La vérité sur l’expérimentation animale
L’industrie cosmétique utilise de moins en moins d’animaux pour tester la toxicité de leurs produits. Quelle est l’attitude du Canada à ce sujet? Ce qui suit vous aidera à comprendre l’expression «sans cruauté» qui figure sur les étiquettes de produits de beauté.
Depuis au moins les années 60, l’expérimentation animale constitue une étape de routine dans la fabrication de produits tels que les shampoings, les rouges à lèvres, les mascaras, les lotions pour mains et bien d’autres produits de soins personnels. Il n’existe pas de loi exigeant l’expérimentation animale pour déterminer si un produit est sans danger; il revient cependant au fabricant de fournir les données prouvant l’innocuité de ses produits. En ce sens, l’expérimentation animale est acceptée depuis longtemps.
Étonnamment, l’expérimentation animale a déjà été considérée comme une méthode «plus humaine». Après l’expérimentation humaine effectuée par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, on établit deux codes d’éthique concernant la recherche: le code de Nuremberg, rédigé à la suite des procès militaires survenus après la guerre et la Déclaration d’Helsinki, élaborée par l’Association médicale mondiale, une association internationale de médecins basée en France. Ces codes d’éthique précisent que les médicaments et les produits chimiques doivent être utilisés sur des animaux de laboratoire avant d’être utilisés sur l’humain. «On s’assurait ainsi qu’aucune population humaine vulnérable ne pouvait faire l’objet d’expérimentations», explique Gilly Griffin, physiologiste au Conseil canadien de protection des animaux (CCPA), à Ottawa.
La Décalration d’Helsinki fut révisée par la suite, de sorte que l’expérimentation animale n’était plus exigée, mais nombre d’entreprises à travers le monde avaient déjà adopté ces principes. L’industrie cosmétique ne s’était pas encore remise du scandale de 1933 où une douzaine d’Américaines avaient perdu l’usage de la vue de manière horrible à la suite de l’utilisation de la teinture pour sourcils Lash Lure. Une personne est même décédée à la suite d’une infection causée par l’utilisation du produit.
Dans les décennies qui ont suivi, l’industrie cosmétique à travers le monde a eu recours aux rats, aux souris, aux cochons d’Inde, aux lapins et à d’autres animaux pour les tests de toxicité.
Quels tests sont effectués?
Bien entendu, beaucoup de consommateurs ne voient pas cette pratique d’un bon il. Utiliser des animaux pour montrer qu’un produit est sans danger peut être cruel et douloureux. L’un des tests types, qui vise à évaluer les dangers d’un surfactant, un émulsifiant ou encore d’autres ingrédients, consiste à verser, goutte à goutte, la substance dans l’il d’un animal, habituellement un lapin, et à observer s’il y a des lésions. Dans les tests d’irritation cutanée, on frotte la substance sur une partie de la peau rasée ou on l’applique dans des incisions faites au préalable, puis on examine s’il y a eu inflammation au contact. Ces expérimentations sont appelées le test de Draize.
«C’est troublant de savoir qu’on pratique de tels tests, déplore Lori Waller, coordonnatrice des communications à la Fédération des sociétés canadiennes d’assistance aux animaux, à Ottawa. Il n’y a pas de raisons de faire souffrir des animaux simplement pour fabriquer un produit cosmétique».
On élabore des solutions de rechange à l’expérimentation animale depuis les années 60. Basée en Virginie, l’association People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) fait des démarches auprès du gouvernement américain depuis la fin des années 90 afin de réduire le nombre de tests de toxicité effectués sur les animaux. Elle soutient qu’il est possible de remplacer l’expérimentation animale par des méthodes plus complexes, plus précises et moins coûteuses. «Les notions ‘sans cruauté’ et ‘non testé sur les animaux’ font désormais partie du green beauty movement».
Il existe de nouvelles méthodes de test
Aujourd’hui, la peau artificielle ou les cornées produites à partir de cellules humaines peuvent être utilisées dans les tests d’irritation cutanée et de l’il. Des cultures de cellules de mammifères sont employées pour déterminer si une substance est carcinogène (on les nomme des études in vitro, car elles ne nécessitent aucun animal vivant). Les études sur la santé des populations et les modèles informatiques complexes peuvent aussi aider les chercheurs à prédire la toxicité d’un produit cosmétique ou la réaction qu’il peut engendrer chez une personne.
Outre la demande croissante des consommateurs, d’autres facteurs poussent les chercheurs à adopter de nouvelles méthodes scientifiques pour tester les produits cosmétiques. «Les tests menés sur les animaux exigent trop de temps et d’argent et ne sont pas des plus pertinents puisqu’ils sont effectués sur des animaux plutôt que sur des humains», explique Daniel Krewski, directeur du Centre R. Samuel McLaughlin d’évaluation du risque sur la santé des populations à l’Université d’Ottawa.
D’autres spécialistes partagent cet avis. Le Johns Hopkins Center for Alternatives to Animal Testing à Baltimore a publié des articles soulignant l’extrême précision et rapidité des nouvelles méthodes qui n’utilisent pas les animaux.
D’autres bonnes nouvelles
Nous avons abordé le sujet avec deux des plus importantes entreprises de cosmétique au monde parce que nombre de toxicologues qui travaillent à élaborer des tests substitutifs uvrent dans l’industrie cosmétique.
Procter & Gamble (propriétaire de nombreuses marques comme CoverGirl, Olay et Pantene) a consacré plus de 275 millions de dollars américains à la recherche et au développement de solutions de remplacement à l’expérimentation animale pour les tests d’irritation, d’absorption et de toxicité de ses produits cosmétiques. Selon Pam Baillie, directrice des relations extérieures: «actuellement, plus de 99 % des tests sur l’innocuité des produits sont effectués sans recourir aux animaux».
