en solde.
La télévision est toujours réservée aux documentaires sur la nature, mais la catégorie s’est élargie. Elle comprend maintenant Le roi lion, Toy Story 4 et des émissions de téléréalité sur l’immobilier.
Au foot, de l’entourage de la première heure ne subsiste que le père, victime d’ailleurs d’une gueule de bois et désespérément à la recherche de quelque chose à manger. Quant à la trompette nécessaire pour se joindre à l’harmonie de l’école, il n’en est pas question – c’est hors de prix, une trompette! «Pourquoi n’essaies-tu pas la vieille guitare de maman?»
Tout cela, bien sûr, n’était qu’une mise en jambes en attendant l’arrivée du troisième enfant, à partir duquel normes et principes volent en éclat.
La nourriture pour les tout-petits comprend maintenant un bol de chips au guacamole et un morceau de croûte de la pizza de la veille. Le repas est servi devant un documentaire sur la nature – l’un de ceux où Bruce Willis tire sur des gens dans un aéroport.
Le troisième enfant aura sa première photo à six ans, et ce ne sera souvent qu’un bout de bras sur celle où on voit le chien.
Les benjamins portent des vêtements hérités de cousins et lavés à plusieurs reprises au détergent antitaches extrafort.
Ils doivent faire du stop pour se rendre au terrain de foot.
Ils apprennent la musique sur une guimbarde.
Quant aux bonnes manières à table, l’unique consigne se formule ainsi: «N’essuie pas tes mains sur le fauteuil, c’est dégoûtant. Fais comme ton père, utilise ton tee-shirt.»
Une fois tout cela établi, comment la science peut-elle encore affirmer que les plus jeunes sont plus en forme?
Pour ceux que cela intéresse, la théorie des chercheurs soutient que, quand on est mère pour la première fois, on est moins experte pour faire passer des calories au bébé dans l’utérus. Alors, celui-ci modifie son métabolisme afin de stocker plus de graisses. Cette habitude sera maintenue après la naissance, les aînés se démenant pour suivre le rythme de leurs frères et sœurs, plus jeunes et en meilleure santé.
Que d’absurdités! Voici maintenant ma théorie: les plus jeunes, élevés par des parents peu soucieux de leur bien-être, mènent une vie si dissolue qu’ils n’ont pas le temps de prendre du poids.
Offrez-leur un repas fait maison et ils le refuseront; ils préfèrent sortir fumer une cigarette.
Mais peut-être, je dis bien peut-être, que les êtres humains sont comme les vignes. Le meilleur vin provient souvent de celles qui ont été plantées dans un sol rocailleux et pauvre en eau. Comme elles, ils prospèrent sur le manque. Les raisins sont plus petits, mais autrement savoureux. C’est peut-être ça, l’histoire des benjamins sveltes, en forme et vifs.
J’aimerais pouvoir étayer mes différentes théories par des photographies de benjamins. Elles témoigneraient de la réalité de leur enfance et de leur adolescence. Malheureusement, il semble que nous n’en ayons aucune.
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