Fin de la trentaine, j’étais avec un homme que je pensais aimer et qui, je le croyais, m’aimait.
Mais ce n’était pas d’un amour profond.
J’imaginais qu’il s’était impliqué, mais en bout de piste, non, parce que la peur le rongeait. Je devais l’épouser, et ce n’est pas arrivé.
Il m’avait fait une demande en mariage. J’avais tout planifié pour l’événement.
Et puis un soir, près d’un mois et demi avant le jour J, il m’annonça qu’il ne voulait plus se marier. Cela m’avait scié les jambes et le cœur. Tout était prêt ! J’avais ma robe que j’admirais tous les jours, même que j’avais déjà reçu des cadeaux de noces provenant de mes tantes. Péniblement, j’avais dû aviser ma famille qu’i l n’y aurait plus de mariage.
J’étais triste et dans tous mes états. Je ne savais plus quoi faire. Je n’avais plus rien, plus d’appartement, plus de meubles – je les avais vendus pour aller vivre avec lui. Il m’avait proposé d’aller en vacances dans le Sud, j’avais accepté. Ce fut la pire chose que je n’avais jamais faite ; j’avais pleuré pendant 15 jours. Au retour, j’étais restée à la maison jusqu’à ce qu’il me dise que c’était fini, que je devais partir et qu’il y avait quelqu’un d’autre dans sa vie. Il m’avait même dit qu’il voulait des enfants, mais jamais avec moi. Ce fut comme un coup de poignard. Cela faisait trois ans que j’étais avec lui.
J’avais 39 ans et à cette époque, je voulais encore des enfants. Je n’en ai jamais voulu après. Ce fut un coup de couteau dans mes sentiments, mes rêves de mariage et de famille. J’étais dévastée. Je fis une grosse dépression affective, même une tentative de suicide. Quand tu souffres de dépression, tu ne t’aimes pas, tu te mets tous les torts sur les épaules. Je m’étais dit : « Plus jamais je ne voudrai unir ma vie à celle d’un homme ! Je n’en veux pas ! Je n’en ai pas besoin ! » Je pleurais sans arrêt, j’étais dépressive. Après deux ans et demi de thérapie, ma thérapeute me dit : « Maintenant tu peux partir, tu peux voler de tes propres ailes, je crois que tu es guérie. » Et je m’étais dit : « C’est vrai que je suis bien, je suis heureuse. » Je n’avais plus de noeud à l’estomac. Je pouvais respirer. Je ne pensais pas que je pourrais connaître l’amour à nouveau un jour, que je ne pourrais refaire confiance à un homme. Mais j’étais bien avec moi-même. J’étais fière de ce que j’avais accompli ; je m’en étais sortie. Puis, le hasard m’a fait rencontrer Claude. C’était lors de l’achat de ma maison…
Mai 1992, j’avais 41 ans et enfin, j’étais bien, rassurée. J’avais repris confiance en moi. Je venais de conclure une longue thérapie et je m’étais libérée. Je projetais de m’acheter une maison, mais je devais savoir si j’en avais les moyens. Toutefois, cela faisait deux ans et demi que je n’avais pas fait faire mes impôts. Jusque-là, c’était le comptable de mon ex qui s’en occupait. J’avais toutefois retrouvé son nom, Claude Marcoux, et lui laissai un message téléphonique. Il me rappela, non sans me faire remarquer, avec humour, ma négligence… fiscale ! Je lui fis part de mon projet et lui acheminai mes documents.
Plus tard, au téléphone, il me dit que c’était la meilleure chose que je pouvais faire ! J’achetais enfin ma maison en juillet 1992. En août, je me rendis à son domicile de Repentigny pour régler ses honoraires. Je savais où il habitait. J’étais déjà allée chez lui avec mon ex-conjoint. À mon arrivée, je demandai à l’homme qui bidouillait sur le gazon si j’étais à la résidence de Claude Marcoux. Il me regarda, tout sourire, et me dit : « Tu ne me reconnais pas ? »
Une vague de chaleur m’envahit. Je le trouvais plus grand, charmant. Sa chemise bleue faisait ressortir ses yeux. Surprise, un peu gênée, je bredouillai : « Ah, tu as des lunettes maintenant ! » On avait pouffé de rire. C’était une belle journée d’été. Il me mena à la terrasse arrière pour signer les documents. Puis, il m’invita à manger. J’étais loin d’avoir prévu ça !
