Dans le grenier d’un manoir de 40 pièces, le jeune Robin Williams rêve en contemplant la cime des arbres de la propriété familiale, nichée en banlieue de Detroit, au Michigan.
Ses parents étant toujours occupés, n’ayant ni frères et sœurs ni amis avec qui jouer, l’enfant de huit ans passe son temps à lire ou à revivre de grandes batailles à la tête d’une armée de soldats miniatures.
En cette soirée de 1959, Robin attend avec impatience le retour de son père.
Cadre supérieur chez Ford, Robert Williams dégage un flegme britannique et inspire une telle déférence que Robin l’a baptisé Lord Stokesbury, vice-roi des Indes. Un surnom qu’il n’utilise jamais en sa présence, tant le personnage l’intimide.
Très attaché à la discipline, au travail et à la maîtrise de soi, son père n’aurait pas toléré ce genre d’humour.
Le jeune garçon tend l’enveloppe qu’il a rapportée de l’école.
« Que m’apportes-tu là, mon garçon ?
– Mon bulletin, père. »
Robert Williams observe les notes et compte, non sans satisfaction, les « A » qui remplissent la page.
« Bon travail, mon fils. Allons manger à présent. »
Malgré tous ses espoirs, Robin comprend qu’il devra se contenter de ce modeste compliment et ne rien attendre de plus. S’armant de courage afin de vaincre sa déception, le jeune garçon se dirige vers la salle à manger. Il sait que sa mère le serrera dans ses bras pour le féliciter de ses bons résultats et rira aussi des dernières blagues qu’il a apprises.
Laurie Williams entretient une complicité particulière avec son fils. Ancien mannequin, originaire de La Nouvelle-Orléans, elle est charmante et drôle. Dès que Robin se moque de son père ou l’imite, elle éclate de rire. En sa présence, il se laisse emporter par ses élans de créativité. Mais lorsqu’il dépasse les limites, elle lui rappelle aussitôt les règles de conduite très strictes imposées par son père. Toujours soucieux de contenter l’autorité paternelle, Robin retourne alors à ses études.
Une ambition avortée
De fait, le jeune garçon est à la hauteur des attentes de son père. Une fois son secondaire terminé, il intègre une grande école afin d’étudier l’économie et la politique. Mais Robin, qui dès sa première année suit des cours d’improvisation théâtrale, se découvre une vocation d’acteur. Brillant et créatif, il se laisse conquérir par cette nouvelle passion, au point de délaisser toutes les autres matières.
Entre-temps, ses parents ont déménagé dans une petite ville près de San Francisco. De retour chez lui pour les vacances, Robin et son père discutent de ses médiocres résultats dans une atmosphère tendue.
« Je ne paie pas tes frais de scolarité pour ça, lance-t-il violemment à son fils.
– Très bien, rétorque Robin. J’ai trouvé ma voie, et c’est irrévocable : je veux devenir acteur. »
Robert pressent que l’ambition artistique de son fils risque de se heurter à son manque de discipline et de pragmatisme : « Tu as raison de rêver, mais il vaudrait mieux apprendre un vrai métier, comme la soudure, au cas où. »
Il a de bonnes raisons de s’inquiéter. Robin commence à suivre des cours d’art dramatique, d’abord près de chez lui, puis à Juilliard, la célèbre école new-yorkaise. Ses professeurs et camarades ne résistent ni à sa vivacité d’esprit ni à ses talents d’improvisateur. Toutefois, sa fougue fait parfois obstacle à ses ambitions. Au dernier semestre, il tombe amoureux d’une femme qui vit à San Francisco et laisse tout tomber pour elle.
Lorsque cette aventure prend fin, Robin reste dans la région de San Francisco et se produit dans de petites boîtes. Il trouve sur scène un exutoire à son énergie et à son imagination débordantes, un lieu où il peut jongler avec les idées et les accents – une manière de libérer ses accès de folie, comme il l’explique en plaisantant. Passant d’une imitation de Richard Nixon à celle d’un émigré russe, il se révèle un comédien délirant et sans vergogne, qui exploite à merveille son sens aigu de l’absurde. A 25 ans, Robin Williams est sur le chemin du succès.
En 1978, Robin déménage à Los Angeles, et on lui confie le rôle d’un adorable extraterrestre dans une série télévisée. C’est un succès immédiat, et l’acteur devient brusquement célèbre. Mais cette réussite a un côté sombre, et ses parents constatent que Robin mène une vie pour le moins agitée. « Tu sais, tu n’as pas besoin de faire le clown en permanence », lui dit Laurie. Mais il semble incapable de tempérer ses excès.
Les quatre années suivantes, alors que la cote de popularité de la série fléchit, Robin Williams en vient à se demander si sa célébrité n’a pas été qu’un coup de chance extraordinaire. Ses inquiétudes sont avivées par l’accueil peu enthousiaste que le public réserve à ses premiers longs métrages, Popeye et Le monde selon Garp.
Voyant que sa vie lui échappe, l’acteur se réfugie dans la drogue et l’alcool afin de noyer ses incertitudes. Les critiques qualifient ses performances de légères et se demandent s’il a la profondeur nécessaire à un jeu nuancé. Par moments, Robin se retrouve dans la peau du petit garçon avide de louanges qu’il était jadis. A cette différence près qu’il ne s’agit plus d’obtenir la reconnaissance de son père, mais celle du public.
