Un don d’organe lui a sauvé la vie

Il a parcouru 2300 kilomètres à vélo pour rencontrer la mère de celui qui était à l’origine du don d’organe.

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James Mazzuchelli a fait un don d’organe qui a sauvé plusieurs vies.
Avec l’autorisation de Christine Cheers
James Mazzuchelli aimait l’aventure, servir dans la Marine et aider les autres.

Il a fallu plusieurs brouillons pour trouver le ton juste. Pour arriver à condenser dans le tracé de la plume sur le papier la vie de son fils. Pour dresser le portrait d’un être plein d’énergie et d’amour, afin que ceux qui avaient reçu ses organes prennent la mesure de leur chance.

Trois semaines plus tôt, tout ce qui donnait son sens à l’univers de Christine Cheers s’était brisé. Au téléphone, la voix d’une inconnue avait prononcé ces mots que tous les parents redoutent: «Il y a eu un accident…»

C’était le 21 février 2018. Son fils, James Mazzuchelli, 32 ans, médecin de l’air dans la Marine américaine, avait été blessé lors d’une mission d’entraînement en hélicoptère sur une base militaire en Californie. Si elle voulait le voir vivant, il fallait prendre le premier vol en partance de la Floride.

Très tôt le lendemain, Christine et David Cheers, le beau-père de James, sont entrés dans une chambre du Scripps Memorial Hospital à La Jolla, en Californie, où James, entouré de machines, était maintenu en vie. Voilà l’avenir qui l’attend, ont expliqué les médecins à Christine. Son fils surdoué, passionné de plongée et de voyages, ne se réveillerait jamais. Il ne respirerait plus jamais seul. Il ne lui sourirait plus jamais.

Christine se devait d’honorer le souvenir de celui qui avait renoncé à devenir ingénieur commercial pour étudier la médecine, parce qu’il voulait aider les gens. Elle se devait de transformer la pire journée de son existence en la meilleure pour des étrangers.

Elle a chargé l’hôpital d’engager le processus de don d’organes. Ces quelques paroles si difficiles à articuler allaient bientôt avoir des répercussions: elles permettraient à un homme de reprendre son travail, à un vétéran de l’armée de recouvrer la santé et à un cycliste malade de se remettre en selle.

Nous vous proposons de lire le témoignage émouvant de cette mère offre le corps de son fils à la science.

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Mike se prépare à sa traversée du pays.
John francis Peters
Mike se prépare à sa traversée du pays.

Une leucémie dévastatrice

Mike Cohen n’avait que 18 ans quand le diagnostic est tombé en 2004: il souffrait d’une forme agressive de leucémie. Le traitement risquait d’endommager durablement son cœur, l’avaient prévenu les médecins. À l’époque, il paraissait plus urgent de survivre au cancer.

Il a suivi le traitement avec sérieux, s’est soumis à la radiothérapie et à la chimiothérapie. La dernière année de chimio, son oncologue jugeant qu’un climat moins rude serait bénéfique, Mike avait quitté New York pour s’installer à San Diego, en Californie. Il ne l’a pas regretté.

Deux ans après le diagnostic, il n’y avait plus trace du cancer. Déménager a eu d’autres avantages: quand sa santé lui a permis de sortir, il s’est mis à la marche et à la bicyclette. Enfant, il faisait un peu de vélo, mais après sa rémission, c’est devenu une obsession.

Pour fêter ses six années sans cancer, Mike a projeté de traverser le pays pour rejoindre New York. Dès les premiers jours, l’entreprise s’est montrée plus difficile que prévu.

Son cœur commençait à montrer des signes de faiblesse, mais il ne le savait pas encore.

Au fil des ans, sa santé s’est dégradée. Il se sentait fatigué même les jours où il ne roulait pas. Un soir, en 2017, il a éprouvé de fortes douleurs dans la poitrine.

Son frère Dan l’a aussitôt conduit aux urgences où les médecins ont découvert un caillot de la taille d’une balle de golf logé dans son ventricule gauche. Les anticoagulants n’ont pas réussi à l’en déloger. L’intervention à cœur ouvert s’imposait; on lui a alors installé un dispositif d’assistance ventriculaire gauche (DAVG) pour permettre la circulation du sang que le cœur n’assurait plus.

