Secourisme : ensemble pour sauver la vie de deux garçons
Motivés par un esprit collectif de secourisme, des baigneurs font une chaîne humaine et risquent leur vie pour sauver celle de deux garçons, pris au piège dans un fort courant.
Une chaîne humaine
Près d’un an et demi après leur acte héroïque et stupéfiant, les dizaines de personnes qui ont sauvé deux enfants de la noyade à Panama City Beach, en Floride, se souviennent de cette journée admirable. Un constructeur de maisons tatoué qui s’était presque noyé l’année d’avant ; un couple d’Asiatiques qui ne parlait pas l’anglais ; la grand-mère qui venait de survivre à deux crises cardiaques et qui, avant que ses petits-fils soient en sécurité, en a fait une troisième. L’un après l’autre, ils ont sauté à l’eau et ont joint mains et bras pour former une chaîne de plus de 90 m à travers un courant d’arrachement qui menaçait d’avaler chacun d’eux.
« Sur cette plage et dans l’eau jusqu’au cou, plusieurs ne savaient pas nager, mais tous s’accrochaient les uns aux autres », raconte Bryan Ursrey, le père des deux garçons.
Les sauveteurs l’appellent la chaîne humaine ; c’est ce qui a sauvé les garçons, qui sont passés de personne en personne jusqu’à la plage. C’est le côté très humain de cette stratégie qui la rend si remarquable.
« Ils auraient pu continuer de vaquer à leurs occupations sans apporter leur aide, explique Bryan. Mais ils ont eu du cœur et ont fait le nécessaire. Cela redonne un peu espoir en l’humanité. »
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Une journée à la plage vire au cauchemar
Le 8 juillet 2017, dans la région de Panhandle, en Floride, là où le travail est dur et la bière fraîche, les huit membres de la famille Ursrey profitent d’une fin de journée à la plage. Alors que le soleil baisse à l’horizon, Noah, 11 ans, et Stephen, 8 ans, empoignent leurs planches et s’aventurent sur les vagues sans la surveillance des adultes. Ils s’éloignent à environ 65 m de la rive et se rendent compte que l’océan les a tirés au large. Après avoir essayé en vain de regagner la plage, ils font des signes de la main et crient à l’aide ; mais les maîtres nageurs sont déjà partis. Un drapeau jaune indique qu’il faut être prudent, mais la plupart des habitués ne prêtent plus trop attention à l’avertissement.
Les garçons luttent depuis plusieurs minutes quand Brittany et Tabatha Monroe, un couple marié de l’État de Géorgie, s’approchent d’eux. D’abord, elles ne les aperçoivent pas, mais les entendent. Elles sautent alors à l’eau et les rejoignent facilement en eau peu profonde – moins de deux mètres. Elles rassurent les garçons effrayés, saisissent leurs planches et comprennent qu’elles sont maintenant, elles aussi, en difficulté. Elles ne peuvent plus revenir sur la rive et leurs pieds touchent à peine le fond sablonneux.
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Victimes des courants d’arrachement
Après quelques minutes, elles se rendent à l’évidence : ils sont pris dans un courant d’arrachement. Les vagues se déplacent perpendiculairement à la côte et épuisent rapidement les baigneurs qui les combattent. Un puissant courant peut emporter au large le plus fort des nageurs ; selon les autorités américaines, 92 personnes se sont noyées dans des courants d’arrachement en 2017. Les experts en sécurité conseillent de nager parallèlement à la rive jusqu’à sortir du courant plutôt que le combattre. Brittany et Tabatha suivent ce conseil. Pourtant, peu importe la direction qu’elles prennent, elles n’y arrivent pas.
Brittany, qui tient Stephen, est petite et mince – elle peine à garder la tête hors de l’eau. Paniquée, elle lâche le garçon et le repousse de gestes frénétiques par sécurité. Quelques adolescents ont entendu le mouvement. Un d’eux, un garçon assez grand pour toucher le fond de l’eau, se précipite pour attraper Brittany et l’amener à la rive.
