Ados en confinement: entre détresse et soulagement
Tous les ados en confinement ne vivent pas cette… expérience de la même manière. Malheureusement, leur bien-être psychologique se retrouve affecté pour la plupart: plus du tiers des garçons et la moitié des filles présentent un niveau significatif de symptômes dépressifs et/ou anxieux depuis le début du confinement.
Le confinement entraîne des bouleversements majeurs dans la vie des adolescents à une période de leur développement où ils ont besoin de côtoyer leurs amis et de s’affranchir de leurs parents. Dans le contexte de confinement et de distanciation physique que nous connaissons actuellement, leur bien-être psychologique est une préoccupation majeure.
Nos recherches et notre expertise en tant que professeures en psychoéducation nous ont amenées à nous intéresser à cette question.
Du 8 au 30 avril 2020, nous avons mené une étude auprès de 1251 jeunes âgés entre 12 et 17 ans répartis dans toutes les régions du Québec. Des données quantitatives (statistiques) et qualitatives (textes rédigés par les adolescents pour décrire leur expérience de confinement) ont été recueillies par le biais d’un questionnaire en ligne diffusé sur les réseaux sociaux, ainsi que par l’entremise de partenaires des milieux scolaires.
Globalement, et sans grande surprise, les résultats suggèrent que les adolescents vivent davantage de détresse (38% des garçons et 51% des filles présentent un niveau significatif de symptômes dépressifs et/ou anxieux) qu’en temps normal (19% chez les garçons et 40% chez les filles).
Cependant, il semble exister une certaine hétérogénéité dans la manière dont les adolescents vivent le confinement. Deux profils principaux se démarquent: pour certains jeunes, le confinement provoque de la détresse, alors que pour d’autres, il est plutôt source de soulagement.
Des symptômes inquiétants
Environ un tiers des adolescents se perçoivent comme étant un peu plus stressés que d’habitude depuis le début du confinement, mais se sentent surtout beaucoup plus tristes qu’avant et rapportent des niveaux inquiétants de symptômes dépressifs.
Je pleure une journée sur deux. Je me sens impuissante face à la souffrance de mes amis. Je pense que je vis avec pas mal de frustration enfouie et un tas d’autres émotions que je ne comprends même pas.
— Ariane, 17 ans, Montréal.
Les symptômes dépressifs prédominants sont les sentiments de solitude, de dévalorisation et un manque de confiance en l’avenir. Ces symptômes, s’ils perdurent, pourraient avoir des conséquences à long terme, sur le bien-être psychologique de ces jeunes.
Ces jeunes qui vivent une détresse élevée ont également tendance à utiliser des stratégies adaptatives dites négatives pour faire face à la situation de confinement. Par exemple, ils sont plus enclins à se blâmer, à faire du déni, à renoncer à trouver des solutions à leurs problèmes ou à consommer alcool et/ou drogues.
Toutefois, ils ont aussi davantage tendance à rechercher le soutien, l’aide et les conseils de leur entourage que les jeunes présentant moins de signes de détresse psychologique. On peut présumer qu’ils recherchent davantage de soutien parce qu’ils en ressentent plus le besoin, compte tenu de leur niveau de détresse. Il est cependant aussi possible que ces jeunes recourent habituellement davantage au soutien de leurs pairs. Le confinement, qui les coupe de cette source importante de soutien, pourrait donc les affecter davantage.
Un autre élément important dans le discours des jeunes présentant une détresse élevée est qu’ils rapportent vivre difficilement la proximité imposée avec les membres de leur famille.
C’est difficile avec ma famille, on ne s’endure plus et j’ai hâte de retrouver une routine normale avec le gars que j’aime et voir mes amis!
— Chloé, 17 ans, EstrieJe trouve que la vie en famille est compliquée parce que on n’arrête pas de se piler sur les pieds.
— Loïc, 16 ans, Montréal
Depuis le début du confinement, les décideurs et les experts ont évoqué l’adversité familiale vécue par les enfants pour justifier le retour à l’école, or certains adolescents vivent possiblement aussi de telles difficultés.
Je ne peux pas voir mes meilleures amies, et c’est ce qui me réconfortait entre les disputes avec ma mère et les difficultés chez mon père.
— Camille, 14 ans, Laval
Un certain bien-être
Un deuxième groupe d’adolescents, dans lequel se retrouve environ le tiers des participants à l’étude, dit se sentir plus heureux et moins stressés depuis le début du confinement. Ils présentent des niveaux faibles ou moyens de symptômes dépressifs et anxieux. L’analyse de leurs textes a mis en lumière que ces jeunes sont nombreux à percevoir le confinement comme un soulagement et un moment de relâchement de la pression scolaire.
L’école constitue une grande source de stress selon moi et je crois que sans ce moment d’arrêt forcé, ma santé mentale serait en moins bon état. Lorsqu’il y a de l’école, je n’ai pas le temps nécessaire afin d’aller dehors, de m’amuser et de pratiquer un passe-temps.
— Léa, 15 ans, Laurentides.
Ils voient également le confinement comme une occasion d’introspection.
La période de confinement c’est exactement ce qu’il me fallait, j’ai beaucoup travaillé sur moi-même et je prends plus de temps pour moi.
— Émilie, 14 ans, Outaouais)On règle des problèmes qui étaient en nous depuis longtemps.
— Justin, 15 ans, Montréal
Autre particularité: ces adolescents mentionnent profiter du confinement pour se rapprocher de leur famille.
Ma mère continue de travailler mais à la maison maintenant. On s’est un peu plus rapprochées puisqu’on dîne ensemble sur l’heure du lunch.
— Maeva, 13 ans, Québec.Je m’ennuie de l’école et de mes amies mais ça me permet de passer plus de temps avec ma famille.
— Juliette, 15 ans, Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Les adolescents qui semblent vivre le confinement plus positivement ont recours à des stratégies adaptatives significativement différentes. En effet, ils ont davantage tendance à trouver un sens positif à leur situation, à l’accepter et à la prendre avec humour.
L’importance d’agir et de mieux comprendre
En somme, ces résultats suggèrent qu’il existe une certaine hétérogénéité dans l’expérience de confinement chez les adolescents. Il importe à très court terme d’envisager des solutions afin d’intervenir auprès des jeunes qui en ont le plus besoin pour prévenir ou ralentir l’augmentation des symptômes dépressifs.
Parallèlement, une étude plus approfondie s’impose, tant pour mieux comprendre ce qui caractérise les jeunes qui se portent bien que pour identifier les facteurs contribuant à leur bien-être, afin de mieux soutenir et outiller tous les adolescents en contexte de confinement.
* Tous les prénoms sont fictifs
Kristel Tardif-Grenier, Professeure agrégée au Département de Psychoéducation et de Psychologie, Université du Québec en Outaouais (UQO); Isabelle Archambault, Professeure titulaire, Université de Montréal et Véronique Dupéré, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.