Le DAVG implanté doit être branché en permanence à une prise électrique. Mike se voyait condamné à vivre entre quatre murs avec un fil qui lui sortait de l’abdomen. Même avec le bloc-piles de secours, «impossible de sortir, car rien ne garantissait que quelqu’un ne se prendrait pas les pieds dans le fil», se souvient-il. Il végétait à des années-lumière de son ancienne vie active.

L’appareil fonctionnerait peut-être huit mois, peut-être huit ans, prédisaient les médecins. Six mois plus tard, Mike se retrouvait dans un hôpital de San Diego avec un nouveau caillot. Le cœur lâchait. Il lui en fallait un autre.

Apprenez-en plus sur les symptômes méconnus de la leucémie.

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Mike a reçu un don d'organe.
Avec l’autorisation de Mike Cohen
Mike en convalescence après son opération.

L’opération

L’ordre de priorité pour une transplantation cardiaque est subtil. Le patient doit être suffisamment malade pour justifier le besoin d’un nouvel organe, mais en assez bonne santé pour supporter la longue opération et les immunosuppresseurs à prendre pour soutenir le nouvel organe. Mike remplissait les deux conditions et se trouvait parmi les premiers sur la liste. Il fallait espérer qu’il survive à l’attente d’un nouveau cœur.

Son état s’améliorait. Ses analyses étaient bonnes: le caillot s’avérait suffisamment dissous pour qu’il rentre à la maison. Le 24 février, alors qu’il préparait son sac, une infirmière est entrée dans la chambre en lui lançant: «J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.» Mike voulait d’abord connaître la mauvaise. «Vous ne sortez pas aujourd’hui. La bonne, c’est qu’on vous a trouvé un cœur.» Effectivement, la transplantation d’organes fait partie des traitements qui peuvent vous sauver la vie!

Mike s’est réveillé le lendemain avec un nouveau cœur palpitant dans la poitrine. Il a rapidement retrouvé son énergie, a pu tenter ses premiers pas dans la chambre cinq jours plus tard et arpenter les couloirs peu de temps après. «Mon niveau d’énergie était à deux avec l’ancien cœur. Le DAVG l’avait fait monter à cinq. Avec le nouveau, je suis à 10!», se réjouissait-il.

Deux semaines plus tard, il obtenait sa permission de sortie avec instruction de se présenter au centre de réadaptation cardiologique où, pendant quelques jours, il s’est contenté de marcher lentement sur un tapis roulant. Il avait repéré un vélo d’appartement dans la salle. Il ne se sentait pas prêt, mais rouler était devenu son objectif. Deux semaines plus tard, avec l’autorisation du médecin, il l’a enfourché et a commencé à pédaler en douceur.

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James incarnait un idéal de bravoure et d’altruisme, le don d'organe était donc logique.
PAT HEINE/BICYCLING MAGAZINE
James incarnait un idéal de bravoure et d’altruisme.

Le don d’organe

Pour Christine Cheers, pas question de partir avant que tous les organes de son fils n’aient quitté l’établissement. Avec son mari, elle regardait les employés de l’hôpital sortir les glacières de la salle d’opération: les reins, le pancréas et le foie ont été envoyés à différents receveurs.

La «banque» des yeux a recueilli les cornées pour répondre aux besoins des listes d’attente; les os et les tissus ont trouvé leur place dans la «banque» des os et celle des tissus. Il restait le cœur.

«C’est l’organe qui m’était le plus cher», se remémore Christine. Militaire et médecin, James incarnait un idéal de bravoure et d’altruisme. «Il avait si bon cœur!», soupire-t-elle. Quand un représentant de l’hôpital les a prévenus que le cœur de James allait sortir de l’hôpital, David et Christine ont tenu à voir la glacière l’emporter.

Au cours des semaines qui ont suivi, Christine a plongé dans un chagrin qu’il lui semblait impossible de surmonter. Seule la certitude que les organes de James avaient aidé des patients pourraient l’aider. Et l’assurance que les receveurs allaient bien. Elle a alors écrit à chacun des quatre patients dont elle connaissait l’existence, comme la réglementation le lui permettait.

Elle voulait leur faire comprendre ce que le don d’organe aurait signifié pour son fils. Qu’il aurait été heureux que son cœur, ses reins et ses tissus les aident. Elle voulait leur épargner la culpabilité, alléger le poids et la gravité du don dont ils avaient bénéficié. Le 19 mars, Christine a envoyé les dernières lettres par la poste.