Moments de vérité
En 1982, deux événements le ramènent à la réalité : la naissance de son fils, Zachary, issu de son mariage avec Valerie Velardi en 1978, et le décès de son ami John Belushi, des suites d’une overdose. Choqué par cette mort, Robin réalise qu’il risque de connaître le même sort s’il ne renonce pas à la drogue et à l’alcool. Il retourne à San Francisco, où de nouvelles épreuves l’attendent. Sa carrière est encore chancelante, son mariage bat de l’aile et, pour ne rien arranger, la santé de son père se dégrade.
Chaque après-midi, il va lui rendre visite. Au fil des jours, Robert renonce à sa froideur, et Robin enlève son nez de clown. Ils discutent ensemble des combats que l’acteur a menés ces dernières années, de ses doutes et de ses rêves pour l’avenir.
« Je ne veux renoncer ni à ma carrière ni à ma famille, confie Robin. Je suppose que c’est pour cette raison que je suis revenu ici.
– Tu sais, lui répond Robert avec sérénité, l’entreprise familiale a fait faillite à la mort de mon père. Je n’étais encore qu’un adolescent, mais il a fallu que je descende à la mine pour faire vivre la famille. »
Les semaines suivantes, Robert ouvre son cœur et raconte les expériences qui ont jalonné sa vie, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, où, officier de marine, il a vu son navire attaqué par un kamikaze et des hommes mourir sous ses yeux.
Il évoque aussi l’échec douloureux d’un premier mariage, parle des heures épuisantes passées sur les routes dans le cadre de son travail chez Ford, et de son regret de n’avoir pas consacré plus de temps aux siens.
Pour Robin, ces confidences sont à la fois très révélatrices et profondément émouvantes. L’une d’elles le marque particulièrement : son père lui explique en effet pourquoi il a quitté la société Ford en 1967 et déménagé avec sa famille en Californie – Robin avait toujours ignoré les vraies raisons de ce déménagement.
« L’industrie automobile était en perte de vitesse, explique Robert. J’aimais mon travail, mais, tout ce qu’ils voulaient, c’était produire en série autant de voitures que possible. Les entreprises perdaient leur âme, et je ne voulais pas assister à ce spectacle. Il fallait que je parte. »
Robin reçoit clairement le message : chacun tient les rênes de son existence. Inspiré par le courage de son père, il sait qu’il doit, lui aussi, prendre des risques et reconquérir sa vie.
Une nouvelle maturité
Robert Williams meurt en 1987, au moment même où la vie de son fils retrouve un équilibre tant sur le plan privé que sur le plan professionnel. Cette année-là, Robin Williams est mis en nomination aux Oscars pour son rôle d’animateur radio explosif dans Good Morning, Vietnam. Il y exploite son humour et ses talents d’improvisateur, tout en incarnant un personnage en proie à la souffrance et au sentiment d’échec face à la guerre.
Ses prestations ultérieures surprennent les critiques, qui constatent une nouvelle maturité dans son jeu d’acteur : davantage de modération et d’introspection ; une manière plus profonde, plus complexe et plus subtile d’interpréter les personnages. Il cesse d’être le simple bouffon qui joue son propre rôle !
Robin Williams continue malgré tout à faire rire le public dans des comédies telles que Madame Doubtfire et La cage de ma tante, version américaine de La cage aux folles. Mais, même dans ces films, son interprétation fait preuve d’une nouvelle retenue. Depuis, il réserve ses dons de comique déchaîné à des films pour enfants tels que Jumanji et Aladin.
Dans sa vie privée également, Robin Williams a retrouvé une certaine paix intérieure. Divorcé de Valerie Velardi, il se remarie avec Marsha Garces en 1989, qui donne naissance à une fille, Zelda, et à un garçon, Cody, aujourd’hui âgés respectivement de neuf et sept ans. Afin de passer plus de temps avec ses enfants, l’acteur a décidé de limiter ses tournages et ses apparitions sur scène.
En 1997, Robin accepte de jouer dans un film de modeste envergure intitulé Le destin de Will Hunting, où il incarne un psychothérapeute malchanceux qui doit soigner un jeune homme brillant mais instable et plein de hargne. Ce rôle, écrit sur mesure, lui rappelle les sentiments qu’il a éprouvés à l’égard de son père au moment où leur relation évoluait. Son interprétation y est subtile, émouvante, drôle et triste à la fois, et lui vaut une quatrième nomination aux Oscars.
Robin Williams n’a encore jamais remporté le fameux trophée.
En mars 1998, assistant à la cérémonie accompagné de sa mère et de sa femme, il est donc très surpris de se voir remettre la statuette pour le meilleur second rôle. La portant bien haut, il s’adresse au public :
« Mon père me disait : « Tu devrais avoir un métier de secours, comme la soudure… »
Les rires fusent, mais seuls Robin et sa mère savent à quel point Robert a influencé le succès de son fils. Pour Laurie Williams, ce geste tendu vers le ciel signifie :
« Regarde, papa, je le tiens ! Il est pour toi ! »