Témoignage: toute une vie dans une boîte de boutons
Grâce à une boîte à biscuits acquise lors d’une vente aux enchères, elle découvre la vie secrète d’une voisine. Un témoignage touchant.
«Trois dollars, une fois! Trois dollars, deux fois! Adjugé pour trois dollars au numéro 43, la dame au chapeau blanc dans la dernière rangée.» Nous sommes en périphérie de McConnellsburg, en Pennsylvanie, près de la ferme où je vis avec mon mari. Le responsable de la vente de succession a crié mon numéro. Je viens de remporter une boîte à biscuits en fer-blanc des années 1950 qui évoque des souvenirs.
Ravie de ma prise, je secoue la boîte, qui émet un bruit granuleux. Curieuse, je soulève le couvercle. À l’intérieur, des centaines de boutons, d’épingles et autres petits objets qui se mettent à briller au soleil. Ça me rappelle la boîte à boutons de ma mère. Petite, j’adorais y plonger la main, comme mes filles aiment fouiller dans la mienne.
Le commissaire-priseur poursuit son boniment. J’achète encore quelques menus objets. Puis mon regard surprend le mouvement d’une balançoire sur la véranda de la maison. Une vieille femme menue observe l’agitation dans son arrière-cour, balaie la foule du regard, cherchant des visages familiers d’amis ou de voisins. En allant porter mes acquisitions à la voiture, je vais faire un brin de causette avec elle. Nous parlons de ces gens venus nombreux, des prix qui montent pour chaque objet. Elle va s’installer dans une maison de retraite en ville et doit vendre presque tous ses biens.
En voyant la boîte à boutons, ses yeux se remplissent de larmes. Je lui demande si je peux m’asseoir un moment avec elle. Elle me fait une place sur la balançoire.
Je retire le couvercle, et sa main noueuse plonge dans la boîte et soulève une poignée de boutons avant de les faire retomber doucement. Elle garde dans la paume un minuscule bouton de nacre jauni par le temps. Elle sourit en racontant la naissance de son premier enfant, puis la robe de baptême aux boutons de nacre qui sera ensuite portée par cinq autres bébés avant que le temps n’use trop le vêtement.
Une vie à découvrir
Je lui demande d’où vient un gros bouton militaire en laiton. «De l’uniforme de mon premier mari, répond-elle. Un des rares objets qui me soient restés pour me souvenir de celui qui n’est jamais revenu du front.»
Ils s’étaient mariés sept mois avant qu’il ne parte servir son pays lors de la Seconde Guerre mondiale. «J’ai épousé son meilleur ami deux ans plus tard, et ça a été un bon mariage, ajoute-t-elle. À l’époque, c’était comme ça. Il y avait toujours quelqu’un pour soutenir les veuves et les enfants.»
Le Jour du Souvenir est l’occasion de rendre hommage à nos héros canadiens.
En poursuivant l’exploration, nous trouvons des pinces à cheveux dans une gamme de couleurs allant du noir au blanc. Chaque teinte marque le passage du temps et son effet sur les cheveux. Ma compagne a le souffle coupé quand je sors une petite clé. C’est celle d’une boîte à musique qui jouait jadis l’air d’une chanson d’amour, se rappelle-t-elle.
Elle l’a perdue des années plus tôt. La clé de ses souvenirs passe de ma main à la sienne.
Nous trouvons une épinglette de l’école du dimanche avec mention d’assiduité pour chaque année à l’exception d’une. «C’est l’année où ma mère a souffert d’un cancer, explique-t-elle. Je restais avec elle à la maison le dimanche pour que mon père puisse assister à la messe. Jusqu’à sa mort, il y a 15 ans, il n’a jamais raté un office.»
Des jarretières, des pièces de cinq centimes en bois et des boutons rouges la font voyager dans ses souvenirs. Elle parle de son mariage, de la naissance de ses enfants et de tant de choses qu’elle a vécues en 89 ans!
Après cette conversation, je pose la boîte à souvenirs sur la balançoire et glisse ma main dans la sienne. Je sais que je la reverrai dans son nouveau foyer et que nous bavarderons de nouveau. Et je sais qu’en rentrant à la maison, mon cœur me conduira dans la salle de couture où je pourrai à mon tour retrouver les souvenirs d’une vie dans une boîte à boutons.