C’est la première fois qu’il va quitter la France.
Ses parents sont arrivés d’Afrique avant sa naissance, pour s’installer dans un minuscule appartement à Villiers-le-Bel, à environ 20 kilomètres au Nord de Paris.
Il vit toujours chez eux, d’où il se rend tous les jours à l’Institut Pasteur, à Paris.
Il travaille comme assistant de recherche dans un laboratoire spécialisé dans les maladies tropicales transmises par les insectes.
Au contrôle de police, il tend son passeport au fonctionnaire avec un grand sourire. Sans lever les yeux, celui-ci pianote sur le clavier de son ordinateur, pendant de longues minutes.
Soudain, des agents de police arrivent et arrêtent Charlie Koissi. Motif : un mandat d’arrêt européen a été lancé contre lui. Émis à Karlsruhe, en Allemagne, l’avis mentionne un Charlie Koumé Kanga Koissi, né le 24 octobre 1976 en banlieue parisienne – exactement comme lui.
Sidéré, il secoue la tête.« Ça ne peut pas être moi, explique-t-il, je n’ai jamais mis les pieds en Allemagne. »
La police ne veut rien entendre. Il est menotté puis conduit dans une cellule au sous-sol de l’aéroport, où il doit se déshabiller. Les fonctionnaires le fouillent, puis le laissent dans la cellule. Humilié, il serre les poings et retient ses larmes. Plus tard, au commissariat, Charlie Koissi est interrogé à plusieurs reprises, au sujet d’escroqueries qu’il aurait commises le vendredi 13 juin à Karlsruhe. Il secoue la tête. Un escroc, lui ? Il est si fier de son travail stable à l’Institut. Le jeune homme, qui rêve de chorégraphier des scènes de combat au cinéma, à Hollywood, consacre tout son temps libre aux arts martiaux et à leur mise en scène – et certainement pas à des actes criminels.
« Impossible que je sois coupable, s’empresse-t-il de dire confiant, je travaillais ce jour-là à Paris. L’Institut Pasteur est un site ultra-sécurisé, accessible uniquement avec un laissez-passer électronique. » Plusieurs heures plus tard, l’interrogatoire prend fin, mais Charlie Koissi ne parvient pas à trouver le sommeil. Il a le sentiment que les murs de la cellule se referment sur lui. Puis soudain, il comprend. Quelque deux ans plus tôt, il a perdu sa carte d’identité. À l’époque, il était persuadé qu’il la retrouverait. L’inquiétude le gagne car, il le sait, on peut tout acheter sur le marché noir, y compris une identité. La carte comporte toutes les informations nécessaires, ainsi qu’une photo facile à falsifier. « Et si quelqu’un se faisait passer pour moi ? » se dit-il.
Le lendemain matin, il est autorisé à appeler la directrice des ressources humaines de l’Institut, pour lui demander de confirmer ses propos. Elle établit un document attestant qu’il a bien travaillé au labo le 13 juin. Dans l’après-midi, il est libéré. Le problème est résolu – du moins, c’est ce qu’il croit.
Il ne sait pas encore que le tribunal allemand va relancer le même mandat d’arrêt contre lui, deux mois plus tard, le 13 septembre. De nouveau, Charlie est arrêté, menotté et incarcéré. Là aussi, il passe une nuit blanche dans une cellule, avant de comparaître le lendemain devant un tribunal. De nouveau, il est libéré, grâce à l’attestation de la DRH de l’Institut.
Cette fois, il demande un avocat. « Quelqu’un usurpe mon identité, commet des délits en mon nom et me laisse payer à sa place, explique-t-il, furieux, à l’avocat commis d’office. Il faut que ça cesse ».
Pendant 14 mois, il ne se passe plus rien. Puis Charlie Koissi commence à recevoir des appels et des lettres de relance d’un opérateur de téléphonie mobile qui lui réclame plusieurs milliers d’euros pour des factures impayées, liées à un compte ouvert sur Internet, un an plus tôt. Il sent la terreur parcourir son corps. Voilà que le cauchemar recommence. « J’ai l’impression de me battre contre de la fumée – ou contre un fantôme », déclare-t-il à ses collègues, effondré. Que faire ?