Pendant ce temps, Tabatha se sent davantage tirée vers le large. Déjà épuisée, elle se laisse porter par le courant et désespère ; elle doit maintenant sauver toute seule les deux enfants qui flottent à ses côtés. Les vagues la submergent. Sur la plage, Brittany est terrifiée et hystérique. Un homme qui retournait à sa voiture s’arrête.
Un appel de détresse
« Qu’y a-t-il ? demande Shaun Jernigan.
— Ma femme est en train de se noyer ! » répond Brittany. Shaun aperçoit trois têtes au-dessus des vagues au large. Charpentier costaud, il se jette immédiatement à l’eau. Pourtant, il aurait eu toutes les raisons de fuir ; un an plus tôt, il a été pris dans un courant d’arrachement à ce même endroit et s’y est presque noyé. Sentir l’eau clapoter sous son nez et ses oreilles alors que le courant aspire le sable sous ses pieds lui est péniblement familier. Mais il avance dans l’eau aussi loin que possible, jusqu’à ce que l’eau atteigne son menton et jusqu’au bord du point de non-retour.
Moins de cinq mètres le séparent encore des garçons et de Tabatha, qui appelle à l’aide. Shaun ne supporte pas l’idée de les abandonner, mais s’il avance encore, il deviendra une nouvelle victime. Il fait demi-tour.
« S’il vous plaît, ne m’abandonnez pas, l’implore Tabatha. Je vais mourir !
— Je ne vous abandonne pas. Je reviens tout de suite. »
C’est alors que Roberta Ursrey, la mère des deux garçons, revient après un moment d’absence et cherche ses enfants. En colère de les voir flotter avec leurs planches beaucoup plus loin qu’elle le leur avait permis, elle leur enjoint de revenir. En larmes, ils crient que le courant les retient. Elle panique. Elle laisse tomber son téléphone et s’élance vers eux. Elle combat les vagues et s’approche de ses fils qui hurlent aux côtés de l’inconnue qui tente de les sauver.
« Je vais vous aider, dit Roberta. Je vais vous sortir de là. » Elle attrape les planches des garçons pour battre des pieds vers le rivage, mais il est presque impossible d’avancer dans aucune direction.
À présent, d’autres personnes ont remarqué au loin le groupe en difficulté, mais ne saisissent pas la gravité de la situation. À quelques mètres, un couple d’Asiatiques fait du surplace dans l’eau en gonflant un flotteur pour enfant en forme d’anneau. Ils semblent venir apporter leur aide aux garçons, mais Roberta leur parle en vain ; ils ne parlent pas la même langue. Derrière le couple, un jeune homme sur une planche de surf tente d’attraper une vague. Tabatha et Roberta lui demandent d’approcher sa planche de surf pour s’y accrocher et survivre jusqu’à l’arrivée du bateau de sauvetage. Mais le surfeur s’éloigne en riant.
Roberta voit son neveu, Justin Hayward, refaire surface près de la rive. Il est allé explorer les eaux peu profondes et n’a pas encore conscience de ce qui se passe plus loin. Puis, il comprend que sa tante et ses cousins sont en danger. Même s’il s’est cassé la main la semaine précédente, il nage de toutes ses forces pour rejoindre les garçons. « Ne viens pas par ici ! dit Roberta. Nous allons nous noyer. »
Il les rejoint tout de même. « Donne-moi un des garçons », dit-il à sa tante. Roberta ne peut se résoudre à choisir. Justin la convaincre de lui remettre l’aîné et entreprend de le traîner vers la rive. Mais Justin, lui aussi, constate qu’il n’arrive pas à affronter la force du courant.