Il me parla beaucoup de ses trois « petites » filles, comme il les appelait affectueusement, qui avaient trois ou quatre ans d’écart. J’avais le cœur qui battait. J’espérais pouvoir le revoir… mais jamais je n’aurais osé lui demander ! Mais à mon départ, ce fut lui qui me demanda, avec ses grands yeux doux, s’il pouvait m’inviter à prendre un verre un de ces jours. « Mais bien sûr, cela me ferait plaisir », répondis-je.
Une semaine plus tard, il m’invita au restaurant. Il me proposa de passer me prendre. Comme je venais d’emménager dans ma nouvelle maison, je lui précisai que j’avais mes meubles, mais que je n’avais pas fini la décoration, qu’il me manquait encore ceci et cela. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il arriva à la maison, les mains derrière le dos, cachant un cadeau assez inusité pour un premier rendez-vous : une couette grand lit !
Je n’en revenais pas, je le connaissais à peine ! Je lui servis un verre de vin, puis on se dirigea vers un charmant restaurant de Saint-Lambert. Quelle belle soirée ! Je le trouvais intéressant, pétillant, drôle.
Il me donna un coup de fil le lendemain pour me dire qu’il avait apprécié notre soirée et me demanda si j’accepterais de le revoir. « Oui ! » On a donc commencé à s’appeler, à se renconter. J’avais vraiment le béguin. Mais ma tête disait « Non ! ».
Je venais de traverser une période très difficile, et pour moi, les hommes c’était fini. Je n’en avais plus besoin. J’étais maintenant si bien dans ma peau, heureuse de m’être sortie de cette grosse peine d’amour. J’avais donc l’estomac noué juste à l’idée d’en revivre une autre. Je me disais que ces étincelles allaient être éphémères.
Petit à petit, on s’apprivoisa. Il venait chez moi, j’allais chez lui. Mon métier d’agent de bord faisait que je voyageais beaucoup. Paris, Londres. Quand j’arrivais à la maison, j’espérais avoir un message de lui. J’avais tout le temps les papillons quand je l’appelais ou le voyais. Mais je n’étais pas prête à rencontrer ses enfants. Je me disais : « Et si jamais Claude et les enfants m’aiment bien, mais que moi, en bout de piste, je n’éprouve pas autant d’amour, je vais leur faire de la peine. »
J’avais tellement souffert que je ne voulais pas leur faire vivre la même chose. Ceci dit, Claude m’avait présenté ses amis, et je les trouvais sympathiques. On avait une belle complicité et beaucoup d’affinités. Et il était d’une grande douceur.
Tranquillement, on a vécu le parfait amour. J’étais heureuse, amoureuse. Mais j’avais tout le temps une petite retenue, parce qu’un chat échaudé craint l’eau froide. Et puis j’étais une femme autonome. Rencontrer quelqu’un à 42 ans, ce n’est pas du tout comme à 20 ans. À cet âge, on ne s’embarque pas dans une relation en disant : « Je vends toutes mes affaires et je vais vivre avec toi ! » Oubliez cela tout de suite ! À 20 ans, on est moins avisé et tout semble tout nouveau, tout beau. À 40 ans, on a le pied sur le frein. On ne s’engage pas les yeux fermés. Il faut qu’il y ait complicité, réciprocité.
Mais Claude avait une douceur que jamais je n’aurais pensé trouver chez un homme. De tous ceux que j’avais rencontrés, aucun n’était aussi rempli de tendresse et d’amour. Et il était à la fois drôle et sérieux ; c’est cela qui m’avait plu chez lui. Il me faisait découvrir bien des choses. Par exemple, je ne connaissais rien aux vins ni à la littérature québécoise – je ne lisais qu’en anglais. J’étais plus américanisée. Il m’apprenait beaucoup.