L’enquête commence
Un collègue lui suggère de décortiquer les factures téléphoniques et demander des relevés détaillés, pour connaître la destination des appels.
Le jeune homme tombe des nues en découvrant presque 50 pages mentionnant des appels locaux et internationaux, pour un montant dépassant 6 000 euros – dont un grand nombre vers le Cameroun.
Est-ce le pays d’origine de l’usurpateur ? Pour en avoir le cœur net, Charlie Koissi et ses amis décident, au début de l’année 2010, de se rendre à l’adresse associée au compte, un appartement situé à une trentaine de kilomètres au sud de Paris. Est-ce là que vit le malfaiteur ?
Conscient qu’il ne sera jamais innocenté avant d’avoir retrouvé le coupable, Charlie Koissi se souvient d’avoir vu à la télévision un spécialiste des usurpations d’identité, Christophe Naudin. Il se procure ses coordonnées. Ce criminologue interpelle les responsables politiques, les incitant à prendre plus au sérieux les usurpations d’identité. Il le sait : les victimes mettent parfois des années avant de découvrir que la leur a été utilisée par un tiers.
« Avez-vous les minutes du jugement du tribunal de Karlsruhe ? », lui demande Christophe Naudin. « Oui. » Les amis de Charlie lui avaient conseillé de se procurer les documents.
« Parfait, répond Naudin. Nous allons préparer un dossier que nous confierons à la police et nous porterons plainte. » Mais avant qu’ils aient eu le temps de le faire, Charlie Koissi est de nouveau arrêté, au petit matin du 10 mars 2010. Heureusement, cette-fois il est libéré dix minutes plus tard. Il arrive en retard au travail, débraillé, en sueur et furieux. « Je vous jure que je vais attraper ce type, quoi qu’il m’en coûte », déclare-t-il à ses collègues.
L’enquête passe à la vitesse supérieure : ses collègues, ses amis, sa famille et Christophe Naudin se mobilisent pour innocenter Charlie. Ils dressent la liste de toutes les personnes vivant à l’adresse indiquée sur les factures téléphoniques, puis recherchent chaque nom sur Google et sur les réseaux sociaux, comme Facebook et Trombi.com, un site permettant de retrouver d’anciens camarades de classe. Chaque nom produit quantité de résultats. L’équipe les passe en revue, pour découvrir un éventuel lien avec les factures téléphoniques et l’adresse de l’escroc supposé. Ce travail de détective leur prend environ six mois.
Finalement, leurs recherches les mettent sur la piste d’une femme au patronyme camerounais, qui vit avec un homme dont le profil qui apparaît sur Trombi.com indique qu’il est né le 11 février 1974 – la date figurant sur les documents du tribunal de Karlsruhe. La date, mais aussi le nom de l’individu semblent familiers à Charlie Koissi. Puis soudain, il se souvient. Passant en revue les documents du tribunal, il retrouve l’information recherchée : les comptes rendus d’une audience mentionnant le nom de Charlie et un autre pseudonyme utilisé par l’imposteur.
« Je te tiens », marmonne le jeune homme. Désormais, il doit trouver un moyen d’en savoir davantage sur l’imposteur. « Crée-toi un faux profil et demande-le en ami », lui suggère un collègue. C’est ainsi que « Daniela », une personne fictive, voit le jour sur Facebook. Longs cheveux ondulés, grands yeux marron, décolleté plongeant : Daniela est très séduisante. « Elle » dit vouloir retrouver d’anciens camarades de classe du Cameroun. Le stratagème fonctionne. L’homme accepte la demande d’ami.
Au cours des mois suivants, « Daniela » va flirter avec lui. Et Charlie suit sa trace, par le biais des messages qu’il poste et des mises à jour de son statut Facebook, indiquant le lieu où il se trouve. Petit à petit, il apparaît qu’il s’agit probablement de l’usurpateur. Désormais, Charlie Koissi doit obtenir confirmation que l’homme vit bien dans le logement identifié. À la fin du mois de mars 2011, un ami photographie la boîte aux lettres de la Camerounaise : sous la plaque gravée indiquant le nom de celle-ci, un morceau de papier collé sur la boîte aux lettres mentionne le nom de l’imposteur, en lettres d’imprimerie.