Le don d’organe est l’un des sujets importants qu’il faut absolument aborder avec vos proches.

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Mike Cohen et Seton Edgerton ont décidé d'honorer le don d'organe que Mike a reçu.
John francis Peters
Seton (premier plan) et Mike sur la route à côté du camping-car qui les accompagnait.

Deux êtres, un coeur

Deux mois après son intervention chirurgicale, Mike Cohen recevait un appel de l’organisation responsable de la coordination de la transplantation. Une lettre l’attendait. Après l’avoir décachetée, il a pris une grande inspiration avant de déplier les pages dactylographiées.

Christine décrivait l’amour de son fils pour sa patrie; James ne jugeait jamais personne et les autres étaient avant tout des amis. C’était un homme altruiste avec un humour décalé, un médecin brillant et talentueux. Elle parlait de son amour pour la plongée, le snowboard et la moto.

Mike a compris combien ce nouveau cœur était spécial. Impatient d’en savoir plus, il a tapé le nom de James dans Google. Mis à part le fait que Mike se rasait le crâne et portait la barbe – James, lui, était chevelu et toujours rasé de près –, bien des choses les rapprochaient. Ils étaient tous deux athlétiques et ils avaient pratiquement le même âge.

James avait 32 ans quand il est mort, tandis que Mike avait eu 33 ans le jour même de l’accident de James. Mike a appris autre chose d’important: James était enterré à Jacksonville, en Floride.

Au centre de rééducation, Mike projetait de traverser de nouveau le pays aussitôt que son médecin lui en donnerait l’autorisation. Le but de son voyage se précisait. Il voulait se recueillir sur la tombe de James. Il lui semblait approprié d’effectuer le trajet à vélo, pour montrer que ce cœur avait changé sa vie.

Il a attendu avant de répondre à Christine: une semaine pour s’imprégner de la lettre qu’elle lui avait envoyée et une autre pour rédiger la sienne. Il cherchait le ton juste pour exprimer avec finesse sa reconnaissance et sa volonté de faire battre le cœur de James le plus longtemps possible. Il lui a transmis son désir de rester en contact avec la famille de James, si c’est ce qu’elle souhaitait.

Christine avait expédié quatre lettres. Seul deux receveurs ont répondu. L’homme qui avait bénéficié d’un rein et du pancréas de James la remerciait, écrivait que les organes avaient changé sa vie – qu’il avait pu reprendre son travail et soutenir sa famille. Il laissait entendre entre les lignes qu’au-delà de ce mot de remerciement, il préférait ne pas poursuivre les échanges.

La lettre de Mike est venue comme un baume sur une plaie que Christine craignait ne jamais voir cicatriser. Ainsi commença un échange de textos et de courriels qui la réconforta. Elle suivait avec avidité les post Instagram de Mike. «Ça m’aidait de savoir qu’il se portait bien», reconnaît-elle.

Mike avait repris le vélo dès septembre 2018 et cumulait les kilomètres. Impressionnés par ses progrès et son approche prudente, les médecins ont fini par donner leur accord pour la traversée du pays, prévue pour l’année suivante.

Le voyage se déroulerait lentement pour ménager le cœur et le système immunitaire: quatre heures de vélo par jour maximum en maintenant une fréquence cardiaque inférieure à 150 battements par minute – ordre des médecins.

Dan, le frère de Mike, avait suivi une formation d’assistant médical pour pouvoir l’aider après l’intervention cardiaque. Il accompagnerait Mike dans son périple, au volant d’un camping-car. Seton Edgerton, un ami de Mike, roulerait à vélo avec lui. Selon leurs calculs, le trajet entre le service de cardiologie de l’hôpital de San Diego et la tombe de James durerait moins de deux mois. Le parcours se ferait pour l’essentiel à vélo, et les deux hommes grimperaient à bord du camping-car sur les routes trop encombrées.

À l’annonce sur les réseaux sociaux que Mike prévoyait se rendre sur la tombe de son donneur, la famille de Christine Cheers s’est promis de le retrouver là-bas.

Vous serez surpris d’apprendre que notre corps peut se passer de ces organes!

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Après de nombreux coups de pédales, Mike Cohen a pu rencontrer la famille du donneur d'organe.
Charlotte Kesl
Mike Cohen, à gauche, avec Christine et David Cheers.