L’attente des sauveteurs
Heureusement, les secours sont en route : Shaun Jernigan a demandé à sa fille d’appeler les services d’urgence et est retourné au bord de l’eau. Il cherche désespérément une corde ou un autre équipement de sauvetage. Puis, il voit un homme courir vers l’eau. Il tente de l’arrêter. « N’y allez pas ! dit Shaun. Nous essayons de les sortir de là ! » Mais Bryan Ursrey continue sur sa lancée. « C’est ma famille ! » dit-il.
Shaun repère deux policiers et court vers eux. Les policiers, raconte-t-il plus tard, ont refusé d’apporter leur aide et ont essayé d’empêcher lui et tout autre sauveteur volontaire d’entrer dans l’eau. Chad Lindsey, chef adjoint de la police, a plus tard raconté lors d’une entrevue télévisée que les policiers estimaient trop risqué de nager jusqu’aux garçons.
Shaun les ignore et hèle plutôt des baigneurs. Ensemble, ils avancent dans l’eau. Pour s’empêcher de perdre pied à cause du courant, ils se tiennent les uns aux autres. Cela leur donne une idée : former une chaîne humaine qui s’étendrait depuis la plage. Si l’extrémité de la chaîne reste connectée à ceux qui ont les pieds bien ancrés dans le sable, ils sont en sécurité.
Cela requiert plus de nageurs, des dizaines. Shaun repère sur la plage Derek et Jessica Simmons, dans la vingtaine, couple marié de la région ; ensemble, ils réunissent ceux qui regardaient la scène d’un air détaché. « Ne restez pas là ! hurle Derek. Il doit bien rester un peu d’espoir en l’humanité chez certains d’entre vous ! »
Des dizaines de sauveteurs volontaires
Puis, l’incroyable se produit : un par un, maillon par maillon, de parfaits inconnus entrent dans l’eau en se tenant par les poignets, déterminés à ce que personne ne meure sur cette plage ce jour-là.
Jessica Simmons est menue, mais elle est très bonne nageuse. Alors que son mari recrute plus de sauveteurs, elle s’empare de deux planches et nage jusqu’au bout de la chaîne pour apporter son aide. Là, elle remarque qu’entre six et neuf mètres la séparent encore du groupe de baigneurs. Un homme de grande taille à la fin de la chaîne lui demande : « Êtes-vous capable de les rapprocher suffisamment pour que nous les agrippions ? »
« Oui, je peux le faire », dit Jessica. Elle se retourne et aperçoit son mari tout juste derrière elle. « Je ne pouvais pas te laisser seule ici », dit Derek.
Justin a désespérément tenté d’approcher son jeune cousin de la chaîne humaine, entre autres en plongeant sous les vagues pour marcher sur le fond de l’océan en tenant la planche au-dessus de sa tête.
Derek attrape la planche de Noah et dit au garçon : « Tout va bien aller. Reste sur ta planche. » Noah tombe, mais Justin le saisit par le maillot et le replace sur la planche. Dès que Derek et Noah atteignent le bout de la chaîne où Shaun attend, tout se déroule très vite. Shaun le passe vers l’arrière. Les nageurs qui composent la chaîne crient « Tirez ! Tirez ! » en remontant l’enfant jusqu’à la plage. Noah y arrive en près d’une minute.
Stephen, enfin sain et sauf
Jessica aide le petit Stephen à atteindre la chaîne de quelque 70 volontaires ; lorsqu’il y arrive, il est lui aussi transporté sur la rive.
Vient ensuite le tour de Roberta, qui est si épuisée qu’elle s’évanouit quand Jessica l’aide à rejoindre la chaîne. Le corps inerte de Roberta passe d’un maillon à l’autre jusqu’à la plage. Elle ne se réveille que cinq minutes plus tard ; ce n’est pas le cas de sa mère qui, elle aussi, s’est mise à l’eau.