De son côté, L’Oréal (propriétaire de marques comme Vichy, Lancôme, Garnier, Biotherm et L’Oréal Paris) affirme que 99 % de ses matières premières sont testées sans l’aide de l’expérimentation animale et qu’il en est de même pour tous ses produits finis depuis 1989. «L’Oréal a pris une décision importante à ce sujet, explique Patricia Pineau, directrice des communications scientifiques au département de recherche de l’entreprise à Paris. On ne peut pas associer ‘beauté’ et ‘douleur‘». Selon elle, l’entreprise est persuadée de pouvoir obtenir de meilleurs résultats à partir de la peau humaine reconstituée et de la modélisation toxicologique qu’à partir de la peau animale.
On utilise encore l’expérimentation animale pour évaluer l’innocuité des ingrédients selon une réglementation internationale, surtout dans les cas des réactions systémiques, notamment les allergies ou les réactions toxicologiques affectant la reproduction. «Quand il s’agit de sécurité, il n’y a pas de compromis possible, affirme Patricia Pineau. Les consommateurs doivent pouvoir se laver les mains ou utiliser de la crème solaire sans courir de risque. C’est notre pacte de confiance avec eux. Après 25 ans de recherches et d’investissements dans les méthodes prédictives, nous sommes sur le point délaisser l’expérimentation animale».
Le rôle du gouvernement
Ce n’est pas tout d’adopter de nouvelles méthodes, encore faut-il qu’elles soient approuvées par l’organisme gouvernemental de réglementation. «La volonté d’en finir un jour avec les tests menés sur les animaux est manifeste à travers le monde, avec raison d’ailleurs, soutient Darren Praznik, président et PDG de Canadian Cosmetic, Toiletry and Fragrance Association. Je ne crois pas qu’on trouverait quelqu’un pour s’y opposer».
«Peu importe la méthode qu’on choisira, le but est de s’assurer qu’elle satisfait aux normes réglementaires là où elle est adoptée».
C’est là où les choses se compliquent. L’industrie cosmétique d’aujourd’hui est multinationale: un produit peut être fabriqué dans un pays et être mis en vente dans d’autres pays. C’est pourquoi les entreprises doivent être au courant des réglementations internationales. «Les entreprises se conforment toujours aux normes les plus élevées, affirme Derren Praznik. Dans la plupart des pays, dont le Canada, l’expérimentation animale n’est pas obligatoire, cependant, on exige que les produits soient sans danger, ce qui nécessite souvent l’utilisation d’animaux.
Depuis 2009, l’Union européenne (UE) interdit de nombreux genres de tests menés sur les animaux dans l’industrie cosmétique et en prévoit l’interdiction totale à partir de 2013. Aucun produit qui a été testé sur les animaux ne pourra être mis sur le marché dans des pays membres de l’Union européenne, même si ces produits ont été fabriqués ailleurs qu’en Europe. Aux États-Unis, les États de la Californie, de New York et du New Jersey, entre autres, ont banni les tests menés sur les animaux dans les cas où des substituts ont déjà été validés («valider» signifie déclarer valable. La validation est une étape nécessaire si l’on souhaite remplacer la méthode standard par de nouvelles méthodes).
Au pays, Santé Canada soutient que nous ne sommes pas encore prêts à mettre fin à l’expérimentation animale et aucune loi n’a été adoptée en ce sens concernant les produits cosmétiques fabriqués ou vendus au Canada. «Nous ne sommes pas arrivés au point où le progrès scientifique permet d’en finir avec l’expérimentation animale», constate Olivia Caron, agente des relations avec les médias.
Par contre, Santé Canada souligne: «les progrès en sciences nous ont permis de réduire considérablement l’utilisation d’animaux pour les tests de toxicité sur les produits cosmétiques et pour ceux liés à la santé du public. Nous ne savons pas exactement combien d’animaux servent à tester les produits cosmétiques au Canada».
Il y a 2 ans, Santé Canada a signé un accord international avec le Japon, les États-Unis et l’Europe afin de valider des méthodes substitutives pour tester la toxicité des produits cosmétiques et d’autres produits qui peuvent comporter des risques pour l’humain ou l’environnement.
Les «trois R» de l’éthique
«L’éthique de l’expérimentation animale, reconnue universellement, a toujours soutenu que l’usage des animaux ne devrait être envisagé qu’en dernier recours», rappelle Gilly Griffin du CCPA, agence financée par le gouvernement fédéral. Le CCPA réglemente l’utilisation éthique des animaux en science et leur bien-être, c’est-à-dire l’hébergement, le transport, la manipulation et même l’euthanasie. Tous les laboratoires universitaires, gouvernementaux ou privés qui uvrent pour le gouvernement suivent ces lignes directrices ou soumettent leurs données d’utilisation des animaux afin de se conformer aux normes gouvernementales ou d’être dignes de confiance».
Le CCPA, comme bien des groupes de défense des animaux, préconise la règle des «trois R» de l’expérimentation animale: remplacer, réduire, raffiner (afin de réduire la souffrance). «Trouver des solutions de remplacement à l’expérimentation animale constitue une priorité pour nous», signifie la physiologiste. Dans ce sens, le CCPA conserve une base de données publique sur les méthodes substitutives et qui comprend des renseignements concernant leur validation par les organismes internationaux comme l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
Personne ne sait quand Santé Canada interdira l’expérimentation animale dans l’industrie cosmétique. Mais au moins, les solutions de rechange s’affirment et l’industrie cosmétique semble aller de l’avant. S’il est une chose que tous reconnaissent, c’est que le «nouveau visage» des tests de toxicité n’aura rien à voir avec celui d’un animal.