De nombreux coups de pédales

Le premier jour du périple qui allait s’étirer sur 2300km, le cœur de Mike a refusé de collaborer, comme à sa traversée initiale du pays, des années plus tôt. Il n’avait peut-être pas assez mangé ou s’était insuffisamment hydraté. Peu importait la raison, il fallait maintenir la fréquence cardiaque sous la barre des 150 battements par minute.

Seulement, sur les pentes raides des monts Cuyamaca, à l’est de San Diego, ses pulsations cardiaques atteignaient des sommets.

Seton avait configuré le moniteur de fréquence cardiaque de Mike pour que ce dernier puisse lire les données pendant le trajet, sur l’écran monté sur son guidon. Impuissant, Mike regardait des chiffres trop élevés. Les deux hommes pensaient la même chose: nous ne sommes qu’au premier jour; est-ce vraiment raisonnable?

Ils continuaient néanmoins à pédaler. Mike et Seton ont traversé l’Arizona, puis le Texas dans leurs maillots bleus assortis, le souvenir pénible de la première journée s’éloignant à mesure que la fréquence cardiaque de Mike s’améliorait. Cela ne les a pas empêchés d’emprunter la mauvaise direction dans le désert et de rouler avec difficulté dans le sable. Après 1600km, ils cumulaient 24 crevaisons.

En Floride, Christine et David suivaient leur avancée sur les réseaux sociaux, inquiets de la circulation, des chiens et de tout ce qui peut advenir à un cycliste sur une route perdue au milieu de nulle part. À quelques reprises, ne trouvant pas un chemin praticable à vélo, Mike et Seton s’aventuraient sur l’autoroute, causant des frayeurs à Christine qui imaginait les poids lourds frôlant les garçons – et ce cœur. Si ça avait été son fils James, elle l’aurait certainement appelé pour le sermonner. Mais Mike n’était pas son fils, juste quelqu’un qui avait le cœur de son fils.

Le 20 novembre 2019, Mike et Seton donnaient les derniers coups de pédale de la traversée. Mike mesurait sa chance d’avoir recouvré la santé. Lui qui avait si longtemps douté de son corps sentait enfin qu’il pouvait mener une vie normale.

Sa nervosité s’était accrue à l’approche du cimetière. Quelles émotions cette rencontre avec des inconnus devenus si importants dans sa vie allait-elle susciter? «C’est un moment si intense à partager avec quelqu’un que je n’ai jamais rencontré», songeait-il.

Christine et David étaient arrivés plus tôt. Ils voulaient se recueillir un moment sur la tombe de leur fils avant l’arrivée de Mike. C’était une journée parfaite, chaude et ensoleillée. Mike et Seton ont roulé dans le cimetière avant de rejoindre le couple et la tombe de James.

Mike a confié son vélo à Seton et s’est avancé vers Christine. Incapable de trouver les mots, il s’est contenté d’un «bonjour» discret.

Christine s’est aussitôt sentie apaisée, comme si elle connaissait Mike depuis toujours. Elle s’est jetée dans ses bras. Les larmes sont venues après l’étreinte, pas des larmes de chagrin, mais de soulagement, celui d’une maman persuadée d’avoir pris la bonne décision pour l’enfant qu’elle aimait profondément et celui d’un homme reconnaissant d’avoir été accepté par la famille dont le malheur avait rendu possible son propre bien-être.

Ils se sont avancés vers la pierre tombale de James. Mike s’est accroupi et a inspiré profondément, sentant battre le cœur de James dans sa poitrine. En silence, il a remercié James pour son sacrifice et déploré qu’ils ne puissent être amis. Il a promis de prendre bien soin de son cœur.

Quelqu’un a couru au camping-car chercher le stéthoscope dans la trousse de Dan. Christine a glissé le pavillon de métal froid sous le maillot bleu de Mike et écouté. Elle cherchait l’endroit, déplaçait l’instrument de haut en bas, puis légèrement à gauche.

Elle a trouvé, enfin. Il était là, elle l’entendait parfaitement, cette partie de son fils qu’elle aimait le plus, bien vivante.

Amateur d’histoires vraies, voici 9 récits de bonté, de compassion et de bravoure à découvrir.

Publié dans Bicycling Magazine (4 janvier 2020) © Hearst Magazine Media, Inc.

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