Barbara Franz, âgée de 69 ans, a nagé vers ses deux petits-fils juste derrière Justin, en zone dangereuse – pourtant, elle a eu deux crises cardiaques au cours des deux derniers mois. En quelques minutes, l’eau l’a submergée. Elle y est toujours quand Roberta et les enfants rejoignent la plage. Elle n’a pas compris qu’ils ont été secourus et s’enfonce avec désespoir alors que son corps continue de s’affaiblir.
Justin essaie de faire flotter sa grand-mère sur la planche de surf, mais ses membres inertes la font glisser. Encore et encore, les vagues les frappent, elle tombe de la planche et Justin la replace en prenant garde à sa main brisée. Derek les rejoint à la nage pour leur porter secours. Barbara devient délirante et incohérente. Elle leur dit : « Laissez-moi partir. Sauvez votre peau. »
Comprenant la gravité de la situation, le surfeur revient et donne sa planche au couple d’Asiatiques, eux aussi pris dans le courant. Derek, qui est maintenant au bord de l’épuisement, rassemble ses forces ; il voit la possibilité de sauver Barbara. Par un regain d’énergie, il la soulève et la place entre le couple. C’est là qu’elle repose jusqu’à ce qu’ils l’approchent à trois mètres de la chaîne, là où les attend une autre planche de surf. Ils arrivent à la placer dessus.
Justin arrive à rejoindre le bout de la chaîne. Il s’ajoute en maillon supplémentaire pour s’assurer que sa grand-mère soit ramenée sur la terre ferme. Lorsque l’homme à ses côtés attrape sa main blessée, Justin sent ses os se casser de nouveau. L’homme sursaute et recule, mais Justin le rassure : « Tout va bien. »
Puis, le couple d’Asiatiques passe le long de la chaîne. Justin, avec l’aide d’un inconnu, porte Barbara sur la plage. Elle semble sans vie, mais après un moment, elle vomit de l’eau de mer. Plus tard, elle racontera qu’elle a entendu son mari décédé, Carl, l’appeler alors qu’elle était inconsciente. Elle croit être morte un instant. Elle passera quelques jours à l’hôpital et des mois à se remettre de ce qui s’est finalement révélé être une troisième crise cardiaque.
Un dernier effort
Tout le monde est sauvé sauf Tabatha et le père des garçons, Bryan, à près de six mètres de la chaîne humaine. Tabatha est plus qu’épuisée, plus que désespérée.
« Tenez bon, lui dit Bryan. Je vous tiens. » Encore et encore, il creuse le sable du bout de ses orteils et la pousse vers l’avant – mais le courant est toujours plus fort.
Shaun et les autres volontaires les aperçoivent ; on donne l’ordre de déplacer l’opération de sauvetage plus bas sur la plage, plus près de Tabatha. Après un grand mouvement, la chaîne se reforme vers Tabatha.
Un nageur plein d’énergie la rejoint. « Allez, accrochez-vous à mon bras », dit-il. Tabatha parvient à lui. Il la tire sur les quelques mètres qui les sépa-rent de la chaîne pour qu’elle soit transportée sur la plage. Pendant ce temps, Bryan trouve pied et revient à la nage par ses propres moyens. C’est un miracle : tout le monde s’en sort.
La grande majorité des sauveteurs volontaires sont restés anonymes : l’adolescent qui a aidé Brittany sur la rive, le jeune homme grand et mince qui s’est occupé de Tabatha, le couple d’Asiatiques. Ils méritent pourtant tous d’être honorés. Leur humilité émeut la famille Ursrey.
« Ni couleur ni âge ne comptaient, explique Bryan. Ils ont interrompu leurs activités. Ils ont laissé leur téléphone, leur tablette, tout ça, et ont aidé ma famille à sortir de l’eau. »
« Sur la plage, ce jour-là, ils étaient des anges sur Terre, dit Roberta. Qu’ils aient été les premiers ou derniers maillons de la chaîne, ils étaient nos héros. Ils étaient tous aussi importants les uns que les autres. »
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