Charlie Koissi poursuit ses recherches sur Internet et découvre petit à petit que le couple dépense beaucoup d’argent, alors qu’il n’a apparemment pas de source de revenus. Et l’homme effectue de nombreux déplacements, notamment en Allemagne et en Roumanie, sans raisons apparentes. Avec l’aide de Christophe Naudin, Charlie porte plainte, en juin 2011. Mais la police ne peut rien faire car le dossier ne comporte que des preuves circonstancielles, rien de plus. Charlie quitte le commissariat, frustré et furieux.
Mais il ne baisse pas les bras pour autant. En septembre 2012, il revient porter plainte, en apportant la preuve que l’usurpateur supposé se trouve à Karlsruhe. Il est persuadé que cette nouvelle information incitera les autorités à agir. Mais là encore, la police ne peut rien faire – les preuves ne sont que circonstancielles, et insuffisantes pour intervenir. Charlie Koissi est démuni. Abattu, il se dit qu’à moins de conduire lui-même l’escroc supposé dans un commissariat, il ne peut rien faire. « Fais parler de toi, lui conseillent Christophe Naudin et ses collègues. L’attaque est la meilleure défense. »
Alors que de nombreuses victimes craignent d’ébruiter leur mésaventure, de peur d’être prises pour cible de nouveau, Charlie Koissi décide de raconter son histoire partout : il en parle dans des écoles, accorde des interviews et encourage d’autres victimes à raconter leurs mésaventures. Aujourd’hui âgé de 37 ans, Charlie Koissi se promène dans les rues de Villiers-le-Bel, en discutant au téléphone d’un projet de film consacré à son expérience, tout en serrant des mains et en donnant des accolades à des gens qu’il connaît à peine. Ici, il est une véritable star et un exemple, une personnalité charismatique qui ne s’étonne pas de voir les enfants lever les yeux au ciel lorsqu’il s’adresse à eux dans leurs écoles. Une chose pareille ne risque pas de leur arriver, n’est-ce pas ?
« Eh bien, si, leur explique-t-il. Ces choses arrivent, sans même que vous le sachiez ! »
Le 5 mars 2014, Charlie Koissi a été convoqué au commissariat d’une commune de banlieue du nord de Paris, après que deux hommes d’origine africaine ont tenté d’acheter des meubles à l’aide de chèques volés, en utilisant son identité. La police enquête, car l’homme qui a volé les papiers de Charlie pourrait être de retour en France.
« J’ai peur qu’il commette de nouveaux méfaits sous mon identité, confie Charlie Koissi. Mais j’ai l’espoir qu’un jour il sera arrêté et traduit en justice. »
Se protéger contre la fraude ou vol d’identité
L’usurpation d’identité est l’escroquerie économique et financière qui connaît le plus fort développement en Europe.
Huit millions d’Européens seraient concernés chaque année, pour une fraude de 2 500 euros par personne en moyenne.
Selon une étude récente, les pays les plus touchés sont le Royaume-Uni et la Suède.
Les signes qui doivent vous inquiéter
-Vous recevez un courriel, un SMS ou un appel téléphonique vous demandant de valider ou de confirmer des informations bancaires.
-Des prélèvements sont effectués sur votre compte bancaire.
-Un inconnu vous téléphone pour tenter d’obtenir des informations personnelles.
-Vous vous voyez refuser un crédit, car vous êtes fiché au registre central de crédit, pour une raison inexpliquée.
-Vous recevez un courriel d’un ami ayant rencontré un problème en vacances, qui vous demande de lui virer de l’argent de toute urgence.
-Des achats ont été effectués avec votre carte bancaire, dont vous n’avez aucun souvenir.
Si vous pensé avoir été victime de vol d’identité
-Faites opposition sur vos cartes bancaires.
-Prenez contact avec votre banque.
-Portez plainte auprès de la police.
-Gardez des traces, notamment des copies des échanges de courriers et les détails des appels téléphoniques.
-Signalez à la banque que vous pensez avoir été victime d’une escroquerie et demandez que les mouvements sur vos comptes soient surveillés.
-Modifiez vos mots de passe et codes PIN.