J’avais rencontré un homme merveilleux. Je ne voulais plus d’enfants, mais je m’étais retrouvée non pas avec des « petites » filles comme les appelait Claude, mais avec trois ados ! J’ai commencé à les rencontrer une par une. J’étais paniquée à l’idée de les voir les trois ensemble. Mais elles m’avaient bien acceptée, peut-être parce qu’elles voyaient leur père heureux d’avoir une femme qui partage sa vie. Je leur ai toujours dit que je n’étais pas leur mère, que je ne la remplacerais pas, mais que je pouvais être leur meilleure amie, que c’était à elles de choisir.
Pour la question de vivre ensemble, c’est moi qui ne voulais pas. Quand on est dans la quarantaine, on est plus terre à terre. On envisage les choses à plus long terme et on est moins impulsif.
Mais ma maison avait été ravagée par le feu le 5 avril 1995 et l’incendie nous avait graduellement amenés à parler de vivre ensemble. Peu de temps après, j’avais dépanné son frère Gaston en lui louant temporairement ma maison – qui avait été reconstruite – alors qu’il se trouvait entre la vente et l’achat d’une résidence. C’était le printemps, et je me souviens de n’avoir emporté que mes vêtements pour la saison chaude. Puis, ce fut le tour de son voisin Maurice qui, récemment divorcé, se cherchait un nid. Je lui avais donc loué ma maison à son tour.
Cette fois, j’avais amené toute ma garde-robe chez Claude ! Les mois passèrent et, en mai 2000, je reçus le diagnostic d’un cancer du sein. Je savais que j’allais avoir des traitements de chimiothérapie et de radiothérapie. Sans être trop découragée et voulant paraître forte, je dis à Claude que je pensais retourner vivre chez moi, parce que je ne voulais faire subir cette épreuve ni à lui ni à ses filles. C’était trop difficile et je me sentais comme si je m’introduisais dans leur vie avec du malheur. J’avais les larmes aux yeux. Il me dit : « Tu n’es pas bien avec nous ici ? » « Oui, au contraire », lui dis-je, mais je ne voulais pas leur imposer ma souffrance. Il me regarda et me susurra : « On va aborder les choses une journée à la fois, mais je préférerais que tu restes avec moi. » On m’opéra le 30 juin 2000. Puis, ma sœur emménagea dans ma maison. Finalement, je ne suis jamais retournée chez moi depuis 1997.
On a souligné nos 20 ans d’amour l’année dernière. Je suis encore toute surprise d’avoir passé tout ce temps avec Claude. Je suis toujours heureuse, épanouie. Je l’aime. L’amour, le vrai, est possible à n’importe quel âge.
Claude a maintenant 70 ans, et moi-même j’en ai 62. Ce n’est pas comme quand on avait 20 ans. C’est un amour plus raffiné, plus précieux, plus près de qui on est. Un amour tout en douceur. Quand il me regarde, je le vois dans ses yeux qu’il m’aime. Et je l’aime tout autant. Et ce n’était pas un coup de foudre ; c’est un amour qui a grandi. On a appris à se connaître, à se comprendre, à se respecter, et à s’aimer. Bien sûr le corps vieillit, mais on continue d’aimer l’autre dans le corps qu’il a, même s’il n’est plus tout à fait jeune.
Quand Claude a été opéré du cœur, il y a quelques années, cela m’a donné un choc. Même si j’essayais de garder la tête froide, j’avais tout le temps peur qu’il parte. J’espère que je vais continuer à vivre ce grand amour avec lui pour le restant de mes jours. On est si bien tous les deux. On s’aime. Qui aurait cru qu’en cette fameuse journée où je suis allée régler les honoraires de mon comptable j’aurais rencontré l’homme de ma vie, à 42 ans.
Crédit photo: Sonia Roy