Retisser les solidarités, selon Stéphane Gendron
Même ses détracteurs le reconnaissent: Stéphane Gendron a changé, baissé le ton, mais pas les armes.
En 2004, alors maire de la Ville de Huntingdon en Montérégie, Stéphane Gendron avait frappé l’imaginaire en imposant un couvre-feu pour endiguer un problème de délinquance. La mesure a attiré l’attention des médias, au point que le politicien est devenu un populaire animateur, reconnu pour ses coups de gueule et ses prises de position à l’emporte-pièce. Au passage, l’homme ne s’est pas fait que des amis.
Aujourd’hui, Stéphane Gendron reconnaît que cette histoire de couvre-feu n’était pas, selon ses propres mots, «l’idée du siècle». Il est devenu depuis agriculteur, mais également plus terre à terre, sans pour autant calmer ses indignations. Sa prise de parole passe maintenant par le documentaire (Mourir, La détresse au bout du rang), et tout récemment l’essai. Rapailler nos territoires (Écosociété, 2022) constitue un vibrant plaidoyer en faveur du monde agricole et rural, oublié, voire méprisé, par les grands centres urbains de même que par le pouvoir politique. Selon lui, l’heure est venue de retisser des solidarités entre ces deux univers qui ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. Et on doit le faire avant qu’il ne soit trop tard.
Dans votre essai, vous décrivez la ruralité et le monde agricole sous un jour particulièrement pessimiste. Vous qui souhaitez mobiliser la population, n’est-ce pas contre-productif?
Ce n’est pas un livre heureux, mais réaliste; les gens diront peut-être: coloré, et extrême! Mais j’y parle de la véritable ruralité, pas celle en périphérie de Montréal ou de Québec. Les riches y achètent des maisons et les alentours pour s’en faire des terrains de jeux, et tout à coup, c’est nous qui devons nous adapter à leur style de vie: le coq ne peut plus chanter, les tracteurs ne doivent plus les empêcher de sortir leur voiture, et on se plaint que ça sent la merde… La triste réalité, c’est une population vieillissante, des jeunes qui quittent les régions, et une absence de relève agricole. On se retrouve tout nus…
Vous allez même jusqu’à dire que la ruralité est aux «soins palliatifs».
Je le reconnais: c’est un peu brutal. Mais je n’en peux plus de ce bla-bla autour de la souveraineté alimentaire. «Vous êtes nos soldats, vous nous nourrissez.» Dans les faits, on nous courtise pour obtenir notre vote, mais la terre ne nous appartient plus, elle se détruit, et nous n’avons plus de vie comme agriculteurs. En ce qui me concerne, j’habite dans un désert alimentaire, la première épicerie est à 25 kilomètres, et pour avoir les secours des pompiers ou des ambulanciers, je dois téléphoner aux États-Unis, car le 911 n’existe pas ici. Et nous ne sommes pas les seuls dans cette situation.
Malgré tout, croyez-vous encore que la politique puisse être un outil important pour changer les choses?
Dans un monde idéal, il faudrait voter pour la personne qui nous représente sur le plan local, pas pour celle que le parti a déléguée pour mettre sur une affiche. Votons pour quelqu’un qui nous connaît, qui va travailler avec nous, pas un candidat qui découvre le comté pendant une campagne électorale en rencontrant un club de l’âge d’or une journée et le cercle des fermières le lendemain. Ça m’insulte!
Dans ce contexte, pourquoi ne pas faire un retour en politique?
Je n’en suis pas là dans ma vie, mais je ne ferme pas la porte complètement. Pour le moment, je prends la parole, mais sur ce qui m’intéresse, tout particulièrement la ruralité, comme avec ce livre, ou dans mon documentaire sur la détresse des agriculteurs. Mais une chose est certaine: je n’ai pas envie de donner mon opinion sur tout et rien.
C’est une des raisons pour lesquelles je ne passe presque plus de temps sur les réseaux sociaux. Pendant des années dans les médias, j’ai pratiqué «l’infotainment», ou ce qu’on pourrait aussi surnommer «la pornographie de l’information». Après 10 ans de métier, quand j’ai commencé à essayer de comprendre, à ne plus sauter ma coche, à être à l’écoute, on m’a qualifié de traître. Avant, j’étais une bête lâchée lousse même si je n’étais pas méchant; malheureusement, cette image trash me colle encore à la peau, mais je l’assume.
De tous les métiers que vous avez exercés, lequel fut le plus difficile, ou le plus gratifiant?
Le plus exaltant de tous: maire! Mon arrivée en 2003 fut un accident de parcours. J’allais m’acheter un râteau à feuilles à la quincaillerie, et c’est le propriétaire, André Laberge, qui m’a interpellé pour que je pose ma candidature: «La grand-rue est morte. Toi, tu es allé à l’université. Tu es avocat, tu vas pouvoir nous aider.» Ne sachant pas qui était le maire de Huntingdon, je me suis lancé dans la mêlée, avec la naïve ambition de changer le monde. André est mort d’un cancer en août 2009; il aurait tant aimé voir ma réélection…
Cette période était complètement folle. Je rentrais à la mairie tous les matins, j’allais à Montréal pour la télévision, et je revenais chez moi le soir. Combien de gens ai-je rencontrés dans mon bureau qui n’avaient plus d’argent pour payer leur huile à chauffage ou même leurs taxes? Parce qu’à peine un an après mon élection, six usines de textiles fermaient en décembre 2004: 1000 pertes d’emplois pour une ville de 2500 habitants. Dans ce contexte, être maire, ça m’a fait mûrir à 200 milles à l’heure. Et j’ai compris plus tard que s’il y a un avenir pour notre territoire, il se bâtira avec des êtres humains qui ont fait un choix: demeurer en ruralité. Qu’ils y soient depuis longtemps ou seulement une semaine, cette mixité sociale est essentielle afin de se réinventer.
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